Terres du Mékong (7), Koh Trong, l'île aux pamplemousses
Il est désormais temps de prendre la route pour un long trajet vers le sud. Durant les trois heures trente de liaison, nous traversons de nombreuses plantations d’essences désormais habituelles pour nous : hévéas, anacardiers, manguiers et bananiers. Nous rejoignons la ville de Kratie, au bord du Mékong à l’heure du déjeuner. Nous cassons la croûte dans un boui-boui du centre ville, un peu trop bruyant à mon goût. Nous rejoignons le quai vers treize heures. Nous abandonnons nos gros sacs au chauffeur pour continuer à voyager léger. Notre destination est tout proche : l’île de Koh Trong, juste en face de nous. Mais il n’est pas si simple de la rejoindre. Nous patientons une vingtaine de minutes avant de le voir accoster au ponton en contrebas. Bizarrement, nous sommes les seuls à monter à bord de suite. Nous trouvons le temps long. En fait, la patronne attend une quarantaine de minutes que les passagers soient suffisamment nombreux avant d’effectuer la traversée. Toute cette attente pour seulement cinq minutes de traversée.
Il faut plus de temps pour rejoindre les berges de l’île. En cette saison, le niveau du Mékong a déjà fortement baissé. Nous devons donc descendre sur les bancs de sable et trouver un chemin à pied sec. La ligne droite n’est pas forcément la meilleure solution. Devant nous les motos-taxis ont embarqué une bonne partie des passagers, au moins deux ou trois par engin ! L’épreuve suivante consiste à trouver la location de vélos. Etant donné qu’elle a changé de place depuis la précédente visite de Sok, nous partons d’abord dans le mauvais sens avant de récupérer nos bicyclettes, tandis qu’Alain et Michel monte sur leur carriole tractée par un cheval. Je leur laisse mon sac un peu encombrant pour ma « monture ». Comme dirait Sok, ce sont des vélos cambodgiens : un panier des pédales en vrac et surtout pas adapté pour les chemins. Heureusement, l’île est toute plate : elle offre une ballade bucolique. Un chemin principal fait le tour de l’île, jamais très loin du rivage, desservant la plupart des maisons et quelques autres traversent dans le sens de largeur. Nous comprenons vite qu’ici les seuls moteurs sont ceux des scooters, sinon c’est le muscle des humains ou des animaux qui permet de se déplacer.
Assez rapidement, nous atteignons la pointe sud où se dresse une pagode vietnamienne. En avançant sous les arbres, nous apercevons en contrebas tout un village flottant où vivent uniquement des vietnamiens, une loi leur interdisant d’occuper des terres cambodgiennes. Etonnante vision alors que dans notre dos s’étire la ville de Kratie. Nous poursuivons notre ballade par la rive ouest de Koh Trong. C’est l’occasion de plonger dans la face agricole de l’île. La ceinture de bambous qui protège du vent sur tout le pourtour ne laisse pas soupçonner que le cœur des terres est une vaste rizière où nous apercevons quelques dizaines de vaches en train de paître. Bien évidemment, les maisons traditionnelles se répartissent en bordure du chemin avec un accès direct aux champs. Leurs jardins abritent systématiquement des bananiers et souvent de magnifiques pamplemousses qui font la fierté des lieux. Il faut reconnaitre qu’ils sont particulièrement goûteux. Les plantations maraichères occupent l’espace entre les maisons et la rizière. Nous assistons aussi au battage mécanique du riz. Par la même occasion, nous comprenons l’origine de toutes ces meules devant lesquelles nous passons depuis le début. Avant d’atteindre la pointe nord, nous coupons par le chemin qui passe devant la pagode nouvelle, bien plus vaste que son homologue vietnamienne. Une dizaine de minutes plus tard, nous arrivons enfin à notre hébergement, un des cinq gîtes gérés par la communauté villageoise. Nous allons loger à l’étage d’une maison traditionnelle.
