A la découverte des trésors du Levant (3)

Publié le par Jérôme Voyageur

La citadelle d'Alep
La citadelle d'Alep

Mercredi 13 octobre 2010, Alep

Après un petit-déjeuner assez peu matinal mais copieux, nous quittons Alep vers le nord-ouest. Au bout d’une trentaine de kilomètres, nous apercevons de nouveau quelques vestiges d’autres villes mortes. C’est tout d’abord une basilique, celle de Mouchabbak, perchée sur une crête à gauche de la route. Elle semble en excellent état de conservation mais nous continuons notre route en longeant de nouvelles villes mortes qui jalonnaient autrefois la route des pèlerins jusqu’à Saint-Siméon : Sitt Er-Rum, Qatura, Refadé et Deir Samaan, la dernière avant le but. Celle-ci est d’ailleurs en partie imbriquée dans le bourg nouveau. C’est là que nous mettons pied à terre. A quelques mètres de la route se dresse une ancienne hôtellerie sur trois niveaux, plutôt bien conservée. Au milieu des oliviers sinuent de nombreux murets. Nous apercevons aussi pas mal de linteaux encore posés sur leurs piliers. Cela donne un effet de portes sur le vide. Un peu plus loin subsistent quelques restes d’une église. La façade arbore des frises stylisées. En revanche, l’intérieur ressemble plus à un amas de pierres en désordre. Seules quelques colonnes ont résisté au temps.

Cette mise en bouche nous a préparés pour l’ascension vers le monastère de Saint Siméon aussi appelé Qalaat Samaan. Le chemin commence dans le prolongement de la voie sacrée qui traverse Deir Samaan. De toute façon il est impossible de le manquer : un arc, tout du moins ce qu’il en reste, l’enjambe. A travers une végétation basse, nous grimpons progressivement jusqu’à la muraille qui forme l’enceinte du complexe. Impossible néanmoins d’y pénétrer par le baptistère comme cela se faisait à l’époque. Il faut longer les murs jusqu’à l’entrée actuelle aménagée sur le côté à mi-distance entre la basilique et le baptistère. Nous sentons les effluves des pins d’Alep un peu plus présents dans cette région.

Quelques mètres au-dessus de l’entrée, nous atteignons une longue plateforme bordée d’arbres. Avant de commencer la visite, nous nous posons à l’ombre pour que Khedar nous conte l’histoire de ce saint un peu étrange qui pensait que pour atteindre Dieu, il devait souffrir. Il commença par s’enserrer la taille avec une corde régulièrement raccourcie, jusqu’au sang, puis s’enchaîna à un roc jusqu’à se percher pendant une trentaine d’années au sommet d’une colonne de plus de dix mètres, et ce sur le site actuel. De là vient l’origine du pèlerinage : lui rendre visite.

Nous commençons notre découverte par la basilique. Ce chef d’œuvre paléochrétien est en fait constitué de quatre basiliques à trois nefs disposées en étoile autour d’une cour centrale octogonale. La façade sud, la première que les visiteurs aperçoivent en arrivant, est certainement la plus belle avec ses trois arcs surmontés de tympans. Nous pénétrons dans le narthex d’où nous apercevons l’octogone avec en son centre ce qu’il reste de la sainte colonne : un gros bloc de pierre, tant les pèlerins en ont emporté en guise de relique. Chaque angle de l’octogone comporte une console frappée d’une croix chrétienne (latine, de malte, grecque et arménienne). Des colonnes encadrent chaque ouverture. La basilique ouest forme une terrasse offrant un point de vue sur les oliveraies, avec en fond, les montagnes turques. Celle du nord est plus quelconque, quoi que disposant encore de tous ses murs. Néanmoins, en la traversant, nous aboutissons à une crypte. Creusée directement dans la roche, elle laisse apparaitre six sarcophages évidés directement dans la roche. Un trou juste à l’entrée laisse entrevoir une crypte souterraine.

Nous contournons ensuite la basilique est par l’extérieur. Ainsi nous apercevons ce qu’il reste d’un bâtiment à trois niveaux qui devait servir au logement des prêtres puis une chapelle directement flanquée à cette dernière basilique. Nous pouvons y voir un baptistère finement sculpté, posé à l’envers dans un coin. Une porte mène directement à l’intérieur de la basilique doté d’une abside en cul-de-four et deux absidioles latérales. Nous observons un chœur surélevé par rapport au sol de l’édifice. En deux endroits, nous devinons le pavement originel en marbre. Elle devait être la seule utilisée pour le culte.

