Immersion zimbabwéenne (1)
Mercredi 8 Octobre 2014, Paris
Un temps à vous inciter au voyage accompagne mon réveil. Il tombe des cordes une bonne partie de la matinée. La chaleur promise dans l’autre hémisphère devient presque une nécessité. Mais il faut tout de même patienter toute la journée. Une de ces journées si particulières : motivante parce qu’elle débouche sur un départ au long cours mais si lente à s’écouler. Lassé d’attendre et de tourner en rond, je finis par me mettre en route peu après 18 heures. La nuit n’est pas encore tombée. En revanche, le ciel menace à nouveau. J’ai même le sentiment que quelques fines gouttes tentent une incursion. Pas de quoi mouiller suffisamment avant d’atteindre la gare RER.
Désormais, il faut patienter plus d’une heure, le temps nécessaire pour traverser Paris et ses banlieues sud et nord jusqu’à Roissy. Je suis serein tant j’ai pris de marge sur les horaires du vol. L’enregistrement se fait sans trop d’encombres dans un hall pas encore bondé, une fois n’est pas coutume. Je découvre que la seconde carte d’embarquement devra être récupérée durant le transit à Johannesburg. Heureusement que l’escale dure plus de deux heures. Espérons que cela se passera sans souci. J’ai des mauvais souvenirs de ce genre d’opération, du côté de Nairobi, entre autres. Tranquillement je poursuis ma progression vers le sas Parafe puis le train automatique et enfin le contrôle de sécurité dans le hall des gros porteurs. Ici aussi la fréquentation est clairsemée. Les deux ou trois vols au départ de ces portes sont programmés dans plus de trois heures. Du coup, les fauteuils de relaxation avec vue sur les pistes sont libres et bienvenus. J’attends 22 heures pour contacter les autres membres du groupe. En quelques minutes, nous nous retrouvons et faisons connaissance. Sylvie arrivée de Mulhouse très tôt dans l’après-midi, Fernand et Josiane arrivés hier de Marseille. Comme d’habitude, l’embarquement de l’A380 pour Johannesburg prend un peu de retard, mais rien de grave.
Cela a failli être un peu plus grave à quelques mètres de la piste sud-africaine quand soudain nous avons vu la piste s’éloigner par l’intermédiaire des écrans affichant la vue de la caméra placée sous l’avion. Quelques minutes plus tard, le commandant de bord nous indique qu’il y a eu une alarme sur le système de freinage e qui l’a conduit à remettre les gaz. Et une boucle de plus au-dessus de Johannesburg. La seconde approche est la bonne. Nous voici enfin en terre africaine. Tandis que Fernand et Josiane partent devant au triple galop pour tenter de régler leur problème de bagages, nous nous dirigeons tranquillement vers les guichets de transit pour récupérer nos prochaines cartes d’embarquement. Ce faisant, nous traversons de bout en bout l’aérogare international ce qui a le mérite de nous dégourdir les jambes après plus de dix heures d’immobilité. Au passage, je découvre avec surprise qu’il faut désormais un pseudo contrôle d’immigration avec tampon de transit sur le passeport. Heureusement qu’il n’y a quasiment personne. Il nous reste alors quelques dizaines de minutes pour nous poser, acheter de quoi faire quelques apéros et surtout attendre les deux autres, en espérant que tout se passe bien dans les délais impartis. Je ne pensais pas si bien dire en leur expliquant que ce serait juste : nous embarquons quelques minutes à peine avant la fermeture du vol dans le deuxième autobus qui nous conduit sur le tarmac jusqu’à notre avion. Place au dernier vol vers Harare à bord d’un petit Boeing de Comair, représentant local de British Airways, loin d’être complet. Un peu moins d’une heure trente est nécessaire pour rejoindre la capitale du Zimbabwe. Nous sommes le seul avion sur place ! Les premiers pas hors de la cabine donnent le ton : il ne fait pas froid, bien au contraire. Actualité oblige, nous passons un double contrôle Ebola, d’abord par la lecture de nos passeports (je doute vraiment de l’efficacité) et puis par un contrôle de température effectué par une caméra thermique. Il faut ensuite patienter de longues minutes pour passer le contrôle d’immigration et obtenir le visa. En attendant notre tour, j’aperçois Fred dans la coursive qui surplombe le hall d’arrivée. A l’entendre, c’était un passage efficace. Je me demande ce que ça peut être quand ils sont lents … encore un peu de patience et tous les bagages arrivent. Surprise dans le hall, nous rencontrons Isabelle qui fait aussi partie du groupe mais dont nous ignorions l’existence.
