Zambie, reconnaissance au fil du Zambèze (2)
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Vendredi 13 Septembre 2013, Great West Road, kilomètre 50
Réveil tranquille vers 6h. Les autochtones sont raisonnables. Seule la mamie vient nous voir. Une fois n’est pas coutume, nous ne commençons pas par une marche à pieds. Vu l’entrelacs de chemins dans tous les sens, ce serait un risque de ne jamais nous revoir. Nous comprenons aussi pourquoi nous entendions la route. Hier soir, nous avons fait une boucle au lieu de nous enfoncer …
La suite du parcours se fait sans encombre une longue route presque droite et assez peu fréquentée. D’ailleurs, à l’occasion d’une pause, nous nous asseyons tous les quatre sur la route pour attirer l’attention d’Inno. Christian s’amuse même à faire le babouin pour rejoindre le bas-côté. Nous n’avons pourtant rien bu ni souffert de la chaleur. Arrivés à la gate d’accès à la partie nord du parc national de Kafue, les craintes de Fred se confirment. Il est impossible de camper dans cette partie du parc : tous les sites d’hébergement sont sous monopole d’un groupe de tourisme sud-africain. Nous sommes contraints de repasser le pont au-dessus de la Kafue pour rejoindre un camp situé au bord de l’eau à une vingtaine de kilomètres : le Mayukuyuku Camp. Nous sommes accueillis cordialement par la gérante des lieux et ses assistants qui vont donner pas mal d’informations intéressantes pour la suite à Fred. Elle nous propose un emplacement juste au bord de la rivière. Simplement en montant le campement et en prenant le repas, nous observons quatre guibs harnachés, des hippopotames, quelques babouins en furie qui s’écharpent et deux ou trois impalas. Après un repas pris à l’ombre de la paillotte et une bonne douche pour se rafraichir, nous comatons tous plus ou moins ; la chaleur nous occit.
Vers 15h30 nous partons faire un tour sur les boucles autour du camp. Heureusement que la gérante nous avait prévenus que le plan fourni n’était pas précis. C’est le moins qu’on puisse dire à l’usage ! Les observations sont assez rares dans ce milieu souvent boisé, qui plus est largement brûlé. Nous apercevons en tout et pour tout quelques dizaines de cobs Defassa, de rares babouins et, tout de même, une poignée de guibs harnachés, sans oublier quelques éléphants aperçus sur la rive opposée. Et pour corser le tout, une longue agression de mouches tsé-tsé. Et que dire de ce plan qui nous conduit à avancer en vain jusqu’à déboucher à la nuit sur la route. Une sortie à oublier. Ce soir, tout le monde est claqué mais tout de même un effort de chacun pour faire honneur au troisième filet de bœuf.
Samedi 14 Septembre, Kafue NP, Mayukuyuku Camp
Contrairement à ce que je craignais, j’ai plutôt bien dormi. Par contre, les sons de la nature environnante se sont faits bien rares par rapport au cadre.
Dès 5h du matin nous prenons le petit-déjeuner pour être à la gate dès l’ouverture. Manque de chance, la garde n’est pas là à son poste. De colère, Fred prend un véhicule pour se rendre au camp des gardes à quelques centaines de mètres. Nous la trouvons à mi-chemin, tranquille, avec sa kalachnikov sur le dos. Pour presser le mouvement, nous l’embarquons à bord du Land Cruiser. Il faut dire que l’idée du jour est d’essayer d’aller le plus loin possible au nord pour voir ce qui est faisable et nous organiser pour découvrir Busanga Plain, la zone la plus intéressante mais aussi la plus éloignée, pas loin de soixante-dix kilomètres de l’entrée.
