Chaleureux Paraguay (6)
Samedi 11 Mai, Santa Maria de Fe
Bien que morcelée, la nuit fut longue. Je ne m’arrache du lit que vers sept heures dix (cela flirte avec la grasse matinée). C’est bien la première fois que cela m’arrive depuis notre arrivée. Heureusement que nous avions le temps ce matin. Après avoir avalé le petit-déjeuner, nous partons déambuler dans les rues de Santa Maria en compagnie de Milciades, notre hôte. En ce samedi matin, à seulement neuf heures, sous un temps gris, nous ne croisons pas grand monde, à tel point que nous marchons la plupart du temps au milieu des rues. Nous réveillons ce que Nathalia appelle les « chiens sonneurs » lorsque nous approchons des maisons pour observer ici un arbre, là une jolie fleur. Au hasard d’une intersection, j’aperçois ce qui ressemble à la forme d’un cochon suspendu par les pattes de derrière, comme un flash-back de mes toutes jeunes années dans la ferme de Pépé. Avec quelques autres, nous approchons pour en avoir le cœur net. Les gens sont tellement accueillants qu’ils viennent nous ouvrir le portail et nous invitent à rentrer dans leur cour. Et effectivement, ils sont bien en train de raser le cochon, sûrement abattu de frais et qui sera mangé ce soir. Plus loin, après avoir croisé la rue principale en plein préparatifs de fête nationale (de nombreux drapeaux sont déjà suspendus au dessus de la voie), nous sommes intrigués par le nom d’une école qui sonne bien français. Et pour cause ! Aimé Bonpland fut un explorateur et botaniste français qui fit de l’Amérique Latine son terrain de jeu. Lors de son séjour au Paraguay, il déplut au dictateur Francia qui le fit emprisonner puis mettre en résidence surveillée.
Nous poursuivons jusqu’à longer une route quasi déserte qui nous mène à l’ancienne source d’eau du village, convertie depuis en un long lavoir composé de sept bassins successifs, couvertes par un toit plutôt bas ! Gare quand on s’approche à baisser la tête. Aujourd’hui, il ne fait pas bon y tremper le moindre linge tant le niveau de l’eau est bas et les algues épaisses. Après une petite pause sur la plateforme au-dessus de la rivière voisine, nous remontons tranquillement vers le centre tandis que la ville commence enfin à prendre vie. Ainsi, nos pas nous ramènent jusqu’à la place centrale où nous rejoignons le musée diocésain situé peu ou prou en face de notre auberge.
Extérieurement, il présente la même architecture traditionnelle que notre hébergement, autant dire qu’il est tout en sobriété et simplicité avec ses murs blancs et ses toits relativement bas. Ce discret édifice sert d’écrin pour les vestiges de l’ancienne église des jésuites, aujourd’hui détruite faute d’entretien. L’actuelle, de style contemporain, ne présente aucun intérêt patrimonial et, de toute façon, elle est fermée. Le gardien du musée nous attend dans le jardin pour commencer à nous transmettre toutes ses connaissances sur les œuvres qui ont été rassemblées dans ces murs. A travers elles, c’est une bonne partie de l’histoire des missions, appelées réductions, qu’il partage avec nous, abordant, en particulier l’évangélisation du peuple guarani par les missionnaires jésuites. De vieilles cartes permettent de mieux visualiser ce qu’était le Paraguay avant la guerre. Je me rends ainsi bien mieux compte de l’impact immense qu’a eu ce conflit sur son territoire. Quant aux statues qui constituent l’essentiel du trésor, elles ornaient principalement le grand autel qu’il faut imaginer de style baroque, d’où aussi la quantité. De manière très instructive, les sculptures sont exposées par paires, d’une part l’original réalisé par le maitre italien Brasanelli, d’autre part la copie réalisée par des artistes autochtones guaranis. Si pour l’essentiel, les deux se ressemblent fortement, quelques différences sont visibles et notables : visages fins pour l’italien, mais ronds pour les guaranis, dorures pour l’italien, couleurs pour les guaranis, vêtements droits pour l’italien, en mouvement pour les guaranis. Nous pourrions passer des heures à écouter notre hôte nous conter cette histoire riche et passionnante mais il faut songer à le quitter. Le bus nous attend de l’autre côté de la place devant l’auberge.
Quelques kilomètres plus loin, nous mettons pied à terre à San Ignacio Guazu, une autre réduction jésuite qui, comme Santa Maria, a perdu l’essentiel de son apparence historique. Vu l’heure, nous commençons directement par prendre le déjeuner dans un petit restaurant qui a tout d’une œuvre d’art : mosaïques au sol sur la terrasse, fresques au plafond, fresques sur les murs, tableaux, œuvres en relief faites de végétaux et graines. En résumé un petit musée d’art servant de salle à manger ! Etonnant ! Bien qu’ayant pris notre temps, par choix et par contrainte, nous sortons néanmoins de table trop tôt pour la suite. Aussi, nous partons marcher autour du pâté de maisons en attendant l’heure. Comme ce matin dans l’autre village, nous ne croisons pas âme qui vive ou presque, pas même un « chien-sonnette » ! De retour devant la porte du musée, nous la trouvons ouverte dix minutes en avance sur l’horaire théorique. Dans le principe, il ressemble à celui de Santa Maria. L’église ayant disparu ici aussi, pour les mêmes raisons, c’est l’ancienne collégiale qui sert de salle d’exposition pour le musée diocésain jésuite. Ici on essaie d’évoquer un peu plus l’histoire de ces missionnaires et un peu moins l’art religieux même s’il représente l’essentiel du fonds. Et puis il persiste encore une chapelle, toujours consacrée, et un vaste cloitre arboré. Peut –être cela s’explique-t-il par la présence de jésuites dans ces murs encore à ce jour. Nous essayons de ne pas trop déranger les adolescents dispersés un peu partout, a priori en retraite spirituelle pour préparer une communion.
