Carnet de traversée du Kalahari (4)
Mercredi 2 avril 2008, camp de Lebolobolo
Réveil plus matinal qu’à l’habitude à Lebolobolo. Il faut dire que les observations de la veille nous ont motivés. Le petit déjeuner a donc été avancé à 5h30. Tout le monde réussit malgré tout à s’extirper du duvet. A 6h, nous sommes prêts à partir. Le jour se lève à peine sur la vallée de Letiahau. Quelques oryx sont déjà visibles. Quelques oiseaux aussi, quoi qu’ils soient encore rares. Un léger voile de brume matinale plane sur la prairie. Pas de trace de guépard, pas plus que de lion. Le soleil se lève face à nous coupé par quelques fins nuages. Après avoir dépassé Lekhubu Camp, nous retrouvons un nouveau pan.
Toujours de gros troupeaux d’oryx. C’est réellement impressionnant. Cette fois, quelques bubales se sont glissés au milieu. Un peu plus loin, un serpentaire est enfin visible assez proche. Inno a déjà eu la chance d’apercevoir fugitivement un chat sauvage et deux ratels.
Depuis que nous remontons vers le nord les plaines paraissent bien plus vastes et les acacias à ‘ombre accueillante se font plus nombreux. Dès la première heure, les chacals étaient présents : nous en apercevons au moins un par pan. Nous bifurquons ensuite vers Deception Pan. C’est le premier qui donne l’impression d’avoir été en eau récemment. D’ailleurs, il offre un dégradé de couleurs intéressant. Deception Pan est l’antre des oryx. Deux gros groupes y flânent tranquillement, peu effarouchés par notre présence. Nous parvenons ainsi à les approcher d’assez près. Nous avons beau en avoir vu déjà plusieurs, la vision est toujours aussi belle. Nous en profitons même pour faire la pause de la matinée au bord du pan non loin de quelques oryx.
Sur la courte portion qui doit nous mener au pan suivant, nous sommes amenés à faire demi-tour en voyant Fred revenir vers nous. Inno vient à nouveau de débusquer un guépard. Cette fois, il s’agit d’une femelle, plus fine, bien visible, sur le côté de la piste. Qui plus est, elle s’approche de celle-ci. Nous pouvons ainsi la voir parfaitement pendant de bonnes minutes. Puis elle traverse la piste entre deux des 4*4 avant de partir en courant entre les graminées et disparaître dans les bosquets. Quelle belle observation : nous avons bien pu la détailler de près, bien mieux que le mâle d’hier.
Le pan suivant est une véritable arche de Noé. Des troupeaux un peu partout, principalement autour des arbres. Deux nurseries d’autruches s’égaillent dans la plaine (des tout petits et des plus grand), quelques springboks et enfin un troupeau de gnous qui semblent se tenir en assemblée autour d’un large acacia. Ces paysages sont vraiment superbes : nous rêvons de voir débouler un prédateur. Mais non ! J’ai bien cru voir quelque chose mais non !
La piste nous ramène à l’entrée de Deception Valley, annoncée comme le clou du Central Kalahari Game Reserve. Nous débouchons sur une large plaine très arborée. En y regardant plus attentivement, sous chaque bosquet, nous apercevons un groupe d’oryx. Malheureusement, de temps en temps, ce sont des 4*4 sud’af’ qui y sont installés. La vallée est tout aussi riche en en faune qu’en flore. Certains bouquets d’arbres sont vraiment superbes. Lentement, nous traversons jusqu’au croisement des pistes où tout le monde peut enfin voir des suricates. Ils ne sont pas loin d’une dizaine de l’autre côté de la piste : et ça galope, et ça galope. Puis soudain, ça se dresse. Et on recommence.
