Immersion zimbabwéenne (4)
Désormais, il faut reprendre la route plein est et tenir un bon rythme. Presque deux cent soixante quinze kilomètres nous séparent de la prochaine étape. Nous sommes retardés dans le second véhicule par une crevaison qui survient dès les premiers mètres sur la grande route. Fred est déjà hors de portée pour la radio et ne répond pas au téléphone. Cette longue voie, très souvent rectiligne, à pleine vitesse et en pleine chaleur, a vite raison de moi. Je m’éveille parfois pour soutenir Inno qui passe le plus clair de son temps seul à conduire avec quatre dormeurs à bord. A Bulawayo, seconde ville du pays, nous faisons une halte pour le ravitaillement en carburant, puis quelques produits frais sur un petit marché en plein centre ville. La traversée obligatoire de la ville me rappelle par certains points l’architecture du Cap en Afrique du Sud. Les courses sont bouclées en un temps record pour pouvoir arriver aux Matopos avant la nuit. Mission accomplie ! Nous parvenons à faire les formalités d’entrée du parc, traverser une bonne partie du parc national jusqu’au campement de Maleme Dam et planter les tentes à la lumière du jour. Nous voici pour quelques jours dans les Matopos, classés au patrimoine mondial de l’Unesco, et réputés pour ses nombreuses formations minérales et ses peintures rupestres. Certains, malgré la nuit, osent une douche à dix huit heures, comme si nous étions sales…
Mardi 21 Octobre, Maleme Dam, Matopos National Park
Contrairement aux prévisions météorologiques, la nuit fut plutôt douce. Il faut dire que dormir au pied de falaises rocheuses chauffées toutes la journée par le soleil permet de bénéficier d’une agréable chaleur nocturne. Nous avons un peu de temps pour le petit-déjeuner étant donné que notre pisteur ne sera là que vers six heures. En l’attendant devant le bureau des gardes, nous réussissons à observer quelques oréotragues sur les rochers tout proches. Une fois montés sur les toits des véhicules, nous partons pour une vingtaine de kilomètres de route. C’est l’occasion de profiter du paysage dont les crêtes commencent à se réchauffer alors que le soleil monte. La dernière partie du parcours se fait sur une piste sablonneuse. Maurice, notre garde-pisteur, descend du toit pour chercher les pistes les plus fraîches malgré l’indication de deux autres gardes croisés sur la piste, qui pensent qu’il y en aurait un de l’autre côté de la route. Ne trouvant rien de frais, Maurice nous fait revenir en arrière pour essayer un autre endroit ; c’est en rebroussant chemin que nous croisons un des gardes croisés juste avant. Il nous indique qu’un mâle rhinocéros blanc est juste derrière. Nous le découvrons en effet à découvert quasi au milieu des joncs. Nous le suivons ainsi à l’œil pendant un long moment. Il fait une première tentative pour franchir la route, rebrousse chemin avant de finalement la traverser. Petit à petit, nous le voyons disparaitre dans la végétation et le panorama minéral. Quelle chance nous avons eu de le découvrir si vite sans même le pister ; quel beau début de journée ! Remis de nos émotions mais point rassasiés, nous essayons cette fois de partir à pied dans l’espoir d’en débusquer un autre. Nous tournons une grosse demi-heure en vain, jusqu’à ce que Maurice conclue au changement de coin. Nous rembarquons dans ou sur les véhicules pendant une bonne heure. Nous partons explorer l’autre côté de la route, d’abord par les hauteurs, là où le rhinocéros a disparu, puis redescendant dans la vallée en contrebas. En chemin, nous devinons quelques oréotragues nous toisant. Sur le coup des neuf heures, Maurice nous fait stopper le véhicule et part en reconnaissance seul. Nous ne le reverrons plus de la journée. Après quarante cinq minutes d’attente, Fred boue et décide de rentrer avec ceux qui le veulent. Deux restent avec Inno pour une grosse demi-heure de plus. Quelques kilomètres plus loin, nous faisons face à un véhicule vide qui bloque totalement la piste. Ni une , ni deux, Fred change de tout-terrain et déplace le gêneur. Nous pouvons reprendre notre route.