La visite se poursuit à l’autre extrémité de la plateforme avec le baptistère. Il reprend la forme octogonale de la cour centrale. Sur la face est, nous distinguons un trou dans le sol recouvert de mosaïques qui servait pour le baptême des pèlerins. Deux ouvertures et quelques marches permettaient d’y accéder directement de l’extérieur. Depuis la terrasse à l’arrière, nous pouvons observer la récolte des olives. Après cette belle visite sous le soleil, nous faisons une pause à l’ombre des pins en dégustant un jus de grenade fraîchement pressée.

Nous continuons vers le nord jusqu’au village d’Aïn Dara. A quelques centaines de mètres de celui-ci se dresse une butte appelée tell antique. Depuis le bas, nous devinons quelques pierres mais guère plus, rien qui inciterait à prendre un ticket pour y monter. Il faut emprunter le chemin qui tourne autour du tell pour en atteindre le sommet et découvrir le secret du lieu. Nous sommes accueillis par un énorme lion sculpté dans du basalte. Nous en devinons un autre renversé dans un trou un peu plus loin. En avançant encore, c’est toute la base d’un temple qui apparaît sous nos yeux, là aussi sculptée de lions et de sphinx ailés. Malheureusement, beaucoup des visages ont été dégradés. Nous avons en fait atteint un temple néo-hittite (environ dix siècles avant J.C.). Il n’en reste que la plateforme qui, assez mystérieusement, est marquée de quatre empreintes de pied mesurant quatre vingt dix centimètres. Leur origine reste un mystère aux yeux des archéologues. Du sommet de ce tell, nous disposons aussi d’un panorama sur la verdoyante vallée d’Afrine, vergers et troupeaux de moutons en contrebas.

Nous sommes en plein Kurdistan syrien. Le paysage vallonné est couvert quasi exclusivement d’oliviers. Nous pourrions presque nous croire en Andalousie. Toujours nous avançons, sans voir les kilomètres défiler et sans savoir quand nous mangerons. C’est vers 15 heures que nous faisons halte au pied du tombeau de Nebi Houri. Là semble vivre chichement une famille kurde. Le père assure la fonction de gardien du site. Nous allons manger très simplement ce qu’ils ont à nous offrir : galettes préparées sous nos yeux, yaourt, fromage et quelques conserves de leur petit commerce sans oublier l’or local : l’huile d’olive. Pour décor des oliviers à perte de vue et la Turquie à l’horizon. Tous ces gens sont très souriants et surtout très accueillants alors qu’ils n’ont pas grand chose. Pendant que la mère de famille prépare le repas aidée de son mari et de son fils, nous explorons cet antique tombeau (romain ou byzantin) qui sert de sanctuaire à un saint musulman. Il se présente sous la forme d’une tour hexagonale coiffée d’un toit pyramidal. En montant sur la plateforme par quelques marches plus qu’antiques, nous découvrons quelques chapiteaux corinthiens et une vue sur les environs. De retour dans la cour, je découvre la présence d’une petite mosquée et de nombreux rubans votifs noués au branches des arbustes, signe de la dévotion des populations des environs. Nous restons avec cette famille un long moment, surpris d’un tel accueil.

A une poignée de kilomètres, nous atteignons le site romain de Cyrrhus. Il est désormais très dégradé. Néanmoins les quelques fouilles ont pu révéler deux portions de pavement du cardo maximus. Sur une d’entre elles, nous pouvons même distinguer les sillons creusés par le passage des roues des chariots et autres attelages qui devaient y circuler. En surplomb sur notre gauche, nous devinons les quelques murs qui subsistent d’une antique citadelle. Mais le clou de ce site en accès libre, malgré le portail tiré, reste très certainement le théâtre. Il a été daté du second siècle après J.C. Si son mur de scène est écroulé, il subsiste en revanche une quinzaine de rangs encore en parfait état. La scène est quant à elle jonchée de pierres en tous genres : arcs, chapiteaux sculptés, colonnes en marbre ou en granit rose. Au loin, nous apercevons la ville turque de Killis.

Pour rejoindre Aazaz d’où part la bonne route vers Alep, il faut sinuer sur une route défoncée et franchir deux ponts romains sans balustrades et particulièrement bombés. A hauteur de Nubul, Khedar nous propose de passer chez lui alors que nous devions juste le déposer. Nous allons finalement y rester pour prendre le repas avec sa famille, de manière traditionnelle, assis par terre sur des coussins autour du tapis où sont disposés tous les plats. De quoi nourrir un régiment ! Encore une fois aujourd’hui, nous constatons le bon d’accueil du peuple syrien.