Quelques kilomètres plus loin, à travers les arbres, nous atteignons le campement de CKDEC-5. Nous devrions être bien dans cette clairière pour les trois nuits à venir. Reste à savoir combien de visites nocturnes les lions nous rendront, puisqu’ils ont cette habitude dans ce coin. Nous continuons les bonnes habitudes tant pour l’heure chaude que pour l’heure du départ.
Nous partons vers le nord en direction de Sunday Pan. Cela nous permet de découvrir un nouveau relief vallonné qui change de la quasi platitude depuis le début. De plus, la piste étroite est enserrée dans deux rangées d’arbres, ce qui donne vraiment l’impression d’avoir changé de lieu. A bien y regarder, la taille est assurée par les véhicules qui passent. Résultat, au dessus d’une hauteur de 4*4, les branches dépassent. Il faut prendre garde quand on est sur le toit. Cette portion de piste semble être privilégiée par les rolliers qui apparaissent. Par contre, l’épaisseur de la végétation ne semble pas laisser grand place à la faune. On dirait presque que les graminées argentées ont envahi les lieux enserrant tout sur leur passage.
Après presque une dizaine de kilomètres, nous débouchons dans un espace ouvert, un pan non répertorié. De hautes herbes le tapissent. Un coup d’œil nu le fait penser désert. En fait, il n’y a guère que deux ou trois bubales couchés tout au fond, autant dire rien. Décidément, l’après-midi semble morne en rencontres avec la faune. Il faut poursuivre encore quelques kilomètres avant d’atteindre Sunday Pan, une vaste plaine rase offrant un véritable havre de paix aux herbivores. Nous y retrouvons donc de nombreux groupes d’oryx, des springboks en nombre et, pour une fois, une poignée de bubales. Quelques chacals gambadent ici et là. Et cela devient un classique, un serpentaire. Nous empruntons la Sunday Loop qui permet de contourner en grande partie le pan. Sur la fin, quelques pistes mènent même directement sur le pan, autour des bosquets.
Nous arrivons ainsi à approcher de près quelques espèces. C’est ainsi que nous assistons à un combat subit mais rugueux entre deux oryx. Les cornes s’entrechoquent avec fracas. Mais tout s’arrête comme cela avait commencé : mystérieusement ! Quant aux bubales, ils se laissent bien moins approcher : ils détalent au moindre bruit. Chez eux comme chez les springboks (tout comme les autruches ce matin), nous nous rendons compte qu’il y a beaucoup de jeunes. Probablement les naissances de la dernière saison des pluies.
C’est sur la piste du retour que nous assistons à un moment magique. Alors que nous sommes arrêtés, trois ou quatre lions se mettent à rugir assez près. Malheureusement, nous n’arrivons pas à les voir réellement. Seul Inno pense en avoir aperçu un dans les jumelles. Vu l’heure, nous ne pouvons plus rester à les traquer ; nous avons déjà dépasser l’heure limite de circulation (18h30). Il faut donc rentrer à la nuit. Sur le toit, nous observons la voûte céleste s’éclairer progressivement. Au camp, Dout nous a préparé une nouvelle recette de sauce pour le riz bien succulente. Nous pourrions presque l’appeler « reviens-y ».
Après les palabres habituelles autour du feu, veillés par la Voie Lactée, chacun rejoint ses pénates pour la nuit, pensant très certainement aux lions (voir aux lycaons, pour continuer la série).
Jeudi 3 avril, camp de Deception Valley
Etant donné que nous sommes installés pour plusieurs jours, ce matin, le réveil est plus tranquille. Nous avons juste à prendre le petit déjeuner et respecter les horaires. Nous repartons donc vers Sunday Pan dans l’espoir de dénicher les lions entendus hier soir dans ce coin. Nous filons donc à bonne allure jusqu’aux abords du pan inconnu précédent Sunday. C’est quasiment le désert. Il doit y avoir peut être un oryx. Un peu plus tout de même sur Sunday Pan. Après quelques allers-retours entre les deux pans, Fred finit par apercevoir les traces des lions. Elles vont d’abord dans les deux sens avant de s’établir vers le nord. C’est parti pour la chasse. De temps en temps, les traces disparaissent avant de réapparaître. Nous les retrouvons au bord de Sunday Pan, sur la gauche, empruntant la boucle de Sunday Pan. On dirait presque qu’ils jouent avec nous. Du coup, nous prêtons peu d’attention à ce pan si ce n’est pour vérifier à la jumelle la présence éventuelle des félins. Nous les pistons ensuite sur la liaison vers Leopard Pan.