Une fois n’est pas coutume, Fred se fait conduire par le chauffeur de l’hôtel. Nous nous serrons dans ce véhicule pour quelques dizaines de minutes. Nous nous installons pour une nuit au Cresta Lodge : chambres confortables, coussins à profusion, parc agréable accueillant de nombreux oiseaux. L’endroit idéal pour une transition en douceur avant le bush. Malgré une douche réparatrice, le coup de barre guette. Nous nous retrouvons tous vers 18 heures ainsi qu’Inno, sans oublier Catherine et Dominique déjà sur place suite à leur expédition précédente, pour un petit apéritif suivi d’un bon repas. Evidemment amélioré à la mode Fred : il a fait le siège des cuisines dans l’après-midi pour nous faire préparer spécialement du poisson et même une mousse au chocolat. Il nous surprendra toujours !
Vendredi 10 Octobre, Harare
Comme dirait Fred, nous commençons par une grasse matinée. Contraints par les horaires de l’hôtel, nous ne pouvons pas prendre le petit-déjeuner avant 6h30. Bien évidemment, le rythme est vite pris de se lever bien avant l’heure. Une fois les véhicules chargés, il nous faut un bon moment pour traverser la capitale. Les embouteillages existent ici aussi. Direction le nord du pays.
Hormis les contrôles réguliers de la police, la route est plutôt bonne vers Chinhoyi puis Karoi. Nous avançons bien sous une chaleur qui se fait chaque instant bien présente. Dans l’après-midi, nous avons même l’impression qu’un vent chaud souffle, autant dire que la réhydratation est de rigueur. Nous avons vite retrouvé le chemin des vaches à eau. Pendant les cinquante premiers kilomètres, nous sommes étonnés par ces tracteurs miniatures au bord des routes. Ils sont l’œuvre d’artisans très doués qui parviennent à fabriquer des modèles réduits en métal et caoutchouc, uniquement à base de matériaux de récupération. Le résultat est vraiment ressemblant. Qui plus est, ils se laissent photographier en plein travail sans le moindre souci. Toute la matinée nous traversons des zones agricoles qui semblent produire des cultures très variées : nous reconnaissons du blé, du maïs, des choux, des oignons,… La crise agraire qui avait agité le pays il y a plus de dix ans semble bien loin.
Peu après la pause repas la route bitumée laisse place à une piste large mais parfois bien proche de la tôle ondulée, ce qui ne nous empêche pas de somnoler allègrement. Ce paysage est aussi plus « sauvage ». Nous traversons de nombreux petits villages et croisons beaucoup d’écoliers qui viennent de sortir de classe. Je suis agréablement surpris : pour la plupart, ils ne réclament pas, ils se contentent d’un signe de salut de la main. Après plusieurs villages traversés, nous remarquons la présence systématique de bâtiments hauts et souvent noircis de suie sur une des faces. Il s’agit en fait de séchoirs à tabac.
Fred nous permet d’en découvrir un de près en faisant halte dans un village de ce pays Shona. Le chef de famille nous accueille et nous fait découvrir sa propriété. D’abord du côté des séchoirs que nous découvrons aussi de l’intérieur. Il nous invite même dans sa case cuisine, totalement étonnante et inattendue. Un bon tiers de la paroi a été doté d’étagères faites de la même matière que la case. Elles sont entièrement recouvertes de vaisselle. C’est impressionnant. Et tout ceci d’une propreté parfaite. Après avoir profité de leur compagnie et après leur avoir laissé quelques présents, nous reprenons notre progression encore et toujours accablés par la chaleur. A l’occasion d’un mur de feu, nous observons plusieurs calaos et guêpiers carmin qui se régalent de tous les insectes chassés par les flammes. Plus loin, du haut d’un pont, nous distinguons quelques autres espèces telles le héron cendré, cette grande aigrette ou ce martin-pêcheur pie. Sur le haut des arbres, quelques vervets picorent en se croyant peut-être bien cachés.
