Zambie, à la recherche du bec en sabot (3)
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Vendredi 1 juillet 2011, Shoebill Island
Toutes les bonnes choses ont une fin. Et malheureusement, ce matin, nous devons quitter ce véritable coin de paradis naturel. Nous partons en deux vagues vu qu’un seul bateau est disponible. Une dernière fois, nous pouvons observer et entendre les cavalcades des lechwes noirs dans l’eau.
Tandis que Fred part devant avec l’essentiel du chargement et trois personnes, nous restons au camp avec Inno, Doubt et les trois derniers pour faire sécher puis plier les tentes. Notre bateau part une heure et quinze minutes plus tard. Il nous faut une grosse demi-heure pour rejoindre le port. Cette dernière ballade en bateau nous a permis une deuxième série d’observations. Il ne reste plus qu’à refaire les gros sacs et repartir, le tout sous les yeux d’autochtones particulièrement amusés par nos activités.
Nous prenons ensuite notre temps pour traverser la grande plaine. Il faut dire qu’il doit bien y avoir un millier de lechwes noirs. Où que notre regard se pose, il en apparait toujours autant. Nous quittons la piste pour les approcher un peu. Nous nous rendons ainsi compte que leurs couleurs varient d’un individu à l’autre. Un peu plus loin, nous faisons halte près d’une série de termitières. Elles ne sont pas bien grandes mais nombreuses. Cela a des petits airs de Carnac ou de Stonehenge en miniature. Quelques centaines de mètres plus loin, la plaine commence à se couvrir de petits arbustes, accompagnant un changement de paysage. Nous progressons ainsi, traversant les premiers villages où les enfants semblent bien quémandeurs. Nous atteignons ainsi Muwele où nous demandons l’autorisation de nous arrêter sur le terrain de l’école pour y pique-niquer. Nous avons même l’occasion de rentrer dans une classe dont l’instituteur est bien réservé avec nous. Par contre, les enfants ont de très belles voix tant pour une comptine en anglais que pour un chant bemba. Et nous repartons à travers les villages, où nous faisons parfois halte, tantôt pour acheter quelques bricoles dans une des nombreuses petites échoppes qui bordent la piste, tantôt pour négocier quelques fruits. Aujourd’hui pas de petites bananes mais des goyaves vertes à la chair blanche.
Malgré la feuille d’instructions fournie pour l’aller, nous loupons une piste et nous nous en rendons compte un peu tard. Qui plus est, il n’y a pas foule pour ne pas dire personne. Et les rares personnes croisées ne sont pas vraiment certaines dans leurs explications. Mais après un détour, nous finissons par retrouver des repères connus puis la bonne piste et par atteindre Nakapalayo peu avant 17 heures. Ce soir nous dormons dans un village traditionnel, dans des cases en dur à l’image de celles des villageois, meublées à l’identique, à l’exception peut être des matelas et des draps. La douche est la bienvenue après la poussière avalée toute la journée. Le repas est lui aussi typique : semoule de maïs, poulet, haricots blancs et autres plats difficiles à identifier mais plutôt bons dans l’ensemble. La difficulté consiste à manger avec les doigts. Heureusement, on nous propose des cuillères.
A l’issue du repas, nous quittons la salle collective au milieu du village pour rejoindre le feu de camp allumé juste à côté. C’est là que va se dérouler la soirée. Danseuses et musiciens y sont rassemblés. Petit à petit, la quasi-totalité du village nous rejoint. Et l’ambiance monte crescendo au gré des danses traditionnelles. L’unique danseur et les danseuses nous impressionnent par la souplesse de leur bassin. Puis tour à tour, nous sommes invités à danser avec eux. Cela a l’air de ravir et d’amuser le public. Nous arrivons même à les faire jouer plus longtemps que prévu. Par contre, nous devons leur proposer une danse ou un chant français. Ce n’est pas triste du tout. Et surprise, ils partent tous en chantant les paroles ou en les fredonnant. Les prochains français qui passeront là pourraient être surpris.
Après cette chaude ambiance, nous ne pouvons pas passer à côté d’un petit verre d’Amarula. Nos joueurs invétérés de tarot ne résistent pas à quelques parties avant d’aller dormir.