Nous rentrons vers Alep, de nuit, simplement avec Carrol. Encore une fois, c’est l’occasion de constater que certains ne se gênent pas pour circuler à contresens sur la voie rapide. Aux abords de l’hôtel, nous n’avons aucune difficulté ce soir pour trouver une place à proximité. Fin d’une journée au programme hors normes.

Jeudi 14 octobre, Alep

Nuit calme et sereine, sans réveil impromptu, grâce aux bouchons d’oreille. Que certains aleppins peuvent être bruyants au volant jusqu’au cœur de la nuit. Ce matin Khedar arrive avec son jeune fils Mohammed.

Ce jeudi est consacré à la découverte de la cité d’Alep, plus exactement de sa vieille ville. Dès 8h30, nous quittons l’hôtel vers le centre. Très vite nous passons à proximité de Tour de l’Horloge sur la place Bab al-Faraj, marquant la limite avec la ville nouvelle. Les commerces sont encore fermés pour la plupart à une heure aussi matinale. Nous longeons ensuite la grande mosquée avant de faire une halte au Khan al Wazir, un des nombreux caravansérails de la cité. Deux énormes portes métalliques cloutées peuvent en barrer l’accès. Une fois à l’intérieur, nous découvrons un lieu parfaitement conservé malgré son usage moderne. Il est en particulier possible de voir des thèmes décoratifs typiques. A l’étage, une coursive dessert tous les logements qui donnent sur la cour intérieure. Ces lieux abritent encore, depuis l’époque du protectorat, les consultas, ici celui de Suisse.

Enfin, nous commençons à apercevoir un bout de la citadelle, son extrémité occidentale. Enfin se révèle cette acropole qui surplombe la ville du haut de ses trente huit mètres. Une citadelle protégée par de nombreuses tours la coiffe. Ce côté imposant est renforcé par le glacis pavé et le large fossé, presque une trentaine de mètres de large. Il faut passer une première tour aux teintes jaune et noire avant d’emprunter le pont à huit arches qui remplacé le pont-levis. Sur la droite, nous apercevons une tour avancée mamelouke, implantée au pied de la colline. Le bastion d’accès est tout aussi impressionnant. Nous sommes étonnés par les trésors d’imagination pour rendre l’assaut difficile voire impossible. Nous voici enfin dans la place. Les habitations ont presque toutes disparu au fil des sacs. Nous nous enfonçons d’abord dans une salle souterraine byzantine sur la droite de la ruelle. Ici les briques ont remplacé la pierre. Nous sommes dans une citerne à trois nefs. Elle fut recyclée en prison puis en oubliettes.

De retour à l’air libre, nous passons dans la petite mosquée ou mosquée d’Abraham. On raconte qu’il s’y arrêta à cet endroit pour traire sa vache rousse. En poursuivant notre exploration nous apercevons dans un creux sur notre droite un chantier de fouilles. Des sculptures sur des blocs de basalte sont déjà apparues. Elles ressemblent à celles d’Aïn Dara. Direction ensuite la grande mosquée. Dans sa cour pousse trois pins d’Alep et un petit minaret la surplombe. Nous sinuons ensuite à travers ce qui devaient être des maisons d’habitation. Ici ou là nous distinguons une portion de pavement en marbre ou des restes de jarres. De la terrasse ouest, au sommet des remparts, le panorama est parfait, à la fois sur l’intérieur de la citadelle et sur la médina. La vue porte loin sur les banlieues lointaines de cette ville qui semble s’étendre à l’infini. Juste à nos pieds, nous pouvons voir la grande mosquée Omeyyade. Jusqu’à la caserne égyptienne, les remparts sont aménagés en terrasse. Nous y embrassons l’étendue impressionnante de la cité d’Alep.

En retournant vers le cœur de la citadelle, nous coupons à travers le théâtre moderne, mais façon antique. Le palais ayyoubide offre le spectacle d’une ancienne cascade. Au style, nous devinons de suite l’habitation d’un haut personnage. De là, nous franchissons les différentes salles du hammam où des mises en scène avec des mannequins permettent de comprendre le fonctionnement des lieux. La visite se termine au-dessus de la porte d’entrée dans le palais royal, dont le plafond est recouvert de boiseries peintes. De cette salle d’apparat, un modeste escalier ramène dans les entrailles du bastion, jusqu’au portail d’entrée.