C’est aussi le début d’un éloge de la lenteur. Déjà, la présence de trois hamacs, suspendus sous le plancher, donne le ton. Pas de place de libre. Au moment de l’apéro, notre logeuse est en manque de noix de coco pour préparer les milk-shakes commandés par mes deux compagnons de voyage. Un des filles part avec son scooter pour en dénicher. Nous frôlons la crise de fou rire quand, au moment du repas, nous apprenons que la soupe de poulet ne sera servi qu’à la fin du repas : pas de poulet. Cette fois, c’est le mari qui repart avec le scooter. Heureusement, les pamplemousses sont produits très très localement : la saveur est au rendez-vous. Malgré tous ces contretemps, nous finissons de manger vers vingt heures. Reste à s’occuper. Mais comment ? Il n’y a pas grand-chose à part penser ou regarder les étoiles…
Dimanche 25 Novembre, Koh Trong
La nuit a été mauvaise, ou plutôt très hachée suite à de nombreuses visites aux toilettes. Quelque chose a perturbé mes entrailles. Vivement que ça passe. Heureusement Alain me dépanne avec des comprimés en attendant que nous récupérions nos bagages. Evidemment, cela s’est produit au moment où nous avions nos sacs minimalistes. Cela m’apprendra à ne pas conserver systématiquement la pharmacie avec moi. Quelques minutes avant l’heure nous remontons sur nos vélos alors qu’Alain et Michèle sont déjà partis avec des moto-taxis. Nous les restituons sans la moindre vérification avant de rejoindre à pied le bord de l’eau.
Comme c’était prévisible, le ferry n’est pas là. Nous le distinguons très bien à quai de l’autre côté du bras est du Mékong. Il ne reste qu’à patienter le temps nécessaire assis sur le sable. Heureusement que le temps est couvert et presque frais. Nous observons des autochtones en train de récolter des germes dans le sable ainsi que la manège des motos qui viennent déposer les autres passagers avant d’attendre le débarquement suivant. Après un gros quart d’heure, la sirène retentit sur la rive opposée. Le rafiot va enfin traverser. Ce n’est qu’une trentaine de minutes plus tard que nous retrouvons le ponton de Kratie : il a fallu attendre des retardataires. En revanche, notre chauffeur est toujours aussi ponctuel et nous attend en haut des escaliers.
Nous continuons immédiatement notre progression vers le sud jusqu’au village de Chhlong qui s’étire le long du Mékong juste après son grand coude vers l’ouest. En marchant dans les rues, nous dénichons d’abord une grande maison khmère de l’époque coloniale, toute en bois, reposant à l’origine sur une centaine de piliers (un peu moins maintenant !). Au sommet du faitage, une inscription indique la date de 1907. D’en dessous, on pourrait presque croire à une petite forêt. La propriétaire de lieux nous laisse monter et jeter un œil : il n’y a en fait que quelques pièces utilisées où s’entassent de nombreux enfants. Plusieurs grands volumes semblent pour l’instant à l’abandon. En ressortant, Sok a la mauvaise surprise de découvrir qu’elle lui exige un paiement bien plus important qu’il ne l’imaginait.
Un peu plus loin, la foule devient plus dense autour du marché local. Les produits sont préparés et présentés sur des bâches à même le sol d’une rue en terre. Avec la proximité du fleuve, les poissons ont naturellement une place importante. D’anciens bâtiments coloniaux édifiés par les français servent d’écrin à toute cette agitation. Leur architecture contraste nettement avec la majorité des maisons autochtones toutes en bois. Ces constructions en pierres de taille présentent des loggias aux larges arcades. Malheureusement, leur entretien semble ne pas être la priorité. Leurs façades se décrépissent à vue d’œil : la végétation envahit petit à petit les bâtiments « endormis ». Malgré leur taille, personne n’habite plus en ces lieux. Une page d’histoire, celle de l’Indochine française, est clairement en train de se tourner.