Immersion zimbabwéenne (2)

Publié le par Jérôme Voyageur

Immersion zimbabwéenne (2)

Nous ne la parcourons que quelques minutes avant de nous arrêter à l’école primaire Kasvisva. Fred demande l’autorisation de nous y arrêter, requête qui reçoit évidemment une réponse positive tant ces gens sont accueillants. Il nous faut patienter un peu le temps que la pause se termine et que les cours reprennent. Nous en profitons pour nous désaltérer et préparer le repas. Finalement, nous passons à table aussi étant donné que la pause semble plutôt élastique. Nous assurons le spectacle pour une dizaine d’écoliers de tous âges, la plupart vêtus de bordeaux, la couleur de l’uniforme de l’établissement. Très sagement, ils gardent leurs distances et un relatif silence.

Le directeur nous fait visiter successivement deux classes (à peu près l’équivalent d’un CM2 et d’une 6ème), les niveaux couvrant allègrement deux à trois années, pour s’adapter au plus grand nombre. L’accueil, plutôt timide dans la première salle, se réchauffe dans la suivante, certains élèves étant plus volubiles, curieux et prêts à poser des questions. La France reste un lieu bien lointain et mystérieux pour ne pas dire inconnu. Etonnés par la faible affluence dans la seconde classe, le directeur nous répond que certains élèves préparent quelque chose pour notre venue. Nous les apercevons d’ailleurs en train de s’activer sous un arbre voisin dans la cour principale. Malgré cette chaleur, il fait presque meilleur dehors que dans ces salles chauffées à blanc. Le directeur nous conduit ensuite dans la cour où nous découvrons deux autres classes installées en plein air, le tableau calé tant bien que mal contre un arbre. Ce sont les plus petits niveaux qui semblent avoir pris l’air. Et nous rejoignons donc notre troupe qui nous présente une série de chants et de danses traditionnels. Puis c’est une autre classe qui s’approche pour un autre spectacle. Petit à petit nous nous rendons compte que toute l’école est en train de se rassembler autour de nous. A tel point que le directeur finit par tous les rassembler, enseignants compris. Pour une visite incognito, c’est définitivement raté. Ca joue des coudes dans les rangs. Les gamins veulent tous être au premier rang. L’idée d’origine était de les faire chanter tous ensembles, sauf que les enfants ont eu l’idée géniale de s’accompagner en tapant du pied au sol pour marquer le rythme. En quelques minutes, la masse de plus de trois cents écoliers disparait sous un nuage de poussière ; les professeurs comme nous ayant vite fait de reculer pour essayer de s’en préserver. L’expérience déborde un peu mais ils trouvent vite la solution. Les chants reprennent mais cette fois, ce sont les enseignants qui dansent et qui chantent parfois accompagnés de quelques élèves. Quel show inimaginable et inenvisageable chez nous ! Quel accueil improvisé ! Cela dure, dure sans que nous nous lassions. Et que dire quand Isabelle et Catherine dansent avec eux. La satisfaction est générale. Quel moment de partage ! Léger imprévu, une tornade vient balayer la cour en l’espace de quelques secondes. C’est la débandade générale. Pendant quelques minutes, il n’y a plus ni classe, ni blanc, ni noir, ni professeur, ni élève, ni visiteur. Nous allons pouvoir nous épousseter.

Encore que … est-ce bien nécessaire ? La piste est encore longue. Je somnole un bon moment tandis que Fred file bon train. Lorsque je me réveille, je vois bien moins. Mes lunettes de soleil sont recouvertes de poussière et moi avec. Vivement la douche de demain ! petit à petit, nous sommes entrés en pays Tonga, une ethnie venue à l’origine de la Zambie voisine. Les villages sont plus grands et les cases plus décorées que celles des Shonas, dont nous traversions le territoire depuis notre départ d’Harare. Nous faisons donc une pause dans l’un d’entre eux, du fait de la présence d’un énorme baobab, qui plus est couvert de feuilles, ce qui est rare. Il doit avoir plusieurs centaines d’années vu son diamètre impressionnant.

