Zambie, à la recherche du bec en sabot (1)
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Vendredi 24 juin 2011, Paris
Le jour du départ est enfin arrivé. Ces vacances vont me faire le plus grand bien. Une fois n’est pas coutume, je pars depuis l’aéroport d’Orly, dans l’après-midi. C’est tout de même moins pénible en transport en commun. Je peux donc prendre mon temps et partir tranquillement. La dépose de mon sac se prolonge vu la faible vivacité des agents au sol pour s’adapter à une panne d’imprimante. Cela me permet de rencontrer Bruno qui est arrivé avant moi. Une heure plus tard, nous décollons à l’heure en direction de Londres. Le reste du groupe nous y attend, tous arrivés plus tôt de Lyon et Mulhouse. Je retrouve ainsi Rebecca et Christian, et fais la connaissance de Patrick, Philippe et Christophe. Nouvelle attente au terminal 5 d’Heathrow devant les grands panneaux lumineux pour savoir depuis quel terminal précisément nous allons repartir. Finalement, ce sera le 5B que nous devons rejoindre en navette automatique. L’attente touche presque à sa fin. A bord d’un Boeing 767 de British Airways, nous traversons tout l’aéroport avant de décoller en direction de Lusaka, capitale de la Zambie.
Samedi 25 juin, Lusaka
Quelques dix heures plus tard, sans avoir vraiment dormi dans un avion proposant pourtant une place suffisante pour les jambes, nous atterrissons dans la nuit finissante sur le tarmac de Lusaka. Le fond de l’air est frais lorsque nous descendons de la passerelle. Il faut dire que le jour commence à peine à se lever en cet hiver austral. Contrairement à nos craintes des dernières semaines, les formalités se déroulent bien. Tous les formulaires et justificatifs prévus se révèlent inutiles. Seul le paiement de cinquante dollars suffit pour obtenir le visa sur place. Comme aux Etats-Unis, il faut faire scanner les empreintes des dix doigts et se faire prendre en photo par webcam interposé. A posteriori, nous sommes surpris par les délais attribués. Sur sept nous avons trois dates de sortie différentes. Heureusement que les agents nous ont demandé si nous étions un groupe. Une fois ce premier barrage passé, l’attente est beaucoup plus long dans la salle suivante pour récupérer les bagages. Nous finissons par penser à une perte de quelques-uns. Heureusement, non, tous finissent par arriver avec beaucoup de patience. Il faut faire une dernière fois la queue à la sortie de l’aérogare pour vérifier que nous partons bien avec nos propres bagages. Malgré tout cela, lorsque nous parvenons devant l’aérogare, nous n’apercevons aucun Land Cruiser ni même une silhouette familière. Fred n’est pas là, lui qui est toujours là pour nous accueillir. Cinq minutes plus tard, nous les voyons arriver. L’aventure peut alors commencer.
Enfin presque ! Quelques dernières courses à faire et surtout un petit déjeuner digne de ce nom à nous offrir. Le centre commercial des Arcades à l’est de Lusaka sera donc notre première étape. En cette heure matinale, nous sommes presque seuls. Il faut même attendre l’ouverture des commerces. Ce samedi étant une journée d’acclimatation, nous avons tout notre temps. Le Pioneer Camp n’est qu’à une dizaine de kilomètres, en pleine campagne. Nous n’avons pas perdu le coup pour monter les tentes. En milieu d’après-midi, nous partons marcher un peu dans les environs pour nous dégourdir les jambes. C’est l’occasion d’observer quelques premiers oiseaux. Nous sommes autant surpris par la piste d’athlétisme pour le moins rustique de l’école voisine que par cette grande exploitation de fleurs laissée à l’abandon.
Le retour se fait à l’heure de l’apéro. Un second suivra au bar du camp avant de goûter notre premier repas en Zambie sur la terrasse du bar. La fraicheur commence à tomber mais loin de ce que Fred nous laissait penser.