Nous éclatons de rire au passage d’un contrôle anti tsé-tsé. A la base, le concept pourrait paraître sérieux mais la réalisation est ubuesque. Un agent s’approche de nous avec un petit filet à papillons et un spray d’insecticide. Il en pulvérise deux petites giclées sur chaque porte du côté gauche. Pour le reste du véhicule, rien. A croire que ces mouches ne montent qu’à gauche ! Vers 16h30, nous stoppons derrière un village non sans avoir demandé l’autorisation de nous installer là. Après une petite demi-heure d’observation, l’attroupement se disperse en silence. Cette première nuit devrait être assez confortable ; nous dormons sur du sable. L’expédition commence vraiment.
Samedi 11 Octobre, Pays Shona
Un peu plus et je réalisais l’exploit de ne pas me lever de la nuit. Celle-ci fut douce et agréable quoi que pas mal fractionnée. Parfaite néanmoins pour récupérer. Pour ne pas rompre avec les traditions, une fois le camp plié, nous partons marcher sur la piste. Les villages s’éveillent à peine. Sur les premières centaines de mètres, les oiseaux nous accompagnent : cinq ou six perroquets de Meyer, un guêpier nain, un drongho qui semble me suivre et plusieurs volées de petits granivores. Puis plus rien soudainement. Je réussis à couvrir un kilomètre et demi avant que Fred ne me rattrape.
Il ne faut pas bien longtemps avant d’atteindre le panneau indiquant le parc national de Matusadona implanté au bord du lac Kariba, et surtout le campement deTashinga. La flèche nous précise qu’il ne reste que quatre vingt un kilomètres mais Fred a vite fait de tempérer nos ardeurs. C’est une piste cassante à souhait qui nous attend. Nous nous en rendons compte très vite. Il y a des cailloux et des dévers partout. La vitesse moyenne flirte pendant un bon moment avec les dix kilomètres heure. Qui plus est la végétation est épaisse et sèche. Difficile d’avoir une bonne visibilité pour apercevoir une quelconque faune. Une pincée de chaleur en plus alors qu’il n’est que huit heures et quelques minutes. Et bien sûr, les escadrilles de mouches tsé-tsé qui guettent. Etonnamment, elles semblent moins voraces que celles croisées l’an dernier en Zambie. Furtivement, je déniche une petite antilope aux tons gris qui serait un céphalophe commun puis un peu plus tard un oréotrague, à peine plus gros que le précédent mais bien peu farouches. Nous devinons aussi deux ou trois groupes d’impalas ainsi qu’une famille de koudous. Dans le genre peu farouche, nous réussissons à observer à deux reprises une ganga bibande (autrement dit une perdrix des sables) totalement confiante dans son camouflage.
Il a fallu parcourir presque quinze kilomètres avant d’atteindre la barrière du parc. Mais il s’agit juste de remplir un registre de passage non sans avoir attendu que le garde de faction se réveille et nous rejoigne. Les formalités sont pour bien plus tard. Il faut bien parcourir la moitié du chemin pour trouver des pistes un peu plus roulantes, le temps en fait d’avoir descendu l’escarpement qui mène jusqu’aux rives du lac Kariba. Nous l’apercevons de plus en plus fréquemment, chaque fois une portion un peu plus grande.