Nous reprenons la piste jusque vers seize heures, heure à laquelle Fred quitte l’axe principal pour s’enfoncer dans le bush. Nous avançons ainsi une dizaine de minutes au milieu de terrains exploités, jusqu’à atteindre les abords d’un village Tonga. Nous allons passer la nuit ici. Après un rapide montage du camp qui semble susciter une certaine surprise et l’intérêt de quelques dizaines de villageois, puis une petite collation, nous nous approchons du village lui-même. Son chef, accessoirement agriculteur, éleveur et guérisseur, accepte de nous accueillir chez lui. Tant que la lumière est belle, nous en profitons pour faire le tour des lieux. Le guide que le chef nous a assigné ne parle malheureusement pas l’anglais, autant dire qu’il est quasi impossible d’échanger. Le nombre de greniers et d’enclos à bétail nous impressionne : le village doit vivre décemment. D’ailleurs, aucun ne fait pitié et tous dégagent de la joie de vivre. Une fois le tour effectué, le chef nous invite à nous asseoir à ses côtés sur des chaises traditionnelles. Les jeunes face à nous sortent leurs percussions et commencent à mettre l’ambiance en dansant et en chantant. Pendant ce temps, Fred et le chef devisent tandis que la petite dernière joue sur les genoux de son père. A treize mois, nous sommes les premiers blancs qu’elle voit ; et cela ne lui fait même pas peur, pas le moindre pleur. Quel accueil là encore ! C’est tout simplement ahurissant ! Nous pourrions passer là des heures entières sans nous lasser. Tout le monde a le sourire. Les plus jeunes garçons s’éclipsent quelques secondes avant de réapparaître le visage poudré de clair (serait-ce de la poussière ?) et reprennent leurs danses. Quelques-unes des femmes du chef participent aussi. Ce village regroupe environ trente cinq personnes, dont les cinq épouses. L’heure tourne et il est temps de nous retirer d’autant plus que le chef doit prendre un bus de nuit pour aller soigner un patient.

Après avoir vu la traversée du troupeau de vaches au son des cloches à travers le village pour rejoindre le corral, nous assistons au lâcher de chevreaux. A peine la porte de la case dégagée par un des garçons, c’est la cavalcade. Le jeu consiste à réassembler les chèvres et leurs petits. Et gare aux erreurs, le petit fautif est vite rabroué. Cela prend quelques bonnes minutes pour que chacun retrouve la bonne tétine et boive goulument le lait maternel. Deux des femmes nous accompagnent jusqu’à notre campement : nous leur offrons des vêtements apportés par certains membres du groupe ainsi que quelques photos réalisées lors de voyages précédents ; il y a largement plus d’un an. Les sourires se font encore plus larges. Finalement, nous nous séparons des souvenirs pleins la tête et dans le cœur. Plus tard dans la soirée, la séance d’énigmes de Fred dégénère en fou rire général et bruyant. Nous allons finir par nous faire expulser par nos très accueillants hôtes.

Mercredi 15 Octobre 2014, bush camp en pays Tonga

Réveil en mode « grasse matinée » pour la deuxième journée consécutive. Ambiance paysanne avec le chant du coq, les aboiements des chiens, et les braiments des ânes. Une vraie faune ! Nous prenons notre temps pour plier le campement. Puis nous partons à pied devant les véhicules. Une fois n’est pas coutume, nous croisons pas mal de monde ce matin. Ces trois gamines qui se parlent d’un chemin à l’autre en faisant profiter tout le monde sont certainement les plus marquantes, sans oublier cette vieille femme Tonga en tenue traditionnelle avec son énorme pipe. Finalement, nous retrouvons la grande piste qui a tôt fait de m’anesthésier, malgré l’horaire matinal. De temps à autre, nous apercevons quelques artisans sur le bas-côté. Chaque coin a sa spécialité : tambours, haches de toutes tailles, animaux miniatures, … Aux environs de la Gwai River, le paysage escarpé est particulièrement intéressant, très minéral et pourtant couvert d’arbres déplumés en cette saison. Mêmes les baobabs sont présents, mais plutôt en modèles réduits. La piste s’est aussi transformée en une route bitumée, ce qui est bien plus agréable pour les conducteurs. Nous finissons par rejoindre le grand axe reliant Bulawayo à Victoria Falls. A peine l’avons-nous emprunté que nous atteignons le premier d’une longue série de barrages policiers. Ils auraient comme consigne de rapporter un maximum d’amendes. Cela se confirme très vite, à leur inspection tatillonne du second véhicule. Ils ne cèdent rien sur le fait que l’ampoule de la plaque d’immatriculation ne fonctionne pas. Nous sommes quittes pour vingt dollars de contravention sans compter le temps perdu. Heureusement, les contrôles suivants se franchissent sans la moindre vérification. C’est tout sauf logique !