Nous découvrons là un nouveau pan très joli. Il a la forme d’une cuvette nappée d’herbes vertes. Les herbivores semblent s’y plaire, toujours de nombreux oryx, des springboks, quelques bubales et des gnous. Arrivés à une bifurcation, il faut faire un choix entre la boucle de contournement du pan et la piste nord montant vers la vallée de Passarge (sachant que cette boucle doit se faire en environ deux jours !). C’est néanmoins celle que nous empruntons puisque les traces des lions vont dans cette direction. La piste est plutôt hostile ; rares doivent être les utilisateurs. Les abords sont eux aussi très denses, un mélange de graminées et d’épineux. Cela ne va pas être évident de les discerner. Cette quête nous mène sur onze kilomètres supplémentaires jusqu’aux abords de la vallée de Passarge où nous attends un oryx et de nouvelles fleurs. En revanche, les traces ont définitivement disparu. Ces sacrés lions nous auront fait courir sur plus d’une vingtaine de kilomètres. Sacrément actifs les bougres pendant la nuit.
Nous faisons donc demi-tour pour rejoindre Leopard Pan et la contourner. Encore et toujours les mêmes herbivores qu’au premier passage. Mais pour repartir, nous empruntons une nouvelle piste qui descend directement vers Deception Valley. Une piste assez roulante qui révèle de bonnes surprises. Peu de temps avant d’aborder la vallée, nous apercevons dans le sous-bois une femelle koudou et son petit. Un peu plus loin, nous manquons d’écraser un mamba noir qui traversait la piste. Au début de la vallée, c’est un tout jeune oryx qui attire notre attention. Il est si petit que sa tête dépasse à peine des graminées. De l’autre côté de la piste, un couple d’autruches peu farouches sont comme à la parade. Finalement, nous rejoignons le carrefour principal puis le camp où nous attend Dout.
Les coupures de l’heure chaude se suivent et se ressemblent. On ne change pas un programme qui marche. Quoi que cette fois, nous avons la visite d’un vieux chercheur anglais installé dans le camp voisin, qui cherche une idée pour se prémunir des invasions nocturnes de coccinelles. Nous en profitons pour discuter un moment avec lui, avant de le croiser plus tard sur la piste. Nous repartons donc sur les coups de 16h30, toujours en partie perchés sur les toits des véhicules. C’est ainsi que nous redescendons vers Deception Valley. L’impression est soufflante en descendant de la « colline » où sont implantés les camps. Dès que la végétation s’éclaircit, nous prenons l’immensité de la vallée en pleine figure. C’est vraiment là qu’on se rend compte de la taille de l’endroit.
Nous partons sillonner la vallée vers le sud. Nous retrouvons de suite les gros troupeaux d’oryx et de springboks qui pâturent tranquillement et sereinement au centre de la plaine. Ce soir, ils sont même nombreux à être carrément sur les pistes ou alors tout proche. Où que nous regardions, nous pouvons apercevoir des silhouettes animales ; parfois c’est petit lorsqu’il s’agit d’un chacal. Nous dépassons aussi un nombre impressionnant de véhicules, six au moins. Cela change de la matinée et des huit jours depuis notre arrivée. Nous les laissons rapidement à leurs observations pour nous retrouver seuls au milieu de la nature. Nous bifurquons même sur la gauche vers le pan anonyme précédant Deception Pan. Nous y retrouvons au loin, sur les lisières, la nurserie d’autruchons ados. Il y a bien sûr toujours les oryx et les springboks ainsi que quelques chacals en train de se restaurer. J’ai tout de même l’impression qu’il y a moins de vie que lors de notre premier passage.