Aux abords du camp, nous hésitons un moment mais le gros mâle éléphant que nous apercevons est plus convaincant ; nous le devançons en allant directement au campement de Tashinga puis direction le bord de l’eau où il est en train de prendre son bain. Nous l’approchons à pied à moins d’une centaine de mètres, en nous faisant de plus en plus petits à mesure que la distance se réduit. Il ne faudrait pas l’effrayer. Après ce charmant spectacle d’accueil, nous rembarquons pour rejoindre le quartier général des gardes situé à quelques centaines de mètres au-dessus du camp. Une fois les permis établis, nous pouvons retourner nous installer. Ce campement est implanté sur une presqu’île qui s’avance dans le lac, plantée de nombreux arbres sans qui nous ne pourrions pas résister faute d’ombre. Car ici, le soleil ne se cache pas et n’est pas avare de ses rayons. Malgré la chaleur et l’heure du repas, nous montons tous nos tentes, soit sous des arbres bas pour les moins joueurs, soit sous les plus hauts, histoire de risquer une visite éléphantesque. Après cette corvée en plein cagnard, nous nous blottissons à l’abri d’un grand figuier qui nous offre une large ombre bienvenue. De temps en temps, nous apercevons à l’autre bout du camp un couple de guibs harnachés. Dès la fin du repas, les douches ont beaucoup de succès, puis les nattes pour faire une petite sieste régénératrice.
A seize heures, nous partons marcher un peu autour de la presqu’île, souvent dans le sable. C’est aussi un moyen pour Fred de nous tester pour la traque prévue demain. Nous en profitons pour réviser l’identification des empreintes parfaitement conservées dans le sable : celles de la hyène, de l’hippopotame, du crocodile, de l’éléphant, … Sinon le spectacle de la faune reste limité : deux crocodiles craintifs qui filent dans l’eau bien avant notre arrivée. Ce n’est pas le cas des arbres morts qui bordent la plage. Eux sont bien en place, bien des années après la création du lac. Même le coucher de soleil qui s’annonçait sympathique finit dans les nuages. Il est temps de rentrer au camp pour savourer un bon filet de bœuf. Cet excellent repas fut interrompu par le passage d’un chacal à flancs rayés dont je me demande encore comment Fred a pu l’apercevoir dans le noir complet.
Dimanche 12 Octobre, Tashinga Camp, Matusadona National Park
Réveil plus que matinal. Fred devait faire le tour des tentes à 4h45. Mais à 4h30, il a déjà levé tout le monde ou presque. Autant dire que nous sommes largement prêts à 5h15 pour rejoindre le camp des gardes. Nous y récupérons Shepperd le pisteur et Bernard le garde. Chacun sur un toit. A cette heure matinale, il y fait particulièrement bon. J’aperçois deux éléphants assez proches puis un couple de gangas. Ce sera tout pour la faune. Sur les indications de nos guides, nous rejoignons un petit ruisseau s’écoulant au milieu de prairies herbeuses. Le cadre serait parfait pour accueillir de la faune assoiffée. Mais il n’en est rien. Il servira juste de point de départ à notre traque. Une poignée de cigognes à bec ouvert sont branchées au sommet des arbres morts. Ici se termine la partie automobile. Nous nous équipons le plus léger possible pour partir traquer le rhinocéros noir.
Le milieu est plutôt hostile : il faut slalomer, baisser la tête, se contorsionner pour éviter les branches en tous genres, parfois agressives. Régulièrement, nos pisteurs nous montrent des traces de passage, les plus récentes étant de la veille. Il s’agit soit d’empreintes plus ou moins marquées selon la dureté du sol, soit tout simplement d’excréments. Nous insistons pendant deux heures en vain sans voir de piste fraiche non sans crapahuter ici et là. Le coin est tout sauf plat ! De retour aux véhicules, nous faisons une pause bien méritée. J’ai besoin de souffler et de reposer mes pieds. Fred nous sort des fruits secs pour nous rebooster. Nous remontons ensuite sur les hauteurs, jusqu’à apercevoir de nouvelles traces en bord de piste. Nouvelle opération traque sur ces marques récentes. Manque de chance, au bout d’un quart d’heure, la piste de ce rhinocéros recoupe celle que nous venions d’emprunter avec les véhicules un peu plus tôt. Il vient tout simplement de nous passer derrière. Nous décidons une troisième tentative à quelques distances de là. Malheureusement, partout, il semble nous devancer alors que la chaleur se fait de plus en plus pesante. D’ailleurs, les deux derniers essais se sont faits avec un effectif plus réduit. Un peu déçus malgré l’immersion dans le biotope et la découverte du pistage, nous finissons par rebrousser chemin : la voie de la raison alors que nos pisteurs pourraient courir des heures encore !