Nous avons une autre surprise au moment du repas. Comme tout le temps, nous nous éloignons de la route pour trouver un coin calme et ombragé. Alors que nous finissons de pique-niquer, nous voyons passer deux autochtones à qui Fred décide de laisser le pain qui nous reste. Quelle surprise de les voir revenir quelques minutes avec un troisième larron arguant que nous sommes sur son terrain, et que nous aurions dû lui demander son autorisation. Ils notent même dans un vieux cahier nos immatriculations et un nom (faux bien évidemment !). Etonnant dans ce pays si accueillant. Inno, en Shona bien chauvin, prétend que ces Ndebele (l’ethnie installée autour de Victoria Falls) ne sont pas sympas du tout par nature. Sur cette étrange sensation, nous reprenons la route pour la dernière heure. Dès le passage de l’aéroport, je retrouve petit à petit mes repères, la ville n’a pas beaucoup changé pour cette troisième visite en onze ans. Une fois installés dans nos cottages, le premier réflexe quasi général est de courir sous la douche. Il faut reconnaitre que cela fait un bien fou d’évacuer toute cette poussière.

Vers seize heures, nous faisons une rapide sortie avec un seul véhicule histoire de repérer les lieux pour ceux qui auraient oublié (nous sommes tous déjà venus au moins une fois !), puis nous bifurquons juste avant les chutes dont nous longeons une partie du parc. A l’extrémité, du fait des basses eaux, nous pouvons descendre dans la partie asséchée du lit du Zambèze. C’est assez inimaginable et exceptionnel pour moi qui ait toujours vu les chutes en hautes eaux. Nous essayons même d’approcher doucement des chutes par l’amont jusqu’à ce qu’un garde du parc voisin nous rappelle à l’ordre de derrière sa grille. Bons clients, nous obtempérons et rejoignons Fred au véhicule. Nous poursuivons entre les baobabs, y compris au pied du « big tree », arbre plus que millénaire dont la ville s’enorgueillit.il faut quand même reconnaître qu’il est beau. Et tranquillement nous retrouvons le camp. Nous avons l’occasion d’y suivre un phacochère qui a réussi à s’incruster et à squatter les pelouses grasses. Il finit même par brouter couché sur le flanc.

Alors que l’apéro se termine et que le repas devrait suivre de très près, Fred me surprend en nous demandant si nous avons nos appareils photos à portée de main. Mais je percute vite quelle surprise il nous a réservée. L’installation de bancs sur la pelouse du cottage confirme mon hypothèse. Motus ! Il a fait venir les Black Amakwazi, cette troupe de chanteurs et danseurs traditionnels Ndebele, juste pour nous. Même la seconde fois c’est toujours aussi émouvant de puissance, de qualité et de talent. Ils entonnent et exécutent environ cinq titres. J’ai même droit à les rejoindre avec quelques autres pour le dernier morceau : Swing Low, Sweet Charriot, un comble pour moi. La surprise a touché tout le monde. Et pour couronner cette journée, quoi de mieux qu’un excellent filet de bœuf grillé. Encore un délice !

Jeudi 16 Octobre, Victoria Falls

Jour un peu spécial en ce qui me concerne. Je change aujourd’hui de décennie. Je bascule dans la quarantaine. Fred me souhaite mon anniversaire dès le réveil. Le petit-déjeuner se fera en deux fois ce matin. Nous commençons par un premier service léger, histoire de tenir deux ou trois heures. C’est la seule solution pour être à l’entrée des chutes à l’ouverture, à la fois pour essayer de voir le lever du soleil et aussi pour avoir le parc quasiment que pour nous. D’ailleurs, nous arrivons en même temps que la relève de la garde. Petit miracle, nous réussissons même à rentrer quelques minutes avant l’heure. Nous pressons le pas pour atteindre le premier point de vue, le plus propice à l’observation du lever du soleil. Malheureusement, le ciel est trop couvert ce matin. Nous progressons alors de point de vue en point de vue. Quelle surprise de ne ressentir aucune humidité, de voir la végétation sèche et de pouvoir accéder à l’intégralité des zones d’observations aménagées. Alors bien sûr, certaines cataractes sont plus minces voire même absentes. C’est assez étonnant comme sensation, tout comme la sensation de moiteur remplaçant la fraîcheur que je connaissais. Au hasard des chemins, nous observons aussi un peu de faune, dont un phacochère placide facile à suivre en écoutant les feuilles remuées. Mais la plus belle observation est certainement ce couple de calaos trompetteur sur leur figuier. Ils nous offrent même des scènes tendres de partage, une figue passant d’un bec à l’autre. Deux fois, nous tombons sur un guib harnaché bien peu farouche. Sur le chemin du retour, je déniche même un Cossyphe de Heuglin aux bien belles couleurs.