Sur le chemin du retour, nous constatons que les groupes semblent se rassembler pour former de gros troupeaux, plus résistants aux assauts des prédateurs. A un moment, nous assistons même à une cavalcade effrénée de centaines de springboks qui traversent la piste en bondissant pour changer de côté. L’effet de masse est impressionnant à voir. Nous pensons même que cela pouvait être l’effet d’un prédateur. Mais non, ce n’était que des mâles se provoquant, apparemment. Les oryx restent eux plus calmes ; ils protègent même un tout jeune, d’un ou deux mois, qui n’a pas encore sa livrée définitive ni ses petites cornes.
Après une halte pour profiter du coucher de soleil, nous rentrons au campement, à peine en retard. Dout a fini de cuire la seconde potée du voyage. Je passe mon tour et préfère une diète suite à mes « perturbations » intestinales de la matinée. Nous avons même droit à trois gouttes, pas plus, à la fin du repas. Ici les nuages arrivent et repartent en quelques minutes sans créer de vraies pluies dignes de ce nom. Rapidement, la Voie Lactée, merveilleuse, réapparaît. Une fois encore, elle veillera sur nous.
Vendredi 4 avril, camp de Deception Valley
Une parfaite nuit, dormie d’une seule traite et sans les bouchons. Frais et dispo pour repartir en ballade. Après la potée de la veille, le petit déjeuner est plus léger qu’à l’accoutumée. Nous repartons ensuite parcourir Deception Valley.
Avant même de l’atteindre, alors que le soleil n’est pas encore levé, nous apercevons un cou qui dépasse sur la gauche. Un gros mâle girafe semble un peu s’être perdu, seul dans cette partie du parc. Nous continuons dans la vallée vers le sud. Nous retrouvons évidemment les troupeaux d’oryx et de springboks. Les têtes sont baissées et les museaux broutent paisiblement. Tout le long, des chacals trottent entre les graminées. De temps en temps, c’est même un tout jeune qui pointe son petit museau et ses petites oreilles.
Nous bifurquons ensuite vers Deception Pan. C’est toujours l’antre des oryx. Cette fois nous en faisons le tour. Nous pouvons ainsi observer la flore qui croit sur la terre du pan. Cela ressemble à une plante grasse qui fait de toutes petites fleurs roses. Un peu plus loin, nous empruntons un piste périphérique. C’est de nouveau un gros mâle girafe qui s’échappe. Non loin, les springboks sont entre cent et deux cent rassemblés en bordure de la cuvette. Ils sont impressionnants ainsi regroupés.
Quelques kilomètres plus loin, Inno nous dit qu’il y a quelque chose qui bouge dans la plaine à quelques dizaines de mètres de la piste. Effectivement, en montant sur le toit, j’aperçois le dos gris d’un ratel en train de chasser. Nous ne le verrons jamais entièrement mais nous le suivons un bon moment à travers la végétation dorée. Enfin j’ai pu en apercevoir un. Décidément, depuis le début, c’est Inno qui déniche tous les ratels. Ca doit être son quatrième.
Un peu plus loin, deux oiseaux sous un bosquet en bordure de la piste intriguent Inno. Un long moment, nous cherchons dans le bouquin sans trouver le bon. Finalement, c’était facile : deux oedicnèmes tachards, pourtant reconnaissables à leurs gros yeux !