Entre le camp des gardes et le nôtre, nous apercevons successivement quatre éléphants : des visites s’annoncent. Nous avons tout de même le temps de nous mettre à l’aise (le pantalon et les chaussures fermées, ça va bien pour affronter la végétation mais cela tient chaud !), de nous détendre un peu et de préparer le déjeuner. A partir de là, les choses « dérapent ». Un gros mâle éléphant a décidé de picorer juste à côté de nous, tandis qu’en arrière-plan, onze autres déboulent jusqu’à la plage, qui pour boire, qui pour prendre un bain boue-poussière, qui encore pour se baigner. Autant dire que le repas est fractionné et à effectif variable ! Heureusement que nous avons le temps. Le gros mâle tout placide finit par surmonter sa timidité, visiblement intéressé par un parfum émanant du véhicule de Fred. Il faut réagir sans tarder. Ni une ni deux, sans même fermer quoi que ce soit, Fred démarre le 4*4 et affronte l’éléphant à grands coups d’accélérateur. Il ne fait que reculer avant de retenter deux autres approches plus lointaines, avant finalement de quitter les lieux. La suite de l’heure chaude est donc beaucoup plus calme. Quelques pachydermes reviennent sur la plage voisine.
A 16 heures nous partons à quelques kilomètres du camp pour récupérer un bateau. C’est toujours une expérience sympathique d’approcher la faune par l’eau. Accessoirement il faut éviter les hippopotames immergés qui auraient vite fait de retourner notre coquille de noix. L’après-midi est tout de même calme. Hormis quatre éléphants venus boire l’eau du lac, nous voyons surtout des oiseaux, tout spécialement des cormorans, dont le gros anhinga. Nous approchons l’extrémité de ce bras du lac qui est recouvert de bois morts fièrement dressés vers le ciel, le tout sur fond de baobabs.
C’est sur le chemin du retour que les plaisanteries commencent. Le pilote fait d’abord passer quelques personnes vers l’arrière car nous prenons de l’eau par l’avant. Cela semble suffire pendant un moment sauf qu’au bout de dix minutes, les fuites reprennent de plus belle. Y compris dans mes pieds alors que je suis installé à mi-longueur de la coque de noix. Tout juste le temps de lever mon sac pour éviter le trempage fatal pour l’appareil photo. Le caisson avant est complètement rempli et déborde régulièrement. Néanmoins, notre pilote reste totalement stoïque. Ce sont Josiane et Catherine qui demandent de quoi écoper et qui vont le faire quasiment sans relâche jusqu’à la fin. Nous sommes un peu moins attentifs au spectacle qu’offrent à la fois le soleil déclinant et le lac à la surface étale. On dirait presqu’un vrai miroir, à tel point que sur l’horizon, il est difficile de faire la différence entre le ciel et l’eau. Nous approchons de l’île aux oiseaux. A distance, elle semble toute blanche. Les jumelles permettent de comprendre l’origine de cette impression : les arbres sont couverts de cormorans. Ainsi le guano s’accumule un peu partout. Cahin-caha, malgré ces péripéties, nous parvenons à retrouver la terre ferme un peu humides mais sains et saufs. Et dire que le bateau d’origine était en panne (apparemment un souci de gouvernail) !
De retour au campement, nous sommes accueillis d’abord par une troupe de babouins dont nous craignons les bêtises sur notre camp, puis surtout par un jeune chacal à flancs rayés tranquillement assis au milieu du site. Finalement, notre installation est intacte. Nous pouvons déguster une bière locale bien fraîche, grâce au frigo embarqué, avant de passer à la dégustation de la recette traditionnelle : la potée africaine ! Elle aussi sera interrompue par la présence d’un éléphant nous empêchant de rejoindre les sanitaires, puis l’arrivée bien tardive d’un véhicule.