Au bout de la progression, nous pouvons en cette saison apercevoir le fond de la gorge, les cataractes côté zambien et le départ du Zambèze vers l’aval. Une équipe est même en train de gonfler des rafts en contrebas du point de vue ultime. Du haut de la falaise, ils paraissent lilliputiens. Finalement, c’est un bon repère pour prendre conscience de la hauteur des chutes. Je poursuis jusqu’au mirador du pont reliant les deux pays, en enjambant le Zambèze dans sa partie la plus étroite, avant de rebrousser chemin pour parcourir le parc jusqu’à son autre extrémité. Au bas des escaliers proches de Devil Cataract, je retrouve un semblant d’habitude : je suis mouillé par quelques embruns venant des cascades. Livingston, du haut de son socle, est toujours là à veiller sur les chutes consacrées à sa reine. Cela valait le coup de les voir en basses-eaux ne serait ce que pour en profiter dans leur intégralité et au sec. Néanmoins, il y manque, à mon goût, quelque chose. Le petit truc en plus qui fait que la nature est impétueuse et grandiose. En sortant, je profite des panneaux d’informations très intelligemment conçus dans le hall d’entrée. Nous échangeons même avec le garde en faction sur mes impressions. Il est même surpris que j’en sois à ma troisième visite.

Il est temps de rejoindre notre camp avec Inno pour prendre le deuxième petit-déjeuner tandis qu’une partie du groupe est partie faire un survol du site en hélicoptère. Le reste de la matinée sera consacré à un peu de shopping. Peu de choses me tentent vraiment … Quant au début d’après-midi, j’ai l’impression que c’est un repos général après le passage soudain de la pluie au moment du repas. Sur le coup des seize heures, Fred et Inno nous conduisent jusqu’au poste frontière. Non pas que nous ayons une envie soudaine de passer en Zambie mais c’est l’occasion de parcourir le pont à pied et profiter de ses points de vue sur les chutes et la gorge. Lors du passage des camions, il ondule littéralement. C’est assez surprenant. Heureusement qu’il n’y a qu’une seule voie de circulation et une restriction à un seul camion à la fois. Quelques babouins jouent avec les nerfs des gardes côté zambien ! Lors du passage retour, nous regardons quelques « fous » sauter à l’élastique depuis ce pont. Lors du premier saut, en voyant le gars disparaitre momentanément sous les structures du pont, je l’imagine collé dessous tel un moustique. Retourné côté zimbabwéen, nous restons un moment à regarder les fadas qui sautent dans le vide, et leur état quand ils reviennent sur la terre ferme. Derrière nous les vervets préparent des bêtises. Il faut dire qu’il y a là deux gardes qui les nourrissent, autant dire qu’ils pullulent. Enfin, nous remontons à pied jusqu’au poste de douane, en attendant que les véhicules viennent nous récupérer. Il faut écarter fermement les taxis qui essaient de nous embarquer. C’est assez amusant de les faire marcher !

Retour au camp pour une bonne douche et un apéritif avant d’aller au restaurant que Fred a prévu pour fêter ce grand jour pour moi. Nous rejoignons celui du camp. En cas d’excès, pas de risque avec la conduite. Nouvel apéro sans alcool cette fois, avant un délicieux velouté de butternut ! Slurp ! Alors que le service du plat chaud commence, je vois débarquer à nouveau les Black Amakwazi. Fred m’assure qu’ils viennent parfois se produire ici. Soit ! Au début, cela semble être le cas. Sauf que, après leur final, ils restent là et commencent à venir entourer notre table, puis je sens un de leur bandeau en fourrure se poser sur ma tête. Sacré Fred ! Quelle surprise ! Ils viennent chanter pour moi, me souhaiter mon anniversaire en ndebele puis en anglais. Dur, dur de garder ses émotions mais je reste digne. Petite note amusante, ils sont allés chercher le gâteau d’anniversaire alors que nous n’avions pas commencé le plat chaud. Fred et ces gars-là sont vraiment géniaux. Quelle façon unique de fêter son anniversaire dans un tel cadre et avec une telle ambiance. Non je n’écrase pas ma petite larme. Mais les congratulations de Fred, Inno et Catherine me touchent. La suite du repas est succulente. Repas conclus par un verre d’Amarula partagé avec Fred et Inno qui ne boivent jamais. Quelle soirée ! Demain est un nouveau départ pour l’expédition après cet intermède dans la civilisation.

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