A la découverte des trésors du Levant (4)

Publié le par Jérôme Voyageur

Palmyre, le tétrapyle
Palmyre, le tétrapyle

Vendredi 15 octobre 2010, Alep

Quelle étrangeté ce matin en retirant les bouchons d’oreille : c’est presque silencieux. J’avais oublié que nous étions vendredi, jour de repos ici en Syrie. La différence est flagrante. Peu de voitures dans les rues, donc beaucoup moins de coups de klaxon intempestifs. Nous quittons définitivement Alep, trop tôt peut-être. Cette fois, nous partons plein ouest vers le désert et le fleuve Euphrate.

Le paysage change radicalement dès la sortie de la ville. Il semble s’assécher et faire disparaître toute vie. Cela ne dure qu’un temps jusqu’à atteindre les zones irriguées par l’Euphrate. Les sols sont alors couverts de cultures diverses. Les moissonneuses se multiplient au bord de la route.

Nous quittons ensuite la route vers le nord jusqu’à atteindre un barrage militaire. Nous abordons le barrage hydro-électrique Al-Asad. En tant que site stratégique, il faut montrer patte blanche, enfin juste les véhicules où se trouvent des ressortissants étrangers. D’autres hommes en arme sont postés ici et là tout le long des installations. En plus de fournir de l’électricité au pays, l’ouvrage fournit un bassin aquatique bien utile pour les cultures. En ce jour de repos, il semble aussi servir de base nautique aux gens des environs qui viennent poser leurs nappes au bord de l’eau pour pique-niquer et passer la journée dehors. Nous remontons la retenue pendant quelques kilomètres jusqu’à la citadelle de Jabaar. Suite à la montée des eaux, celle-ci est devenue une presqu’île alors qu’historiquement elle surplombait le fleuve d’une soixantaine de mètres. Ces hautes murailles pourraient presque être baignées par les eaux claires du lac. Elles présentent la particularité d’être construites en briques. L’intérieur présentant un intérêt plus que limité, nous restons à l’entrée. Pour ma part,, je décide d’en faire le tour par l’extérieur entre murs et flots. Ceci permet d’appréhender sa stature imposante, même si son caractère historique et ses origines restent limités.

Nous reprenons notre route vers l’ouest avant de bifurquer. Nous entrons à nouveau dans une zone désertique, non pas de sable mais de rocaille. Pas une âme qui vive à l’horizon. Subitement, comme surgi de nulle part, apparaît Rassafeh, plus connue dans le monde antique sous le nom de Sergiopolis. Son nom lui est venu de la présence dans une des églises des restes du martyr Serge. L’antique cité apparaît d’abord sous la forme d’un rectangle de murailles ayant bien souffert à travers les âges. Nous y pénétrons par la magnifique porte Nord qui dispose encore de ses trois arches et de ses colonnes, le tout en gypse. Pour la première fois, le soleil se fait particulièrement sentir dans cette cité qui accueillait les caravanes. Nous empruntons ce qu’il reste des anciennes rues, plus particulièrement l’ancien cardo. Par côtés, nous devinons les restes de quelques habitations. Mais il reste encore énormément de travail d’archéologie. La quasi intégralité de la surface ressemble à un champ de bataille après un bombardement : une vaste étendue de sable couverte de cuvettes. Nous parvenons ensuite à la première basilique aussi appelée martyrium. Sa forme en cul de four surprend un peu. Les colonnes jonchent le sol en marbre. En grimpant par un escalier très pentu dans la partie nord du mur, nous embrassons du regard une partie du site.

Un peu plus loin c’est un khan (caravansérail) qui tente de s’extirper des sables. Il n’en reste pas grand-chose. A l’extrémité du cardo, nous apercevons quatre arcs dépassant à peine du sol. En approchant, nous discernons quatre énormes citernes aux piliers particulièrement massifs. Une seconde basilique subsiste à peu près au centre du site. Il n’en reste guère que le mur du chœur mais nous devinons des blocs encore en partie enterrés. La dernière église est la cathédrale de Saint Serge. Elle en impose par sa taille et ses quatre murs toujours debout, avec tout de même des étais en bois pour deux d’entre eux. Nous terminons au sommet de l’angle sud-est pour un dernier panorama sur cette surprenante cité antique, jadis aux marches de l’Empire Romain. Nous nous installons ensuite en terrasse de la petite cafétéria du site (qui sert aussi de guichet) pour profiter du pantagruélique pique-nique prévu par Carrol. A vrai dire c’est le seul bâtiment moderne des alentours.