De retour à Maleme, nous descendons au niveau du bureau des gardes pour essayer de voir damans ou oréotragues. A la place, je me contente de quelques beaux agames. Le retour à pied, sous le cagnard, jusqu’au camp est un peu usant. D’ailleurs, quand j’y parviens, il a changé de place pour trouver de l’ombre. Après la douche, je n’ai envie de rien, à l’image de mes co-expéditionnaires. Avec Fred et Dom, nous tentons une virée rapide en quête de damans ou d’oréotragues, mais en vain ; nous nous contentons du point de vue offert par le lodge de l’autre côté de la retenue, en surplomb. Il faut attendre seize heures pour partir vraiment. Nous contournons le lac par le barrage pour rejoindre la zone de safari. Mais déjà avant nous profitons des magnifiques paysages minéraux qui nous entourent. L’un d’entre eux, plus remarquable, a été baptisée « la mère et les enfants ». Étonnamment, nous traversons une route bitumée avant de retrouver une piste qui nous mène vers la zone sauvage de Whovi. Il en est ainsi dans ce parc où cohabitent populations, faune sauvage, et touristes. Nous réussissons à observer une belle girafe du Cap : un gros mâle très solide. Au point de vue ouvert sur une large prairie, nous attendons de longues minutes du haut du mirador aménagé mais rien ne vient. Pas âme qui vive. Du coup, nous poursuivons notre chemin. Au milieu de Mpopoma Dam, ce sont deux ou trois hippopotames qui trempent paisiblement. Il en est tout de même un qui nous gratifie d’un long et large bâillement, révélant toutes ces dents. Comme souvent, nous apercevons quelques oréotragues mais toujours dissimulés dans les sous-bois. De retour à Maleme, nous essayons de voir quelques damans avec l’aide de Fred. Que ce soit dans les rochers derrière le bureau des gardes ou même depuis les deux kiosques, il n’y a pas foule. A peine trois museaux observés de loin. Du coup, nous redescendons au camp pour une nouvelle douce nuit.
Mercredi 22 Octobre, Maleme Camp, Matopos National Park
Le programme de la matinée est le même que celui d’hier. Nous repartons traquer les rhinocéros, et plus précisément une femelle et son petit. La seule différence est que nous partons trente minutes plus tôt. Avec Maurice qui est réapparu. En fait, Fred est allé s’inquiéter de son sort dans l’après-midi. Personne au bureau des gardes ni chez lui ne s’inquiétait de son absence. Du coup, Fred est parti à sa recherche et l’a trouvé sur la route. Il lui restait encore au moins une quinzaine de kilomètres à parcourir. Sa reconnaissance avait finalement duré pas loin de deux heures.
Nous nous mettons donc en quête. Le courant d’air semble plus frais et mordant ce matin sur le toit des véhicules. Nous retournons au même endroit qu’hier ce qui parait un peu étonnant. Nous roulons juste un peu plus loin sur cette piste. Soudain, le premier véhicule stoppe et tout le monde s’y agite. Ils viennent de voir la mère rhinocéros filer dans le bush sur la gauche de la piste. Ni une ni deux, le pisteur et Fred partent en courant avant de rapidement nous faire signe de venir. Là, tout le monde part en courant à l’arrache, avec ce que nous avons dans les mains à ce moment-là. En quelques minutes, nous réussissons à apercevoir la mère et son petit. Quelle énorme chance nous avons eu de passer au bon moment ! Maurice nous fait approcher plus encore malgré la végétation un peu gênante et « accrocheuse ». Nous la suivons sur ce monticule à tel point que nous finissons par nous retrouver à trois quatre mètres à peine face à elle. Instant fugace mais étonnant pendant lequel je me demande si elle ne pourrait pas charger. Mais elle est plutôt tranquille. Elle repart au petit trot pour quitter cette bosse et changer de côté de la piste. Nous voici repartis au pas de course par le chemin le plus court donc le plus pentu et compliqué. Mais la motivation est telle que personne ne rechigne. Maurice la retrouve de l’autre côté de la piste. Nous avons tendance soit à avancer à sa hauteur, mais à distance, soit à la devancer pour l’attendre un peu plus loin. Le milieu est plus épais rendant les photos plus difficiles. Néanmoins, nous les suivons du regard. Après de longues minutes de traque, nous optons pour une course à pied sur la piste pour atteindre la prairie voisine vers laquelle elle semble se diriger, en espérant l’observer à découvert. Qui l’eut cru que j’allais courir volontiers ! Nous avons le temps de reprendre notre souffle, de boire, mais pas de rhinocéros à l’horizon. En désespoir de cause, nous rebroussons chemin jusqu’à croiser deux autres gardes qui ont localisé les deux rhinocéros à nouveau. Maurice a encore disparu, momentanément. Grâce à ses deux collègues, nous prolongeons ce moment magique. Nous pourrions rester des heures mais il faut savoir être raisonnable et la laisser récupérer de ses émotions.
Nous retournons donc à pied jusqu’aux véhicules abandonnés en catastrophe pour prendre un café (il n’est guère que sept heures trente). Ce n’était qu’un point de départ qui vire vite au casse-croûte lorsque Fred nous sort chorizo, saucisse du Gers et vin rouge. C’est bombance ce matin ! Après une grosse demi-heure, nous reprenons le cours de nos aventures. Revenus à la plaine, nous distinguons les deux rhinocéros en train de la quitter. Pied au plancher, les deux véhicules s’arrachent de la piste pour rejoindre la route bitumée au plus vite. Heureuse initiative puisque les deux finissent par arriver avant de passer un peu de temps au milieu de la route. Nos appareils photo crépitent !
Sur la route du retour, Fred pile net devant nous, faisant voler en éclats le portable de Maurice. Il voulait éviter un mini caméléon qui voulait traverser le bitume. Celui-ci est a priori bariolé de jaune et de marron. Il passe de mains en jambes essayant de se camoufler à chaque support avant de finir aux pieds d’un arbre de l’autre côté de la route. En espérant qu’il ne va pas redescendre illico et retraverser.