En quittant San Ignacio, Nathalia nous emmène de manière impromptue jusqu’au village de Tañarandy, voisin de San Ignacio où nous nous arrêtons devant une chapelle qui ne paye pas de mine extérieurement. Pour l’instant, nous nous demandons pourquoi nous sommes là. D’autant plus qu’il faut déjà trouver quelqu’un qui aurait les clés pour ouvrir la porte. Après quelques minutes de patience, un jeune homme vient nous donner accès à l’intérieur. Immédiatement, nous retrouvons des ressemblances avec les peintures du restaurant Arcadia où nous étions quelques heures plus tôt. Et pour cause, l’une comme l’autre ont été décoré par Koki Ruiz, un artiste local mondialement connu. C’est un style très personnel et contemporain. Nous sommes loin des représentations religieuses traditionnelles ; quoique reprenant les symboles, le peintre a livré sa propre interprétation et son parti pris.
Après des négociations entre Nathalia et notre porte-clés, nous obtenons le feu vert pour aller voir l’atelier de l’artiste un peu plus loin dans le village. Pour des raisons de santé, il se trouve à l’étranger mais sa fille, elle aussi peintre, a accepté de nous recevoir. Notre bus nous déposant à distance, nous devons une nouvelle fois attendre, le temps que les chiens soient tenus en laisse, avant de pouvoir avancer à pied. Ici ils n’ont pas l’air de n’être que « sonneries » ! Alors seulement, nous nous dirigeons et pénétrons dans la petite maisonnette isolée de la maison qui fait office d’atelier, un espace finalement assez petit. Diverses œuvres sont en cours à la fois des commandes et des « originaux ». Nous pouvons nous rendre compte de plus près comment il réalise ses fameux reliefs que j’avais aperçu au mur de la salle du restaurant. Après quelques questions, dont certaines très précises sur la technique, nous prenons congé et rejoignons le bus pour rentrer à Santa Maria où nous parvenons à la nuit. Ni une ni deux, la poignée d’intéressés se dirige vers l’atelier artisanal des brodeuses juste à côté de l’auberge, enfin accessible. Aux dires de Milciades, elles ouvrent quand elles veulent ! A défaut de les voir travailler, nous jetons un œil à leurs réalisations et à certains éléments de futures créations. Une dizaine de minutes suffisent à faire le tour avant de rejoindre nos chambres.
Rapidement, nous optons pour un petit apéritif en attendant la surprise du soir. Et pour l’agrémenter, Milcie nous propose gentiment d’aller nous ravitailler en amuses-bouche. Tout ce qu’il faut pour nous aider à patienter en attendant nos deux musiciens, un guitariste (également chanteur et professeur de musique) et une jeune harpiste. Tantôt en duo, tantôt en solo, tantôt purement instrumental, tantôt chantés, ils nous interprètent différents titres typiquement paraguayens. Lors de l’incontournable polka, Milciades, un peu forcé, et Nathalia se joignent au spectacle pour exécuter quelques pas de danses le temps du morceau. Encore un moment privilégié que nous a concocté Naty. Elle assure ! Après le repas, lui aussi traditionnel (la fameuse soupe de poulet découvert à La Colmena), notre hôte nous raconte qu’une soirée d’anciens élèves a lieu ce soir dans un stade de la ville. Qu’attendons-nous pour aller voir ? A défaut d’entendre la moindre musique, nous nous faisons préciser deux fois comment nous y rendre. Nous partons donc à cinq dans la douce nuit, comptant attentivement les blocs pour ne pas manquer le carrefour où tourner à droite. Petit à petit, le boum-boum commence à parvenir à nos oreilles de plus en plus fort. A priori, nous ne sommes pas perdus. Arrivés sur place, nous comprenons qu’en théorie, l’accès est payant et gardé par trois vigiles. Dans un premier temps, il ne semble pas possible de pouvoir entrer sur un « malentendu ». Patrice arrive à rentrer sans poser de question …filant droit devant lui … Finalement, après quelques palabres et l’arrivée de l’organisatrice de la soirée, nous recevons l’autorisation de rejoindre l’intérieur. Contrairement aux promotions, représentant au moins les vingt dernières années, qui se regroupent dans les gradins derrière les grilles et accompagnées de la miss de l’époque, nous nous postons sur le bord du terrain encore bien désert à cette heure-là. A se demander à partir de quand les locaux profitent de la musique. J’ai comme l’impression que nous faisons tache au milieu, mais qu’importe. Nul doute que les gens dans les gradins doivent se demander qui sont ces cinq énergumènes, ressemblant à des touristes. Quand le son nous inspire, nous esquissons quelques pas ou nous nous trémoussons. Néanmoins, nous ne nous attardons pas trop longtemps. Ici les soirées dansantes à proprement parler ne commenceraient que vers une heure du matin. Nous nous éclipsons donc après une grosse demi-heure. De retour à l’auberge, je me rends compte que désormais, j’entends très bien les décibels de la fiesta. D’ailleurs, suite à une nuit des plus fractionnées, je constate que la musique dure toute la nuit, assurément jusqu’à six heures au moins.