Les vingt premiers kilomètres après la barrière sont couverts au pas de course tant ils manquent d’intérêt. Les conducteurs sont en mode pilote de rallye. Ensuite, nous essayons d’être attentifs malgré un biotope de forêts peu propice, sans compter une fois encore les nombreuses étendues brûlées. Les pukus restent l’espèce la plus présente. Les pistes sont souvent monotones, il ne se passe rien ; les points d’eau sont totalement déserts, comme si il n’y avait pas de faune. Les accès aux rives de la Kafue, plus que limités, n’offrent pas beaucoup d’occasion de voir plus de vie en bordure d’eau. Néanmoins, quelques belles observations viennent ponctuer ce début de journée. Cela commence avec quatre lionnes plus que repues qui semblent vouloir rejoindre la rivière. L’impala passant devant elles ne risquait rien. C’est ensuite une succession de belles scènes ornithologiques qui laissent le temps de bien voir les oiseaux : un aigle huppard repérable à sa crête, deux aigles bateleurs branchés et faisant admirer les quatre couleurs qui composent leur livrée, et même un grand duc de Verreaux bizarrement posé au pied d’un arbre (il ne va d’ailleurs pas bouger de la journée puisque nous le revoyons au même endroit en repartant). Furtivement, nous apercevons quelques hyènes détaler sans pouvoir les pister. Celle du soir est encore pire : seuls Inno et Fred l’ont aperçue nettement. Les cobs Defassa apparaissent rarement et toujours en petits groupes. Tout le contraire des impalas. Quelques éléphants se présentent mais souvent loin de nous. De temps en temps, quelques phacochères semblent trouver leur pitance au milieu des zones calcinées. Avec le second véhicule, nous suivons même un jeune levreau tout apeuré, qui finit par se serrer sur le bas-côté, immobile mais tout tremblant. Dans une mare asséchée, nous distinguons grâce aux jumelles un couple de grues caronculées. Voici qui fait bien peu pour une si longue journée dans un si grand parc. Cet après-midi, à trois reprises, des groupes de kudus font leur apparition.
En montant vers la zone de Moshi, soi-disant sympa aux dires d’un garde, nous tombons sur un pont en bois qui laisse des doutes sur sa solidité. Fred et son équipage descendent pour le tester et le vérifier avant de se lancer. Les deux véhicules finiront par y passer deux fois avec tout de même d’inquiétants craquements. Traversée vaine : rien de génial dans le coin ; pas un animal ni même un coin ombragé pour pique-niquer.
Après cette pause repas plus longue que les habituelles, nous reprenons notre progression vers le sud tout en continuant à jeter un œil à la rare faune. Finalement, nous nous présentons à la gate avec dix minutes d’avance sur l’heure de fermeture. La douche qui nous attend au camp sera plus que réparatrice après une journée marquée par des quantités extraordinaires de poussières et des attaques incessantes de mouches tsé-tsé. Pas un parmi nous n’échappe à leur piqure malgré une lutte incessante avec tout ce qui nous tombe dans les mains.
Dimanche 15 Septembre, Kafue NP, Mayukuyuku Camp
Réveil bien matinal pour pouvoir quitter le camp et être à l’ouverture du parc. A 5h30, nous nous mettons en route ; Evidemment la barrière du parc est fermée, donc Fred tourne directement vers le camp des gardes où nous récupérons comme prévu les clés. Nous ouvrons ainsi nous même la barrière ; ce n’est pas commun ! Nous la refermons derrière nous laissant deux autres véhicules à l’entrée, les yeux quelque-peu ébahis. L’idée du jour consiste à rejoindre Busanga plain, la partie la plus éloignée et excentrée du parc. Donc Fred réalise des recors de vitesse sur les deux premières heures. Il y a toujours aussi peu d’observations possibles, hormis quelques éléphants, un hippopotame dans le bush et toujours les hardes d’impalas et de pukus. Les bubales de Lichtenstein sont aujourd’hui beaucoup mieux visibles quoique toujours aussi farouches. Cela va être difficile de pouvoir les admirer tranquillement. A l’opposé, les deux femelles kudus restent calmes relativement longtemps. A la limite de la plaine, nous tombons par hasard sur une lionne qui semble s’être levée en nous entendant arriver. Elle reste là à quelques mètres de nos objectifs, placide comme tout, encore bariolée de teintes rougeâtres, témoins d’une chasse récente. Comme nous, elle semble accompagnée par les mouches tsé-tsé.