Toujours pas de daman ni d’oréotrague au-dessus du bureau des gardes. Du coup, nous empruntons plus tôt que prévu le sentier balisé qui rejoint la retenue en contrebas. Tracé en sous-bois, il se révèle bien agréable, malgré les marquages quelques fois un peu folkloriques. Nous reprenons les véhicules vers quinze heures pour un programme léger. Nous commençons par le musée de Pomongwe qui présente des reproductions artistiques des principales peintures rupestres du parc ainsi que quelques scènes de vie quotidienne des habitants de l’époque.. Dans un coin du parking sous les arbres, nous accédons à la grotte qui se révèle au dernier moment. Ouverte au grand air, elle semble se dégrader mais nous pouvons tout de même deviner quelques tracés.
Après la culture, le commerce. Depuis trois jours, nous passons devant plusieurs stands sans rien prendre ni même s’arrêter. Ce soir, nous prenons le temps. Nous y trouvons un peu de tout, du bois à la pierre en passant par les tissages. Chacun y trouve une petite chose à acheter. Puis nous parcourons les quelques kilomètres qui nous séparent du point de vue du monde, selon les dires de Cécil Rhodes qui est d’ailleurs inhumé au sommet. Accessoirement, le site est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Pour résumer, il s’agit d’une petite montagne en forme de dôme minéral qui domine les alentours. Au somment persistent quelques énormes boules de pierre dont on ignore comment elles peuvent tenir en place. Il n’y a pas vraiment de chemin pour atteindre le sommet. Chacun choisit la pente qui lui convient. Le guichet-boutique sert aussi de mini-musée qui rappelle l’histoire de Cécil Rhodes. Au départ, nous assaillons un agame bleu et rouge qui reste stoïque pendant de longues minutes malgré notre approche assez peu discrète. Ensuite seulement, nous entamons l’ascension. Pour ma part, je commence par faire le tour du dôme à peu près au trois quart du sommet. Ainsi, je parviens à couvrir le panorama des environs. La vue est superbe. Je comprends mieux les nombreux virages de la route : elle ne peut que suivre les multiples « vallées ». Il y a une multitude de petites collines, toutes minérales, qui nous entourent à 360°. Nous comprenons mieux l’appellation de Rhodes même si elle manque d’une certaine modestie. En chemin, je découvre deux plaques tombales, celles des deux plus proches adjoints de Rhodes ainsi qu’un massif mausolée qui casse franchement le côté naturel des lieux. Il est consacré aux troupes militaires de Rhodes tombées au combat contre les Matabele. Ce sol quoi que minéral à dominante noire est recouvert de taches colorées du fait de la présence massive de divers lichens. En me rapprochant du sommet, je note que la pierre vire maintenant à l’ocre. Entre les boules sommitales, je déniche enfin la tombe du fameux Rhodes. Tout à sa mégalomanie, il a carrément demandé d’être inhumé au sommet. Il est alors temps de se poser, de profiter du silence qui enveloppe les lieux (du moins tant qu’un groupe d’anglais ultra bruyant et irrespectueux n’est pas là), et de regarder les couleurs changer à mesure que l’astre solaire décline. Il y a aussi pas mal de vie, à commencer par les nombreux lézards multicolores qui prennent le chaud. En patientant, nous parvenons à observer à plusieurs reprises des musaraignes à trompe des rochers, adorables avec leur grosse tête et leur petite trompe. Nous restons ainsi quasi seuls jusqu’au coucher du soleil. Quelle journée vécue !
Jeudi 23 Octobre, Maleme Camp, Matopos National Park
Aujourd’hui, nous quittons ce lieu unique que sont les Matopos. Le départ est donc plus tranquille. Avant de sortir complètement, nous faisons une halte à la « White Rhino Cave ». Un petit parking marque le début du chemin qui mène au pied d’un nouveau bloc minéral. Après quelques bonnes minutes d’ascension par des marches très irrégulières, nous atteignons un nouveau dôme. Ici la vue est bien plus limitée, il manque sensiblement de la hauteur. Dans un premier temps, je me demande où nous allons bien pouvoir dénicher cette nouvelle grotte. Nous parvenons enfin à apercevoir quelques damans, soit trop farouches pour ceux en contrebas, soit trop lointains pour les plus perchés. Encore quelques mètres en pente douce sont nécessaires pour atteindre la grille qui protège les peintures rupestres de cette grotte. Malheureusement, ici comme dans la précédente, l’usure et le plein air n’aident pas à la bonne conservation de tels trésors. Il faut dire que les lieux abritent de beaux tracés de rhinocéros, surtout des têtes très réussies. Un koudou mâle est parfaitement reconnaissable de même qu’une série de gnous. En fait, à chaque coup d’œil ou à chaque pas, nous distinguons de nouveaux dessins. Il faut prendre son temps pour pleinement profiter de la White Rhino Cave.