A la découverte des trésors du Levant (1)

Publié le par Jérôme Voyageur

Le Krak des Chevaliers
Le Krak des Chevaliers

Samedi 9 octobre 2010, Paris

Enfin les vacances, deux semaines pour souffler et m’aérer l’esprit. Le chemin va être moins direct que d’habitude, la faute à un chantier qui coupe le RER entre Paris et Roissy. Je prévois donc de bonnes marges pour rejoindre le centre de Paris, changer de RER puis enfin sauter dans le Roissybus. Il n’y a plus qu’à patienter jusqu’à l’aérogare. Au bilan, il fallait bien ces marges puisque j’arrive juste quelques minutes avant le rendez-vous. En réalité, personne n’attend. Direction l’enregistrement. La borne me délivre un billet temporaire. Que se passe-t-il donc ? L’affaire se présente mal. Arrivé au comptoir du dépose-bagages, l’hôtesse me donne enfin une carte d’embarquement. Il semblerait qu’il n’y avait plus de places dans le tarif correspondant à mon billet ! Voilà autre chose !

Muni du précieux sésame (des fois qu’ils changeraient d’avis), je pars directement vers le contrôle des papiers. Ce faisant, j’inaugure ma récente inscription au système Parafes. Ou comment ne pas attendre à l’immigration. Lecture optique du passeport, entrée dans un sas, lecture d’une empreinte de doigt et le tour est joué, en une poignée de minutes. Encore un nouveau moyen de transport pour rejoindre l’extension du terminal 2E par métro automatique.

Désormais, il faut attendre que l’avion arrive. Cette section du terminal est plutôt calme en dehors de la zone des boutiques. Deux A380 d’Air France attendent leur cargaison de passagers, pour New York et Tokyo. Pour Damas, ce ne sera qu’un modeste A320. Grâce au beau temps, nous pouvons voir défiler les Alpes, puis la côte dalmate avant de survoler les confettis que constituent les nombreuses îles grecques. La nuit tombe avant que nous apercevions la côte libanaise puis rapidement les lumières syriennes. Bientôt, une tâche lumineuse plus importante annonce Damas et son aéroport. Nous sommes le seul avion et pourtant, il nous faut terminer en bus. Arrivant dans les premiers, le contrôle d’immigration est assez rapide et pas tatillon. Pendant ce temps, les bagages sont déjà en train d’arriver. Evidemment, le mien arrive dans les derniers. Dans le hall, j’ai un moment de panique en ne voyant aucun panneau Nomade. Il me faut plusieurs longues minutes avant d’apercevoir notre guide Khedar, alias Arik, alias Georges. Bientôt les deux couples arrivent, d’abord Michel et Chantal de Toulouse, et puis Maurice et Michèle de Lyon. Quelques minutes suffisent pour faire le change. Nous pouvons alors embarquer dans un minibus pour une petite demi-heure de route jusqu’à Damas. Cette pseudo autoroute en comporte aucune ligne ; ça circule un peu partout, parfois à quatre ou cinq de front.

Nous débarquons finalement dans un quartier au sud-est de la vieille ville, où nous passerons la nuit dans le monastère Saint Elias. En apparence, on dirait surtout un hôtel. Il y a même deux ordinateurs connectés à internet haut-débit en libre-service. J’en profite rapidement mais utiliser Messenger en langue arabe n’a rien de simple pour retrouver les menus, et quelle surprise de voir mes mots s’aligner sur la droite ; heureusement, ils arrivent dans le bon sens à l’autre bout. Après une présentation du circuit, Khedar nous conduit jusqu’au cœur de la vieille ville, au cœur du quartier chrétien, dans un restaurant-bar à chicha. Le cadre est sympathique pour un service plutôt long. C’est que la marche pour le rejoindre nous a ouvert l’appétit. Elle nous a permis de découvrir un lieu plutôt vivant la nuit et des filles rarement voilées. Nous apprendrons le lendemain qu’il s’agissait probablement de chrétiennes dans cette partie de la ville. C’est donc vers minuit que j’arrive enfin à me coucher pour une première nuit sous le ciel syrien.

Dimanche 10 octobre, Damas

Si l’endormissement a été difficile à trouver, le reste de la nuit fut très calme, pas un bruit, pas même le muezzin vers 5h du matin. Il est vrai néanmoins que nous sommes entourés principalement d’églises, à proximité du quartier chrétien. Le petit-déjeuner est un peu surprenant : thé incontournable, œuf, olives, fromage blanc, galette et confiture. Dès que la tasse est vide le serveur revient. Nous attendons ensuite le chauffeur qui tarde à venir. Tout à côté, le pope appelle ses ouailles pour la messe dominicale.