La grande plaine du nord s’annonce enfin. Nous y apercevons les premiers groupes d’herbivores. Je découvre avec grand plaisir une dizaine de rouanes, magnifiques antilopes équines de couleur beige. Elles sont accompagnées de quelques zèbres. Malgré tout, ce ne sont pas non plus des groupes démesurés. En empruntant de petites pistes, nous nous enfonçons au cœur de Busanga Plain. Ainsi nous pouvons approcher les troupeaux. Nouvelle découverte, le lechwe de la Kafue, endémique à cette plaine. L’accompagne des pukus et quelques buffles. Autour des mares, les oiseaux se multiplient : grues caronculées, ibis tantale, hérons Goliath, jacanas, … Chose amusante, les pukus et les lechwes endémiques sont souvent proches mais toujours séparés par une pièce d’eau. Nous tournons ainsi au gré des petites pistes plus ou moins marquées. Se faisant, nous réveillons un hippopotame qui est prêt à nous charger. Intrigué par des formes noires que je ne parviens pas à identifier, je demande à Fred de s’arrêter pour regarder avec les jumelles. Pour la deuxième fois, je débusque des rouanes. Cette fois, elles sont beaucoup plus lointaines et inaccessibles que ce matin, mais nous en dénombrons presque une trentaine. Quelle journée alors que je n’en avais jamais observé auparavant !
Vers 16 heures, il devient temps de quitter la plaine pour rejoindre la piste qui doit nous mener au poste de garde de Mushimba. Nous changeons immédiatement de végétation ; nous sommes même parfois dans d’étroites pistes en sous-bois. Les arbres passent très près des véhicules. Dans les espaces ouverts nous trouvons encore des troupeaux sous la belle lumière du soir. A deux reprises, je surprends Fred en dénichant des animaux dans la forêt. Les deux fois, il s’agit de cobs des roseaux, un nouveau genre d’antilope que je n’avais encore jamais observée. Les cornes du mâle sont amusantes : elles partent vers l’arrière avant de reboucler vers l’avant. Les deux couples sont particulièrement farouches ce qui raccourcit le temps d’observation mais je suis content de moi. Nous apercevons encore quelques groupes d’antilopes, une poignée de cobs Defassa et même un éléphant avant d’atteindre le camp des gardes.
Fred obtient rapidement gain de cause pour pouvoir faire un bivouac sauvage à l’intérieur du parc (ce qui est théoriquement prohibé), là où était l’éléphant (mais officiellement, nous leur demandons de camper à quelques centaines de mètres d’eux, dans la première clairière). Après quelques palabres et menus cadeaux à ses deux gardes éloignés de tout pour deux semaines, nous rebroussons chemin sur neuf kilomètres avant de planter le camp dans une petite plaine. Pour la première fois, nous arrivons à manger à la seule lumière de la lune. Une fin de journée apaisante après une journée de guerre contre les tsé-tsé.
Lundi 16 Septembre, Kafue NP, Busanga Plains
Que cette nuit fut fraîche. Certains l’ont mesurée à 10°C ; il va peut être falloir que je songe à utiliser mon sac de couchage autrement qu’en guise de coussin. Néanmoins, je dors plutôt bien entre les deux ou trois sorties nocturnes. Encore une fois ce matin, tout le monde devance l’heure. Pliage intégral du camp et petit-déjeuner se font à la lueur des frontales. Même Fred finit par se faire surprendre par ses réveils si matinaux. La nuit a seulement été bercée par quelques bruits d’éléphants, principalement le craquement des arbres subissant leurs assauts. Vu le cadre, je m’attendais qu’elle ressemble à notre première nuit dans le Lower Zambezi.
Vers 5h45, nous quittons notre petite plaine toujours dans la pénombre pour rejoindre la plaine principale de Busanga. Il faut presque une heure pour l’atteindre. Ce matin, nous n’apercevons que deux céphalophes de Grimm. A cette heure matinale, Busanga Plain est encore recouverte d’une petite couche de brume. Quelle atmosphère ! En fait, cela n’a rien à voir avec une vaste étendue monotone. Les nombreux bosquets d’arbres forment comme des îlots sur un océan de prairies, elles-mêmes traversées de ruisseaux ou constellées d’étangs, qu’on distingue en regardant de plus près.