Le ventre plus que plein, nous repartons vers la perle du désert, Palmyre. Grâce à un planning pour une fois bien tenu, nous y parvenons suffisamment tôt pour commencer la visite dès aujourd’hui. Nous sommes déposés juste à côté de l’arc de triomphe qui marque le début de la grande colonnade. Quel spectacle fabuleux : les couleurs de cette fin d’après midi sont carrément magiques. Tout est réuni pour une superbe visite. Nous sommes rejoints par le second groupe de Nomade. Cette fois, c’est Salem, leur guide, qui va s’occuper de tout le monde. Il faut dire qu’il habite Palmyre. Il nous conduit d’abord aux thermes de Zénobie dont nous distinguons assez bien le dessin au sol, en plus des quelques colonnes toujours dressées.

Après avoir remonté le premier tronçon de la colonnade, nous pénétrons dans le théâtre. Si ses rangs sont assez peu nombreux, sa scène et son mur sont plutôt bien conservés, désormais débarrassés des mètres de sable qui le recouvraient. Juste derrière s’élèvent le sénat local ainsi que l’Agora. Nous pouvons distinguer sur les consoles des textes en grec et en palmyrénien. Retour vers la colonnade à hauteur du tétrapyle : quatre cubes surmontés de quatre colonnes chacun qui devaient abriter des sculptures. C’est en quelque sorte le carrefour du site. L’axe de la colonnade y change à nouveau. En revenant vers l’arc monumental, Salem nous fait remarquer la présence de canalisations d’eau qui courent le long des colonnes. Grâce à lui, nous découvrons que les inscriptions gravées sur les colonnes ne le sont pas à hauteur d’homme mais à hauteur de dromadaire.

Nous nous dépêchons ensuite de monter dans les véhicules pour rejoindre la vieille citadelle arabe qui domine la ville. Nous espérions voir un coucher de soleil mais le spectacle n’est pas au rendez-vous. En revanche, de cette position haute, nous pouvons découvrir toute l’ampleur du site de Palmyre, la vallée des tombeaux sur notre droite et au loin la palmeraie. Assurément une vue à ne pas manquer !

De retour en ville, j’apprends que je serais dans un autre hôtel. Celui prévu n’avait pas assez de place. Carrol et Khedar finissent par m’y rejoindre. Dans la rue principale, le shopping est vite bouclé : il n’y a pas grand-chose à acheter, sauf peut-être les dattes, une production locale. Et dès qu’on emprunte une des rues adjacentes, c’est de suite le désert et l’absence de lumière. Après le repas, nous repartons sur le site, de nuit. L’atmosphère est tout autre, entre noirceur du ciel et doré des pierres éclairées. Et puis quel bonheur de le parcourir à nouveau dans un quasi silence. J’en profite pour aller jeter un coup d’œil au petit temple excentré de Baal Shamin.

Samedi 16 octobre, Palmyre

Réveil dans la perle du désert. De la terrasse sur le toit de l’hôtel où je prends le petit-déjeuner, je dispose d’un panorama sympathique sur les ruines et la citadelle. je découvre aussi la présence d’une palmeraie accolée aux deux villes, ancienne et moderne.

Nous passons au musée pour prendre les billets pour la vallée des tombeaux. En effet, la cité antique de Palmyre se prolonge par une première zone de tombeaux réservés aux familles aisés de la ville. Particularité unique au monde, il s’agit de tombeaux-tours. Ceux-ci apparaissent tant dans le creux de la vallée que sur les flancs des collines. Beaucoup ont malheureusement subi les désagréments du temps. Néanmoins, celui d’Elhabel a été parfaitement conservé. Bien que nous soyons arrivés assez tôt, il y a déjà la queue pour entrer. En plus les gens ne réfléchissent pas le moins du monde pour fluidifier le flux. C’est peut-être le seul défaut de Palmyre. Surtout qu’en plus, l’accès n’est ouvert que quatre fois dans la journée. Cette tour carrée s’élève sur cinq niveaux. Elle abritait les sépultures d’une seule famille. Un fronton indique d’ailleurs leur nom. Le plafond du rez-de-chaussée est encore en grande partie recouvert de ses peintures d’origine, la plus présente étant le lapis-lazuli. Les deux parois latérales sont percées de grandes niches à rebords, un peu comme un grand placard à étagères où on déposerait les défunts. Juste à gauche après l’entrée un escalier assez étroit mène aux niveaux supérieurs. J’y retrouve la même structure. Au deuxième étage, une ouverture suffisamment large permet de s’avancer à l’extérieur et de profiter du panorama. Juste au-dessus une statue de femme étendue est posée à même le sol. La visite se termine au niveau supérieur : plus de plafond. L’escalier est donc condamné.