Samedi 2 juillet, Nakapalayo
Après cette soirée tardive, nous nous permettons une grasse matinée avec un petit-déjeuner prévu à seulement 7 heures. Sauf qu’après une nuit très silencieuse, nous sommes tous réveillés à 5h20 par un groupe en train de chanter joliment tout en courant. Le volume finit par s’atténuer et nous replongeons jusqu’à ce qu’ils repassent. Nous apprenons qu’il y a une fête religieuse à Chiundaponde, un village voisin. En attendant, nous prenons notre petit-déjeuner avec des petits pains cuits du matin, tout ça en prenant notre temps.
Nous attendons 8 heures pour aller faire un tour dans le village accompagnés d’Hendryk, le chef, et Georgina, la trésorière de la communauté qui gère le village touristique. Nous allons ainsi de maison en maison pour découvrir les différentes activités quotidiennes des trois cents habitants. Ici le tri des arachides dont on apprend qu’elles poussent loin du village, là la préparation du four à briques. Plus loin, une jeune femme aux jolis traits nous montre la préparation de la bière locale, à base de maïs et de millet. Pas vraiment ragoûtant à voir. Nous passons ensuite au traitement du manioc. Ces filles sont toujours impressionnantes par la force qu’elles dégagent pour manier le pilon, tout en restant féminines. Nous découvrons aussi qu’elles utilisent deux types de mortier, l’un d’eux ressemblant à une petite pirogue. La farine obtenue est d’ailleurs régulièrement tamisée. A chaque halte, nous constatons la présence de nombreux enfants par famille. La dernière visite est pour le vanneur en train de fabriquer des corbeilles.
Nous poursuivons ensuite notre idée d’essayer d’assister au rassemblement religieux. Nous continuons donc à pied avec nos deux accompagnateurs que nous avons fini par convaincre tandis que Fred part dans l’autre sens pour chercher les véhicules. Rapidement nous changeons de village et croisons presque immédiatement le chef de celui-ci. Bien évidemment les véhicules finissent par nous rejoindre. Mais avec deux passagers en plus et des sacs posés en vrac, la place manque. Nous nous organisons donc à l’africaine : trois sur les toits plus Christophe accroché à l’arrière d’un des Land Cruiser. Autant dire qu’un tel équipage attire l’attention et suscite l’hilarité.
C’est ainsi que nous parvenons à Chiundaponde où nous découvrons une foule assez importante juste après l’école, sur les lieux des festivités. Là encore, nous n’arrivons pas incognito. Nous sommes qui plus est les seuls blancs. Nombre de gens semblent avoir passé la nuit sur place si j’en crois la présence de feu et de nécessaires de cuisine. On sent d’ailleurs le parfum immanquable du manioc. Ce défilé plutôt martial de gamins plus ou moins en uniforme nous intrigue. Nous découvrirons plus tard qu’il assure le service d’ordre de la cérémonie. Par l’intermédiaire de nos accompagnateurs, nous obtenons l’autorisation d’assister à la fête religieuse. Avant même d’être entrés, nous sommes salués par les officiels en costume-cravate, nous qui sommes en simples bermudas et t-shirts ! Après que l’assemblée ait été prévenue de notre venue, nous pouvons pénétrer dans l’enceinte. Une simple palissade de paille et de branches entoure un espace ombragé en plein air. Sur un bord est monté un toit et une clôture pour abriter les officiels et les invités de marque.