Nous retrouvons rapidement sur les lieux les pukus et les lechwes de la Kafue. Ce matin, nous essayons de nous focaliser sur eux ; ils sont quand même endémiques. Dès que la belle lumière arrive, les troupeaux deviennent un magnifique spectacle, encore plus lorsque il leur prend l’envie de bondir au-dessus de l’eau. C’est pour le moins amusant. Un petit groupe de buffles nous joue les vierges effarouchées, paradoxal quand on connait la taille des bestiaux, tandis que la trentaine de rouannes demeure toujours lointaine. Dans un espace un peu plus étendu que les autres, nous nous délectons de la vision de cette quantité impressionnante de lechwes quand Inno nous dit avoir aperçu deux lions, très loin, à l’autre bout de la plaine. Non sans difficulté, nous finissons par en mettre un dans les jumelles : son gabarit nous impressionne à une telle distance. Je n’ose à peine imaginer s’il était à quelques mètres de nous. Et quelle ambiance créée lorsqu’il se met à rugir puissamment sur la plaine. Bien sûr les oiseaux sont présents aussi : toujours les grues caronculées, le désormais systématique héron Goliath, immanquable de par sa taille imposante, de nombreux vanneaux armés qui se font entendre et aussi une très jolie découverte. Je pense à la sentinelle à gorge-rose, un petit volatile qui peut paraitre insignifiant, restant tout le temps au sol, mais qui arbore de superbes teintes rouges et roses sur son poitrail. Alors, un si petit oiseau devient capable d’attirer toute l’attention des téléobjectifs aux alentours. En plus, cette sentinelle a la bonne idée de ne pas être farouche et de rester longtemps près des véhicules. Vers 10 heures, nous devons quitter ce petit coin de paradis car nous sommes loin de l’entrée. Jusque dans la zone de Moshi, les apparitions restent assez rares, sûrement un effet de la chaleur qui commence à peser.
Celle-ci incite deux vieux éléphants à prendre un bain de boue que nous observons de près et longuement. Quel spectacle ces animaux nous offrent à chaque fois, sans même que notre présence ne les dérange. La boue vole en tous sens pendant de longues minutes : nos appareils crépitent allègrement quand les modes rafale s’enclenchent. La scène semble insignifiante et pourtant c’est un réel spectacle que de les observer. Et ils n’ont pas fini. Quelques centaines de mètres plus loin, Inno déniche un groupe de lions tout près de la piste. Ils sont tous affalés à l’ombre d’un bosquet un petit peu étroit pour eux : ils sont donc serrés les uns contre les autres. Nous y distinguons deux belles femelles solidement bâties et deux jeunes mâles pas encore dotés de leur crinière. La plus grosse porte malheureusement un collier émetteur. Quelle fin de matinée en fanfare. Tout ceci a fini par nous ouvrir l’appétit. D’ailleurs, Fred se met en quête d’un endroit sympa, près de l’eau et ombragé ; évidemment, il finit par trouver le lieu adéquat.
L’après-midi est moins riche en contacts avec la faune, mais nous nous y attendions. Nous commençons à connaitre cette partie du parc. Il y aura tout de même cette formidable scène offerte, une fois encore, par les éléphants. Un groupe d’une dizaine d’individus constitué de trois mères, quatre filles et trois petits, dont le dernier doit avoir à peine un mois. Nous les voyons d’abord arriver en file indienne avant que les plus âgées ne forment un bloc compact autour des petits. Cela devient une forêt de pattes et de trompes. Néanmoins, nous distinguons plusieurs fois les petits en train de téter leurs mères. Quel point d’orgue ! Nous manquons ensuite d’accrocher une femelle kudu bien indécise et un vervet visiblement suicidaire au point de se jeter quasiment dans nos roues. Quelques groupes de pukus et d’impalas viennent nous rappeler qu’ils sont bien les espèces les plus présentes dans la Kafue.
Après avoir plus que bien roulé, nous atteignons la gate vers 17h. Notre amie la garde a été relevée. Un garde masculin la remplace. Nous ne nous attardons donc pas à la barrière. Il ne nous reste qu’à rejoindre le camp de Mayukuyuku. Enfin presque ! Par chance, nous croisons un véhicule du camp juste avant l’entrée. Son chauffeur nous explique la présence d’un léopard derrière la salle à manger. Evidemment, Fred redouble d’ardeur, et nous avec. Nous arrivons en trombe sur le parking près de la réception. Par chance, un employé se trouve là et nous montre où cela se passe. En silence, mais au triple galop, nous contournons la salle à manger. Comme indiqué, en contrebas de la salle à manger, de l’autre côté de la rivière, une femelle léopard dort d’un sommeil profond sur un rocher, à la vue de tous. Ces mouvements sont réduits au minimum ; même sa longue queue pendant dans le vide oscille à peine. Au cours des trois quarts d’heure où je reste là, elle bouge une fois, et encore juste un lever de tête pour regarder dans notre direction avant de la reposer délicatement.
Cette journée exceptionnelle et sans tsé-tsé (merci le vent) justifie que nous ouvrions enfin une bouteille d’Amarula pour en prendre un verre autour du feu, après le repas.