Lundi 13 Octobre, Tashinga Camp, Matusadona National Park
Encore une nuit agitée ! Après trois heures tranquilles, je suis réveillé par un craquement d’arbres. J’aperçois la forme d’un éléphant près de la tente de Fred et Inno. Quelques minutes plus tard, il se retrouve à deux mètres de ma tente, commençant à s’attaquer aux nattes entreposées là sur le barbecue. Sous la tente sans toit avec une simple moustiquaire en guise de protection, la vision impressionne. Je vois alors Fred lui éclairer l’œil. Je pense un instant qu’il va démarrer tout droit et que je suis juste dans l’axe. Mais heureusement non, il se dirige droit vers la tente de Fred, faisant même mine de la toucher. Il s’attaque alors à l’arbre voisin histoire de faire diversion avant de revenir aussitôt vers sa cible. Là, Fred et Inno n’ont pas d’autre choix que de lui faire peur pour qu’il s’éloigne enfin. Opération réussie, nous avons pu terminer la nuit sans nouvelle embûche. J’ai même l’impression d’avoir plutôt bien dormi. Il fallait sûrement compter les éléphants !
A cinq heures passées, le petit-déjeuner est déjà presque englouti. Vingt minutes plus tard, nous sommes au quartier général pour récupérer nos pisteurs. Apparemment eux aussi ont émergés plus tôt. Aujourd’hui Shepperd a l’air en pleine forme. Comme hier, nous rejoignons les rives de la rivière Chura, non loin de son embouchure. C’est là que nous abandonnons nos véhicules ainsi qu’Inno. Les pisteurs ont décidé de changer de tactique aujourd’hui. Nous commençons par remonter la rivière. C’est plus agréable que la veille pour commencer. Petit à petit, le cours s’assèche et le lit se transforme en petit canyon à fond sableux. Dans le silence et la relative douceur des premières heures de la journée, le moment est magique. Nous observons de multiples traces au sol, beaucoup d’éléphants mais aussi de lions et d’antilopes. Il nous faut une bonne demi-heure avant de croiser la piste du rhinocéros noir. A partir de là commence vraiment la quête. Nous sommes contraints de quitter cet agréable lit de rivière pour commencer à zigzaguer, monter et descendre au gré des envies du pachyderme. J’en viens à me demander s’il ne fait pas exprès pour nous faire craquer. Nos pisteurs sont particulièrement doués : plusieurs fois ils partent devant pour retrouver trace de la piste dans des milieux parfois peu propices au marquage d’empreintes, comme ces diverses zones rocheuses. Après une heure trente à suivre sa trace, nous commençons à désespérer de le voir, sur cette énième colline alors que la chaleur commence à se faire bien présente. J’ai l’impression que nous n’avons fait que nous éloigner de notre point de départ. C’est qu’il faudra revenir ensuite ! Je me prends même à imaginer ne les suivre que si le rhinocéros est garanti.je commence à vraiment divaguer ! Soudain, un sifflet nous ramène à la réalité. « Ils ont retrouvé la piste, mais à quoi bon ? » suis-je en train de songer. Quelques centaines de mètres plus loin, stop et silence général. L’animal est en vue environ une centaine de mètres devant nous. Nous distinguons sa tête et surtout ses oreilles qui bougent en permanence. Cet instant est fugace mais quelle récompense après tous ces efforts ! Quand sa queue se dresse, l’observation se termine. Il part en courant, impossible de le suivre malgré un regain sensible de motivation de notre côté. Heureusement, tout le monde aura pu l’entrapercevoir. Après un semblant de traque de quelques minutes, nos pisteurs nous annoncent que c’est impossible de le suivre mais par contre, nous avons presque parcouru une boucle sans nous en rendre compte. Quelle heureuse nouvelle ! En une petite demi-heure, nous retrouvons Inno et les véhicules. Pour ma part, je suis crevé.
Sur le chemin du retour, nous refaisons halte au point de vue, du haut duquel nous apercevons un gros mâle en contrebas, paisiblement attablé sur et sous un acacia. Dernière halte au quartier général de Tashinga pour libérer nos gardes et discuter une dernière fois avec eux devant une carte du parc. Visiblement tout le monde a l’air ravi et heureux que nous ayons pu voir un rhinocéros noir.