Nous repartons alors vers la seconde nécropole juste derrière la colline à l’est. Une troisième est située de l’autre côté de la palmeraie. Ici, nous découvrons des tombeaux enterrés. Le mieux conservé est l’hypogée des trois frères. Un large escalier mène sous terre. Le tombeau se présente sous la forme d’un T. Le prolongement de l’escalier comporte les mêmes niches. En revanche, l’abside terminale est recouverte de belles fresques colorées. Dans les deux autres branches sont disposées des sculptures familiales. La finesse du travail est impressionnante.

Nous abandonnons là l’autre groupe Nomade pour aller découvrir le temple de Bel, point de départ de la longue colonnade. Dieu suprême du panthéon palmyrénien, il s’est vu consacrer un immense temple (plus de 200 mètres de côté) dans un assez bon état de conservation. Les hautes murailles ajoutées par les musulmans laissent tout de même apparaître de beaux alignements de colonnes. Comme le reste du site, ce temple est magnifique à la fois immense, beau et tellement riche de culture. Nous approchons ensuite de la « cella » aussi appelée « saint des saints », un temple dans le temple. L’accès se fait par un monumental portique. A l’intérieur, deux niches sculptées rappellent le panthéon palmyrénien. Quelques fresques sont là pour marquer la transformation ultérieure en église. Quant à la niche du dieu Bel, elle est creusée d’un mirhab, vestige de la période musulmane où l’église était devenue une mosquée. En repartant, nous passons près du portail aux sept portes, pour autant de divinités.

Nous rejoignons à pied le musée situé à l’entrée de la ville. Sur deux niveaux et un jardin ont été rassemblées quelques-unes des plus belles pièces retirées des fouilles. Quelle qualité pour certaines sculptures. A l’étage ont été déposées quatre momies récupérées dans quelques-uns des tombeaux-tours. Un audio-guide est proposé gratuitement mais visiblement il ne fonctionne que sur une partie du rez-de-chaussée. Comme il est encore tôt (seulement midi !), nous répondons favorablement à la proposition de Carrol d’aller marcher dans la palmeraie. Nous y pénétrons à l’angle du temple de Bel. Le chemin sinue entre les murets de torchis qui ceignent des petites propriétés où poussent dattiers, oliviers ou encore grenadiers. En entendant couler l’eau, nous découvrons l’existence de conduites et de canaux qui permettent d’irriguer toute la palmeraie et de la garder verdoyante. Nous parvenons ainsi jusqu’au jardin du paradis chez Kahtan. Il nous accueille chez lui et nous fait déguster toutes ses productions naturelles (sirops de dattes et de grenades, olives, dattes) ainsi que le traditionnel mais délicieux thé à la menthe. Du haut de la tour météo plantée dans son jardin, nous bénéficions d’un panorama à 360° sur la palmeraie et la cité antique. A regret, nous devons le quitter après une bonne heure, surpris par une telle hospitalité. Après une pause boisson dans un palace, le temps pour Carrol de régler une affaire et nous quittons définitivement Palmyre. La route pour Damas est tout aussi désertique que celle venant d’Alep. Au milieu de nulle part, nous nous arrêtons au carrefour menant vers l’Irak et Bagdad. Ou quand l’histoire récente crée des sujets de photo. C’est à quelques kilomètres de là que nous faisons la pause repas dans un lieu surprenant appelé Bagdad Café. Un véritable petit musée. Le menu est succulent : yaourt et lentilles-boulgour-oignons. Et un thé à la menthe pour faire descendre. Si nous étions seul à l’arrivée, les bus et minibus ont fini par arriver. Redwan le propriétaire ne cesse de s’inquiéter de savoir si tout va bien pour nous, toujours souriant.

A l’approche de Damas, nous retrouvons la pollution ainsi qu’une circulation dense et anarchique. Carrol a du mérite dans un tel flot. Cette fois, nous logeons dans un hôtel au nord-ouest de la vieille ville, à proximité du musée national. Ce soir nous mangeons tous dans un restaurant au cœur du quartier chrétien. Carrol a fait le nécessaire pour avoir un gâteau d’anniversaire avec une bougie. Tout le restaurant, bondé, s’éteint pour me chanter un joyeux anniversaire. Il y a même du champagne ! Et ce gâteau au chocolat se révèle bien bon.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article