Cette ballade nous aura occupés une bonne partie de la matinée. Nous passons à quelque chose de différent avec le souk artisanal installé tout prêt de la citadelle. L’ambiance est calme voire feutrée, mais les principaux objets artisanaux syriens y ont été rassemblés. C’est un avant-goût des « vrais » souks dont la porte Bab al-Zarb est située non loin. Nous sommes là à une extrémité de l’antique decumanus, une voie rectiligne qui traverse la médina de part en part. On y trouve de tout dans les échoppes ; les commerçants restent néanmoins assez peu insistants. Nous croisons régulièrement des charrettes à bras bien larges quand il ne s’agit pas de petites fourgonnettes. Autant dire qu’il vaut mieux se serrer. Les lieux sont très vivants mais cela n’a rien à voir avec ceux de Marrakech par exemple. J’ai du mal à comprendre tous ces commentaires dithyrambiques sur les souks d’Alep.

A mi-chemin, nous bifurquons pour sortir provisoirement des souks. Nous sommes parvenus à hauteur du bimaristan Arghoun. Cet ancien hôpital était réservé aux aliénés. Nous pénétrons d’abord dans une vaste cour intérieure où trônent un bassin et son puits. Sur les côtés, des loges accueillaient les médecins. Aujourd’hui des mannequins les remplacent, rappelant les principaux personnages du monde arabe dans le domaine médical. En continuant plus avant, nous découvrons les trois salles réservées pour enfermer les fous, selon leur degré de folie et leur sexe. Pour les plus atteints, les cellules étaient très réduites, de même que la courette percée d’un bassin (le bruit de l’eau devait les calmer) et surmontée d’une coupole percée d’un oculus de taille limitée, seule source de lumière pour les cellules. En rebroussant chemin, nous passons dans la cour réservée aux cas moins graves : la cour est plus grande, baignée par plus de lumière. Les onze cellules réparties autour de l’octogone sont plus grandes. Chacune accueille d’ailleurs une vitrine protégeant des objets médicaux. La dernière cour, de forme oblongue était destinée aux femmes qui bénéficiaient d’encore plus d’espace et de lumière. Après ces couloirs tout de même oppressants, il fait bon retrouver le calme et la clarté de la cour principale. A quelques mètres de l’effervescence des souks et pourtant presque dans le silence.

Juste en face se trouve la savonnerie. En cette saison, elle n’est pas en activité mais nous pouvons voir les installations ainsi que les piles de cubes de savon d’Alep préparé à base d’huile d’olive et de laurier. Nous avons même droit à un cours sur les différentes qualités et vieillissements. Il n’y a plus qu’à se charger ! Retour au pied de la citadelle pour manger bien plus tôt que d’habitude. Le ventre plein, nous reprenons les souks depuis le début. Cette fois, nous bifurquons à hauteur de la grande mosquée omeyyade. Les touristes ne peuvent utiliser qu’une seule entrée, gardée et surveillée. En plus du billet d’entrée, les femmes doivent endosser une longue jupe et une cape blanches. Seul le rond du visage n’est pas recouvert. On dirait des nonnes. Les chaussures doivent aussi être retirées. En levant les yeux, nous sommes surveillés par un beau minaret carré à quatre niveaux, typique de l’époque seljoukide. Une fois à l’intérieur, nous pouvons admirer la qualité du pavement ainsi que les kiosques à ablutions qu’on dirait coiffés par des casques. Dans la salle de prières des hommes, il faut jeter un œil au minbar en bois incrusté de nacre, une véritable œuvre d’art. Juste à côté se masse une foule dense, femmes à gauche, hommes à droite et une lice pour les séparer. Ils veulent approcher et toucher le tombeau du prophète Zacharie, père de Saint Jean-Baptiste.

Après cet interlude religio-culturel, nous reprenons notre progression dans les souks jusqu’à la porte d’Antakya o ils prennent fin, à l’ouest de la vieille ville. Nous nous dirigeons alors vers le musée national d’Alep. De nombreuses pièces archéologiques des différents sites du pays y ont été rassemblées. Nous reconnaissons ainsi les sculptures d’Aïn Dara. Je suis aussi impressionné par les tablettes cunéiformes, première écriture connue. En revanche, la muséographie date un peu et la fatigue de cette longue journée commence à se faire sentir.

Nous rejoignons vite l’hôtel distant seulement d’une centaine de mètres. Douche réparatrice et semi-coma au programme. Il faut bien ça pour ressortir manger, cette fois dans le quartier chrétien de Jdeidé à une adresse réputée. Le cadre de cette ancienne villa toute en pierres est magnifique. Chantal se lâche avec ses deux narguilés. Elle a même droit à un cours particulier de préparation de celui-ci.

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