Une fois le mini-van chargé, nous partons vers le nord. Le paysage est un peu pelé. La végétation n’est pas à la fête ici. En revanche, les casernes ont très bien fleuri, tout comme les photos du président, et même parfois celles de son père. Khedar nous explique que Bachar al-Asad est habituellement élu avec 100% des voix. Au bout d’une cinquantaine de kilomètres, nous atteignons le village de Maaloula. Nous nous arrêtons juste à l’entrée pour profiter d’une vue d’ensemble. Sa configuration est très particulière ; la plupart des maisons sont accrochées à flanc de colline, le long du Qalamoun. Les quelques façades bleutées ou jaunes forment un sympathique patchwork. A peine arrêtés face au village, un homme mûr approche son véhicule pour nous faire déguster ses diverses noix dans l’espoir d’en vendre quelques paquets. Nous picorons ainsi pistaches et amandes. Nous rejoignons ensuite le haut du village là où s’est établi le monastère Saints Serge et Bacchus, du nom de deux légionnaires, torturés à cause de leur conversion au christianisme. Sous un bâtiment somme toute assez récent et finalement assez quelconque se dissimule une antique église où trônent quelques icônes et deux autels aux rebords impressionnants. Dans cet édifice de rite catholique, nous avons le privilège d’entendre le Notre Père récité en araméen, à défaut de pouvoir prendre des photos. Pour les amateurs, il est possible de goûter au vin produit par les religieux. A l’extérieur, une terrasse offre un panorama sur le village en contrebas.

Le véhicule nous dépose ensuite quelques centaines de mètres plus loin ; si nous avions su, nous aurions fait le trajet à pied. Là, il faut deviner un chemin qui part en bord de route avant de passer sous celle-ci. Heureusement, nous avons notre guide. Le sentier commence dans un défilé rocheux assez étroit. La légende raconte que Sainte Thècle, poursuivie par les hommes de main de son père qui voulait attenter à sa vie du fait de sa nouvelle religion, s’est retrouvée face à un mur rocheux infranchissable. A force de prières, un passage s’est ouvert dans la falaise formant le défilé actuel. Nous nous croirions presque dans un canyon ; les parois sont longtemps très proches et ont tendance à s’élever. Au hasard d’un virage aveugle, nous tombons nez à nez avec un vieil homme chevauchant sa mule. Puis le passage s’élargit. Sur les deux parois, nous apercevons des niches creusées dans la roche. Finalement, nous débouchons au pied du couvent de Sainte Thècle, de rite grec orthodoxe. Nous commençons par les escaliers pour rejoindre la grotte au sommet du complexe. C’est là, dit-on, que la sainte se serait réfugiée. Un abricotier y pousse fuyant l’obscurité vers la lumière. Dans le fond coule une source miraculeuse qui soignerait les rhumatismes. Dans l’autre coin, une pièce abrite son tombeau ; on y pénètre pieds nus. Nous redescendons ensuite vers l’église et ses icônes. Chantal a même la chance d’assister à un baptême.

Alors que midi approche, nous reprenons la route vers le nord en direction de Homs. Le réseau routier est de bonne qualité ce qui permet de bien rouler. Homs nous offre un visage industriel peu engageant avec ses installations pétrochimiques. Nous bifurquons alors vers l’ouest en direction de Tartous et de la Méditerranée. A mi-chemin, nous changeons encore de route. Celle-ci commence à se vallonner avec des virages bien serrés et bien pentus. Déjà, nous apercevons une masse sur la crête au loin à la pointe sud du Djebel Ansarié. Notre destination approche.

Il s’agit du mythique Krak des Chevaliers, la pièce maîtresse des croisés au temps des croisades. Il écrase littéralement le village de Hosn, agrippé aux flancs de la colline. Avec une telle position dominante sur les vallées environnantes, on comprend vite pourquoi ce lieu a été choisi. Mais vu l’heure, la visite passe au second plan. A presque 14 heures, il commence à faire faim. Cette pause repas est l’occasion de faire le tour de la forteresse pour rejoindre le restaurant implanté face à la tour carrée et au donjon. Depuis notre table nous avons une vue directe sur les murailles. Nous sommes gâtés : plein de bonnes choses dans les multiples petites assiettes posées devant nous, à tel point qu’il n’y a plus le moindre espace libre sur la table. Houmous, purée d’aubergines, chou-fleur mariné, … et même du poulet grillé et saucé à l’huile d’olive et à l’ail. Heureusement, nous allons pouvoir nous dépenser dans la foulée. Après un thé à la menthe, bien sûr !

Pour une partie du groupe nous décidons de rejoindre l’entrée à pieds. Cela nous permet ainsi de voir l’aqueduc et d’appréhender le caractère imposant des murailles externes. Déjà de l’extérieur, nous devinons un édifice particulièrement bien conservé. Au 12ème siècle il pouvait accueillir jusqu’à 2000 chevaliers Hospitaliers. Saladin ne réussira jamais à le faire tomber.