Alors que nous souhaitions simplement assister à l’évènement pour nous imprégner de la vie locale, nous sommes invités à nous installer dans le carré VIP face à la foule nombreuse, juste à côté de l’évêque et de sa suite. Autant dire que nous sommes très surpris de cet accueil. Cela en est presque gênant. Une telle situation ne se produirait jamais dans nos contrées. Nous voilà huit blancs dans une masse de cinq cents zambiens environ, de tous âges et de tous sexes, pour la plupart assis directement par terre sur des bâches ou bien sur quelques rares bancs pour les hommes à notre gauche. Après une courte introduction des deux pasteurs, la cérémonie débute par des chants des chorales des divers villages participants. Les voix sont magnifiques et émouvantes. Pour la plupart, nous en avons la chair de poule. Quelle superbe expérience inédite et inattendue nous sommes en train de vivre. Chants et danses se succèdent tous aussi prenant les uns que les autres. Et leur bonheur semble total chaque fois que quelques-uns d’entre nous participent avec eux. Un réel moment de partage ! Tous ces gens qui vivent de peu respirent la joie de vivre et la sérénité. N’auraient ils pas malgré tout une meilleure vie que nous ? Et toujours ils sourient ! Aux chants succèdent le sermon des prêtres accompagnant l’évêque. Nous ne nous attendions pas à un si long monologue (pas loin d’une heure), la plupart du temps en bemba. Nous peinons à résister, la somnolence n’est jamais bien loin ! Par l’intermédiaire de nos accompagnateurs, nous signalons que nous n’allons pas tarder à partir dès après le sermon. Et alors que les chants étaient sensés être terminés, ce sont deux ou trois chorales qui reviennent successivement au centre. Que d’honneur pour nous. Un des pasteurs nous remercie devant l’assemblée alors que ce devrait être le contraire. Après avoir salué l’évêque et sa « cour » tout en les remerciant, nous nous retirons en essayant d’être les plus discrets possibles.
C’est parti pour au moins trois kilomètres de marche pour rentrer à Nakapalayo en plein soleil, à midi passé. Et nos guides suivent toujours. Philipe réussit à trouver une place à l’arrière d’un vélo qui passait là pour rejoindre le village plus vite. Puis il revient avec les véhicules. Même sketch pour rentrer, agrippés sur les toits ou à l’arrière. Quelle formidable matinée nous venons de vivre.
Après le repas, nous prenons congé de nos hôtes attentionnés en les remerciant chaudement pour cet accueil. Cet après-midi sera courte : suite au changement de programme du matin, notre destination a changé. Nous bivouaquerons au camp abandonné du lac Waka Waka, soit à peine deux heures de route, sur une belle piste en terme d’ambiance. A Waka Waka nous nous retrouvons seuls au monde, à vingt kilomètres du premier village et sans le moindre passage sur la piste voisine. Nous aurions presque pu tenter la baignade dans le lac. Hormis les petites mouches, cet endroit serait parfait.
Dimanche 3 juillet, Waka Waka Camp
Contrairement à nos craintes, la nuit fut plutôt douce près du lac. Après avoir plié le camp, nous partons à pied. La vie est presque absente dans le coin, à peine quelques chants d’oiseaux, probablement un pic, que je ne parviens pas à localiser. J’aperçois quelques king protéas mais elles sont soit fanées, soit pas encore ouvertes. Puis nous reprenons la piste à bord des véhicules, d’abord sous un couvert boisé. Rapidement, nous retrouvons la plaine aux graminées que nous avions traversée à l’aller. Il faut franchir le gué avant de se retrouver entre deux murs végétaux presque plus hauts que les Land Cruiser. En prenant de la hauteur, je découvre un paysage sympathique, les arbres apportant une touche de couleur supplémentaire. Par la suite, les zones boisées alternent avec les graminées. Malgré nos observations, impossible de dénicher une belle protéa. Il faut bien attendre une grosse heure avant de revoir des villages. Assez bizarrement les gamins semblent plus calmes et sont moins demandeurs.
Nous finissons par rejoindre l’embranchement qui mène au mémorial de Livingstone. C’est le premier panneau que nous voyons depuis cinq jours. Mais sans précision de distance. Nous partons à l’aventure. Du coup, au bout d’un moment, nous finissons par avoir des doutes. A deux reprises, les locaux nous confirment que nous sommes bien sur la bonne piste. Il faut dire qu’il y avait plus de vingt cinq kilomètres à couvrir. Cette stèle surmontée d’une croix marque le lieu où furent enterrés les viscères du fameux explorateur, le 4 mai 1873 non loin du lieu où il était décédé trois jours plus tôt. Une plaque marque d’ailleurs cet endroit. Enfin, une plaque a été rajoutée à côté du mémorial pour rappeler l’acte héroïque des deux porteurs qui ramenèrent son corps sur mille cinq cents kilomètres jusqu’à la côte de l’Océan Indien. Nous sommes vite entourés par une nuée de gamins. Mais nous ne nous éternisons pas non plus. Le tour des lieux est vite fait. Notre quête de produits frais le long de la route goudronnée enfin retrouvée est vaine. A part quatre choux et trois oignons, rien d’autre. Juste du pain dans une seule boutique.