Enfin, nous rattrapons Fred qui nous avait distancés suite à nos différents arrêts. A force d’avancer, nous avons fini par sortir de la partie principale de Deception Valley pour rejoindre Letiahau Valley où nous étions il y a quelques jours. Nous rejoignons les autres alors qu’ils sont arrêtés sur le bord de la piste juste derrière un autre véhicule. En fait, il y a un guépard couché sous l’arbre à une centaine de mètres. Il faut le savoir car nous distinguons à peine le haut de son crâne et de ses oreilles. Et encore quand il n’est pas complètement couché et caché par les hautes herbes. Mais le plus intrigant dans l’histoire est le comportement de cet oryx qui tourne autour de l’arbre. Les springboks ont depuis bien longtemps changé de côté et toujours en alerte. C’est d’ailleurs leur posture qui a attiré l’attention de Fred. L’oryx semble, lui, défier le guépard. Il avance, puis il recule ; fait mine de partir puis revient plus près encore. Fait un tour de l’arbre et revient. Néanmoins, le guépard ne semble pas réagir ; et l’oryx semble savoir qu’il ne risque rien. Nous sommes alors rivés à nos jumelles attendant le moindre mouvement. Nous attendons aussi un bon moment que la première voiture parte et disparaisse à l’horizon. Puis il faut ensuite attendre qu’un autre véhicule passe dans l’autre sens.
Enfin seuls ! Nous allons pouvoir tenter une approche. Pendant qu’un véhicule guette sur la piste, l’autre part dans le bush vers l’arbre. En approchant, Fred le fait lever mais il finit par se rasseoir puis se recoucher à l’ombre. A notre tour d’y aller ! Ce second passage le fait réagir. Il se lève et part tranquillement vers le bush. Cela nous permet de le voir en pleine lumière pendant un petit moment. Il semblerait bien que ce soit le premier que nous avions vu de loin. Nous sommes au même endroit. Encore une belle observation ! C’est tout de même la troisième de guépard.
Quelques centaines de mètres plus loin, deux vautours oricou et un tête blanche sont affairés au sol. Cinq autres vautours tournent dans le ciel. Probablement les restes de la chasse du guépard. Difficile à voir puisque aucune carcasse ne dépasse. Nous continuons jusqu’au point d’eau de Letiahau. Avant même d’y arriver, une quinzaine d’aigrettes blanches nous offrent un bien joli ballet aérien tournoyant autour des arbres qui enserrent la mare. Arrivés sur place, nous les retrouvons toutes branchées. C’est d’ailleurs la première fois que je les entends chanter : il s’agit en fait de hérons garde-bœufs (dite « cattle egret » en anglais).
C’est sur cette dernière observation que nous faisons demi-tour. Car mine de rien, nous avons fait pas mal de kilomètres et il va falloir un peu de temps pour rejoindre le campement et le repas du midi. En chemin, Fred en profite même pour jeter un œil à d’autres camps en prévision de prochains passages.
Pour la dernière après-midi, nous repartons plus tôt, vers 16h. Histoire aussi de pouvoir aller assez loin. Une dernière fois, je suis impressionné par cette vallée lorsque nous y débouchons. Tout du long la blondeur des plaines est piquetée de taches sombres, synonymes d’autant d’herbivores. La chose la plus impressionnante est sûrement la richesse de ce milieu qui est sensé être désert. La variété des espèces n’est peut être pas très importante mais chacune est présente en quantité non négligeable. Et cela est vrai pour les petits comme pour les gros. Jamais je n’ai vu autant d’oryx ou de chacals, autant de serpentaires ou d’outardes de toutes sortes, autant de vanneaux. Il n’y a guère que les bubales et les gnous qui limitent leurs apparitions.
Nous filons dans la plaine sur de longs kilomètres jusqu’à rejoindre la vallée de Letiahau dans l’espoir de retrouver le guépard du matin. Lorsque nous arrivons sur place avec le second véhicule, nous apprenons qu’ il a déjà disparu à l’arrivée du premier. Dommage ! Au point d’eau, nous retrouvons les mêmes aigrettes mais toujours pas d’autres visiteurs. Décidément les trous d’eau sont assez peu actifs en cette saison.