Au-dessus du portail d’entrée, nous distinguons un lion ainsi que des inscriptions en arabe qu’on doit au chef mamelouk Baybars qui finit par reprendre le Krak aux croisés en 1271 après l’échec de la huitième croisade. Il continuera d’ailleurs à renforcer l’édifice. Nous commençons par explorer l’enceinte extérieure, son bassin, ses anciens thermes où nous apercevons encore quelques conduites en argile ainsi qu’une vasque. Nous sommes déjà à l’intérieur pourtant nous pourrions croire le contraire en voyant les massives murailles de la « petite » forteresse centrale sur notre droite. Nous allons d’ailleurs en faire le tour complet en marchant au sommet des remparts. Mais avant cela, il faut jeter un œil à la salle des 60 mètres, une immense écurie où nous apercevons encore quelques points d’attache pour les chevaux, percés directement dans les blocs composant les parois.

A la sortie de cette longue salle en pierres brutes, nous montons sur la tour d’angle sud-ouest. Laissant la tour carrée sur notre gauche, nous parcourons la muraille jusqu’à la tour du moulin, à peu près à l’opposé, passant quelques-unes des treize tours extérieures. Du haut de ses murs, nous appréhendons un peu mieux la situation stratégique du lieu. En contrebas, j’aperçois tour à tour quelques chèvres, un cheval puis un troupeau de moutons un peu plus loin. Après le moulin, nous redescendons vers le fossé pour boucler le tour et rejoindre l’entrée de l’enceinte intérieure.

Nous retrouvons encore diverses salles voûtées, souvent sombres malgré les trous de lumière percés dans les plafonds la plupart du temps assez bas. Dans un coin, à peu près sous le donjon, nous devinons des restes de jarre dans le sol. Elles servaient au stockage d’huile d’olive et autres provisions. Nous rejoignons ensuite la cuisine et son immense four circulaire, prolongée par une grande salle à manger. Apparait ensuite la salle capitulaire, certainement la plus belle pièce du Krak, tout du moins la plus esthétique. C’est le seul endroit où nous pouvons admirer des voûtes gothiques joliment nervurées, soutenues par des chapiteaux sculptés de thèmes végétaux. Les fenêtres aux ouvertures trilobées sont immanquables. Sur le bord de la dernière apparait une citation latine. A quelques mètres se tient la chapelle, qu’il faudrait plutôt appeler mosquée, puisqu’elle fut transformée en conséquence lors de l’installation de Baybars. Une chaire y a été édifiée et deux mihrabs creusés de part et d’autre. Un jeune homme appelle à la prière, posté devant l’un d’eux, pour montrer la qualité acoustique du lieu. En revanche, la pièce reste très austère en termes de décoration : pas la moindre sculpture.

Direction maintenant la cour haute cernée de ses magasins et veillée par ses trois tours dont un massif donjon au centre, et la tour bien ronde dite du Commandant sur la droite. Un passage sur les terrasses est incontournable pour apprécier le panorama même si le ciel nuageux ne nous permet pas d’apercevoir les monts du Liban. Cette fois, c’en est presque fini de ses deux heures de découverte d’un vestige merveilleusement conservé de la lointaine époque des croisés.

En nous éloignant vers le monastère de Saint-Georges, nous prenons encore plus conscience de la masse du Krak. Nous avons de nouveau l’occasion de l’observer depuis le parking du monastère. Celui-ci abrite derrière ses murs ocres un peu récents deux églises tenues par une communauté grecque orthodoxe. La plus ancienne, dans les sous-sols accessibles depuis la cour en contrebas, est certainement la plus intéressante avec ses icônes insérées dans une iconostase en ébène sculptée de fleurs et de scènes de la vie du saint. Dommage que les faïences de Damas, à la base, soient cachées par des rideaux. Dans les couloirs, il est aussi possible d’apercevoir des gravures sur cuivre de Saint-Georges terrassant le dragon, ainsi qu’une petite porte en pierre.

Après un détour dans la nouvelle église où officient deux popes et deux civils chargés des lectures religieuses, nous reprenons une dernière fois la route pour quelques kilomètres jusqu’au bourg de Mar Marita. Ce soir encore nous allons dormir dans un monastère, celui de Notre-Dame du Perpétuel Secours. Mais cette fois, il semble beaucoup plus religieux. Nous sommes accueillis par sœur Lydia, maitrisant parfaitement le français et l’arabe, qui nous indique nos chambres avant d’être aux petits soins avec nous jusqu’à 22 heures, lorsque je finis seul sur la terrasse, face aux lumières de la vallée. Elle s’inquiète encore de savoir si tout va bien, si j’ai tout ce qu’il me faut. Du coup, je me chargerai à sa place d’éteindre et de fermer. Une nouvelle fois l’accueil est très bien : grandes chambres propres, sanitaires collectifs (quoiqu’elle nous affecte à chacun une douche !) mais nickel et un repas, ma foi, bien bon même si la spécialité locale à base de céréales et de viande est quelque peu étouffante. Il fait bon sur la terrasse pour profiter de la nuit et des sons qui montent du village.

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