Dimanche 26 juin, Lusaka
Les habitudes sont vite reprises et à 6h30, la troupe est presque entièrement levée. La nuit fut fraîche mais sans plus. Pas même la moindre humidité sur les toiles. Le premier petit-déjeuner est luxueux avec croissants et kugelhof. Autre bonne habitude, nous quittons le Pioneer Camp à pied en avance devant les véhicules. Nous parvenons à apercevoir quelques oiseaux dont un irisor moqueur, particulièrement élégant avec ses couleurs brillantes dans la lumière matinale. Une dernière halte est prévue au supermarché pour les derniers achats de produits frais avant de traverser Lusaka et la quitter direction plein nord.
Nous passons de nombreux barrages de police, tous très tranquilles, à se demander à quoi ils servent, ce qui fait que nous ne sommes pas ralentis par la moindre anicroche administrative. En milieu de matinée, nous faisons halte à Kabwe pour faire un dernier plein de carburant, histoire d’avoir une ultime marge de sécurité. En passant, nous achetons des petites bananes succulentes et de magnifiques avocats bien charnus. Nous voici parés pour la suite de la reco.
Depuis que nous avons quitté les derniers quartiers de la capitale nous longeons régulièrement de vastes exploitations agricoles toutes dotées de gros moyens d’arrosage. A midi, nous faisons étape à quelques distances de la route, à l’ombre d’un manguier, juste à côté d’une petite église baptiste d’où s’élèvent des chants mélodieux. Nous découvrons à la sortie de l’office qu’il y avait presque uniquement des femmes et des filles. Les rares jeunes hommes viennent discuter avec nous.
Nous reprenons notre progression vers le nord jusqu’à Kapiri Mposhi où nous bifurquons vers le nord-est. Nous allons commencer à longer la frontière avec la République Démocratique du Congo, encore lointaine. Le paysage se met petit à petit à changer. Nous apercevons sur notre droite une petite chaîne montagneuse qui nous sépare de la fameuse vallée de la Luangwa qui rappelle de bons et beaux souvenirs. La route est si bonne que je pique souvent du nez mais visiblement je ne suis pas le seul dans ce cas. Fred résiste malgré tout. Et heureusement d’ailleurs.
A Serenje, les surprises continuent. La piste nord qui remonte dans un premier temps vers le parc national de Kasanka est devenue une route quasi rectiligne et fraichement bitumée. Résultat, nous atteignons l’entrée du parc avec au moins une vingtaine d’heures d’avance.
Nous nous installons donc dans ce petit parc pour trois jours. Le court trajet du lodge au campement nous permet d’apercevoir quelques dizaines de pukus, un oribi, petite antilope, un peu plus grande que le dik-dik, au pelage beige pâle, une poignée de phacochères et quelques oiseaux lointains. Cela tranche avec la première section qui relie l’entrée principale au lodge où la végétation assez épaisse ne semble pas être propice aux traversées animales. Le premier bivouac autour du feu est baigné par une épaisse et très laiteuse Voie Lactée. Une fois encore, le sac de couchage pour régions froides est le bienvenu et prouve son efficacité.
Lundi 27 juin, Kasanka National Park, Pontoon Camp
Réveil aux aurores pour être parés à 6h pétantes. Nous prendrons le petit-déjeuner plus tard. D’ici là, nous filons vers Fibwe Hide. Au sommet d’un figuier, une plateforme rudimentaire culmine à près de dix huit mètres du sol. Les échelles pour y monter sont carrément scabreuses, d’autant plus que nous y grimpons tous à la fois. L’idée est de surprendre les sitatungas, espèce d’antilope aquatique au pelage sombre, juste à l’aube. Nous surplombons le marais intégralement couvert de papyrus et de joncs. Pas âme qui vive à l’horizon, pas même un oiseau. Juste quelques chants. Des nappes de brumes s’accrochent encore ici et là sur la végétation. Petit à petit le soleil s’éveille échauffant l’atmosphère et la lumière. Mais pas les sitatungas. Au moment où nous nous apprêtons à redescendre, il en passe un furtivement juste à nos pieds mais nous n’en distinguons qu’une partie du dos.