Fred décide alors de poursuivre encore. C’est ainsi qu’il déniche une piste annexe, non répertoriée, sur la gauche de la piste principale. Nous l’empruntons pour voir. Elle est plutôt étroite et sûrement peu fréquentée à voir la hauteur des herbes au milieu de la piste. Nous passons près du pompage qui doit certainement alimenter le point d’eau voisin puis redescendons vers la piste principale. C’est alors qu’Inno stoppe le véhicule. Perché sur le toit, j’aperçois alors derrière le bosquet voisin une touffe de poils sombres. Il s’agit tout simplement de la crinière d’un beau lion du Kalahari. Mais pour le moment, je ne vois que sa nuque. Cette découverte a fait revenir Fred à grande vitesse. Pendant un moment, le lion nous snobe et ne regarde que l’autre véhicule. Une nouvelle approche le fait réagir. C’est alors que nous le voyons se lever et partir calmement avec toute la majesté et la puissance qui lui sied. Et tout ça juste devant nous : nous sommes aux premières loges. Quelle chance encore une fois d’y être tombé dessus, totalement par hasard. Cela prouve qu’ils peuvent être partout. Pour couronner le tout, de passage devant le coin du guépard, nous l’apercevons qui déambule en bordure de la plaine, tout aussi tranquille, jusqu’à rentrer dans le bush.
Nous pouvons alors rentrer, il se fait tard. Toujours sur le toit, j’aperçois enfin un couple de steenboks. Inno en avait déjà vu beaucoup mais il était le seul tant ils sont craintifs. Sur le chemin, j’entraperçois un ratel à découvert que le second véhicule verra mieux que nous. Pour la première fois, le coucher de soleil est superbe. Les nuages très effilés prennent de bien belles teintes lorsque l’horizon se met à rosir.
Ainsi se termine notre dernière journée dans le parc du Central Kalahari, sur deux prédateurs. Sont ce les observations, les longs trajets ou le repas copieux ? Toujours est il que ce soir nous sommes tous vannés. Le sommeil arrive bien vite. En me glissant dans mon sac de couchage, je jette un dernier regard à la Croix du Sud qui apparaît juste au-dessus de ma tente entre deux branches de l’arbre qui m’offrait une ombre agréable. Je ne me lasserais décidément jamais du merveilleux spectacle offert par le ciel austral dans ces contrées dénuées de lumières parasites.
Samedi 5 avril, camp de Deception Valley
Dernier réveil dans cet immense parc du Central Kalahari. Pendant tout ou partie de la nuit selon les personnes, nous avons entendu rugir le lion. Une belle conclusion pour l’exploration de cette immensité. Nous sommes de plus en plus prompts au rangement. A 6h30, le camp est plié et chargé sur le véhicule.
Nous essayons d’abord de localiser ce gros chat qui a sonorisé notre nuit. Pour cela, nous nous dirigeons vers la partie nord de la vallée. Mais pas de traces au sol, ni à la jumelle. De plus, les herbivores semblent calmes. Avec Fred, nous tentons une incursion par une piste annexe mais cela ne donne rien. Le dernier lion restera bien caché.
Nous repartons alors vers le sud jusqu’à Deception Pan. Le spectacle matinal est toujours le même. Nous semblons même en réveiller certains qui sont encore sur la piste. En route, nous apercevons la tête d’un otocyon qui déguerpit rapidement comme le reste de sa famille vers le bush. Pendant un moment, nous distinguons les têtes puis plus rien.
Dernier tout de Deception Pan avec une pause à son extrémité pour en profiter une dernière fois. C’est de là que nous observons pendant un bon moment un couple de steenboks qui batifolent tranquillement à la lisière du bush. C’est rare de pouvoir les suivre aussi longtemps même à la jumelle. De retour au croisement principal, nous apercevons une bonne quinzaine de suricates qui pointent leur tête à tour de rôle au-dessus des herbes. Le jeu consiste à deviner où elles vont ressortir !