A l’entrée du campement, c’est un couple de guibs harnachés qui tient l’accueil, sauf que le mâle devait être sacrément froussard pour filer ainsi dès notre arrivée, laissant sa moitié bien seule. En arrière-plan, un éléphant presque rouge ramasse ses friandises au sol. Il nous amuse en reposant sa trompe sur une de ses défenses ! Sinon tout le monde semble bien KO. Nous tenons jusqu’au repas et grâce au spectacle offert par les divers éléphants venant sur la plage. D’ailleurs, nous avons déplacé la table pour qu’elle ait la bonne vue. Mais, dès midi c’est la débandade. Chacun, à part Inno, dort dans son coin. Le groupe recommence à émerger vers quatorze heures. Le temps de prendre une douche revigorante et un petit goûter. Notre bateau du jour arrive avec trente minutes d’avance. Aujourd’hui, il semble en bon état et plus grand. Il vient même aborder sur la plage en contrebas de notre campement. A quinze heures trente, nous embarquons tous ou presque : il faut le désensabler et sauter à bord au vol avant de se tremper complètement. Notre embarcation du jour consiste en une plateforme métallique posée sur deux gros flotteurs, des fauteuils étant répartis sur toute la surface.
Aujourd’hui, nous partons dans le sens opposé d’hier, l’idée étant d’explorer le bras du lac situé de l’autre côté de la presqu’île en contrebas du quartier général des gardes. Pour cela il faut contourner la longue langue de sable et les bouquets d’arbres morts qui l’entourent. Nous voguons au fil des observations tantôt vers un groupe d’hippopotames qui sondent à notre arrivée, tantôt vers des cormorans, tantôt vers des crocodiles qui se mettent à l’eau avant même que nous arrivions. Plusieurs groupes d’éléphants se présentent, plus ou moins proches du rivage. Le dernier est le plus marquant. Parmi le groupe de quatre, un est beaucoup plus jeune. Il n’arrête pas de faire le pitre allant même jusqu’à se coucher sur le flanc comme l’aurait fait un humain. Malgré la distance et l’eau, les adultes doivent nous sentir, les trompes se dressent. En conséquence, le plus jeune se retrouve vite serré de près et dissimulé, au cas où. Plus que les observations, c’est l’ambiance au ras de l’eau qui est vraiment agréable. Sur le retour, nous commençons à jouer avec le soleil qui décline vraiment. Nous attendons sur la plage le coucher définitif. Fin de journée un peu cuisante mais ô combien intéressante. En revanche, il est vraiment temps de partir de là, encore de nouveaux arrivants à Tashinga. Nous ne sommes plus seuls !
Mardi 14 Octobre, Tashinga Camp, Matusadona National Park
Grasse matinée pour ce matin. Le petit déjeuner est calé à cinq heures quinze et la remise des sacs à six heures. Etonnamment, je me réveille presque à l’heure. Pourtant la nuit a été très calme. Je n’ai aperçu que quelques impalas à la faveur d’une sortie nocturne. Nous plions le camp tranquillement. Départ définitif de Tashinga.
A la sortie du campement, nous apercevons un calao terrestre qui détale, quelques éléphants et pas mal de pintades de Numidie. Le petit matin reste lui aussi assez calme. Depuis le point de vue, nous embrassons une dernière fois ce paysage fait d’îlots verts sur un bras du lac. Un énorme mâle éléphant semble finir sa nuit bien paisiblement en contrebas, tant il est quasi immobile. Nous ne voyons guère que ses oreilles bouger.
Nous partons finalement à bon train, croisant seulement quelques éléphants et divers oiseaux. Le garde en faction à la barrière fait du zèle en nous demandant le reçu pour s’assurer que tout a bien été payé. Pendant ce temps, nous faisons une pause : chaleur et tsé-tsé sont déjà présentes. Étonnamment mais par chance, les mouches ont l’air moins voraces aujourd’hui. Les batailles sont moins violentes. En revanche, la piste est toujours aussi cassante et pénible. Mais, paradoxalement, nous ressortons complètement du parc bien plus vite qu’à l’aller ! Quelques minutes plus tard, nous rejoignons la grande piste est-ouest.