En l’absence du moindre signe de vie, nous décidons de retourner au camp prendre enfin notre petit-déjeuner. Puis nous repartons vers l’ouest dans l’espoir de suivre la rivière Kasanka. Mais pour cela, il faut d’abord franchir la dite rivière qui coule en contrebas du camp. Tandis que les véhicules passent à gué, nous empruntons le ponton mû à bras d’homme. De l’autre côté, le paysage varie entre grandes plaines, bosquets d’arbres, ou carrément forêts denses sans grande visibilité. Les pukus sont présents au rendez-vous en nombre. De temps en temps, au loin, entre deux touffes de végétation aquatique, nous distinguons quelques hippopotames. Il doit traîner une carcasse dans les environs à voir les circonvolutions des charognards dans le ciel. Deux d’entre eux s’en désintéressent complètement. Les deux oricous perchés au sommet de l’arbre sont en train de s’accoupler. Du coin des jumelles, je devine un jabiru, là un petit crocodile ou quelques phacochères. Nous profitons plus du paysage et de l’ambiance que d’une grande variété de faune. Jusqu’à croiser nos voisins sud-africains qui nous indiquent avoir vu le bec en sabot à quelques centaines de mètres. Sachant qu’il n’y en a qu’un seul dans le parc, égaré, loin des marais du Bangwelu. Celui-là même que le garde croisé au ponton nous a dit avoir vu « demain » !
Nous progressons en suivant le lit de la rivière à bonne distance sans voir de grande nouveauté jusqu’à dépasser un bosquet d’arbre après lequel nous apercevons une forme sombre au loin, devant un mur végétal de papyrus. Les jumelles confirment immédiatement le but de notre quête. L’unique bec en sabot du parc se montre à nous. Une chance inouïe de pouvoir observer cette oiseau préhistorique, particulièrement rare, massif et au bec si imposant qu’il lui a valu son nom. Le spécimen est placide, ne bougeant que la tête comme pour surveiller les alentours. Après une observation à distance, Fred nous propose d’approcher à pied, ce que nous nous empressons …. d’accepter. Evidemment ! Initialement prévue jusqu’aux arbres, l’approche se poursuit aussi discrètement que possible jusqu’à environ une centaine de mètres de l’oiseau, sans qu’il ne semble dérangé le moins du monde. Quel moment rare que nous prolongerions volontiers mais il faut être raisonnable et retourner au camp.
Nous y faisons une pause jusqu’à 15 heures. Pendant le repas, un cercopithèque à diadème passe furtivement dans l’arbre qui nous surplombe mais impossible de bien l’observer. La traditionnelle partie de tarot côtoie les explorations photographiques près de l’étang voisin puis du ponton près duquel sèche un cormoran. Quelques-uns optent même pour une douche sommaire.
La ballade de l’après-midi commence par le lodge autant pour régler les formalités que pour glaner le maximum d’informations pour la suite. Il en résulte un changement de programme majeur puisque nous repartons dès demain vers le marais de Bangweulu pour être sûrs de pouvoir y passer trois nuits. Et nous devrons aussi laisser les véhicules derrière nous, l’accès à Shoebill Island n’étant pas encore possible à cette période de l’année. En revanche, sur le lac Wasa, juste en contrebas du lodge, la faune se fait bien entendre tout en demeurant invisible. Nous retournons donc à Fibwe Hide.
Ce soir, la vie est bien présente; d’abord un vervet tout sage dans le petit arbre en contrebas de la plateforme. Il a même la bonne idée de rester dans la lumière du soleil mais surtout beaucoup d’oiseaux dont des colious, une pie grièche fiscale, un rare bagadais à front roux immanquable avec sa tache rouge sur son front blanc, quelques guêpiers sans oublier un gobe-mouche plus près de nous sur une branche à notre gauche. Et tout d’un coup apparait un dos à fourrure sombre au milieu des papyrus dans une des rares clairières : un sitatunga mâle avec de superbes cornes torsadées. Il reste en-dessous de nous un petit moment, tout en n’exhibant que son postérieur. Et aussi mystérieusement qu’il était arrivé, il disparait dans cette végétation très dense. C’est la totale aujourd’hui ! Quant aux couleurs, elles deviennent magnifiques lorsque le disque solaire baisse encore. Au pied du figuier, nous apercevons furtivement une musaraigne à quatre doigts. Sur la piste du retour, dans le second véhicule, nous apercevons deux éléphants bien petits à mes yeux. Un peu plus loin, c’est même une jolie fille que nous croisons : une américaine préparant sa thèse sur les babouins.