Le croisement marque la fin de ces dix jours au sein du parc. Cette fois, nous empruntons la quatrième branche du croisement, celle qui part vers le nord-est, synonyme de sortie. Pour un accès principal, cette piste est carrément cahoteuse. Elle offre néanmoins la vision de la faune. Certes les quelques pans qui la bordent, dont celui de Kukama, sont presque déserts. Sinon, nous pouvons apercevoir au hasard d’un virage, une paire d’autruches ou une mère oryx avec son petit. Mais l’essentiel du spectacle a lieu sur la piste même. D’abord avec les pintades de Numidie qui à trois reprises bloquent carrément la piste et mettent un bon moment à se disperser dans les fourrés, voir à s’envoler. C’est aussi cet autour chanteur qui avance par vols de deux mètres, à peine à un mètre du sol, sans quitter la piste. Cela peut tout simplement être une autruche couchée au milieu quand ce n’est pas une petite tortue léopard perdue sur la piste et semblant bien embêtée pour s’enfoncer dans la végétation dense et sèche.
Au bout d’une vingtaine de kilomètres, nous atteignons Matswere, l’entrée nord de la réserve. Pour ce qui est sensé être l’entrée principale, desservant le secteur le plus propice, les lieux font pitié. Peu ou pas de documentation à l’entrée, des sanitaires à la dérive (nous en profitons néanmoins pour nous dépoussiérer sous un filet d’eau), un robinet au débit tel qu’il est impensable de refaire le plein complet d’eau à cet endroit.
Mais la piste ne s’arrête pas là ! Il y en a encore pour une quarantaine de kilomètres. Les lieux de pique-nique ne sont pas légion ! Petit à petit, la végétation change en s’éclaircissant. Les fleurs dont les queues de chat réapparaissent. C’est finalement l’apparition des premiers bovins qui marque la fin. C’est ainsi que nous débouchons à Rakops, petite ville aux portes du Central Kalahari. Retour à la civilisation, aux routes goudronnées, … Néanmoins, la première vision est un trou d’eau, celui-ci très fréquenté, mais par des vaches ! Nous comptons sur Rakops pour nous ravitailler et obtenir des nouvelles de la situation au Zimbabwe, terme de notre périple et surtout patrie d’Inno et Dout. La station essence existe mais il faut avoir l’œil pour la dénicher. Quant au supermarché, il existe mais il ne faut pas espérer y trouver de tout ! Pour les « joueurs », le rayon congelé est à recommander, non loin d’un rayon viande fraîche débitée en dépit du bon sens.
Ravitaillés bon gré, mal gré, après avoir fait un tour au bar voisin pour nous désaltérer, saturés par une sono poussée à fond à l’intérieur comme à l’extérieur, nous reprenons la route vers l’est en direction de Mopipi et Orapa. Le pan et piste que nous avions repérés sur la carte nous échappent ! Nous franchissons une première barrière sanitaire en pipotant le garde tandis que la seconde est quasi inexistante. Enfin, à hauteur de la mine de diamants d’Orapa, nous bifurquons sur une piste dans l’espoir de trouver un lieu de bivouac. Faute de clairière, nous nous installons en bordure d’une ferme, du moins de sa clôture. Le trafic est impressionnant : jamais nous n’avions vu autant de véhicules sur une piste. Il faut dire que nous avons été mal habitués, quasi seul dans le Central Kalahari.
Néanmoins, l’endroit laissera un excellent souvenir. Le coucher de soleil est tout simplement splendide : une véritable œuvre d’art et le tableau change toutes les cinq minutes. Tout le monde se souviendra aussi de cette soupe au piment « très chaude », la Chakalaka. Et que dire de cette improvisation butter nuts, saucisses fumées alsaciennes, oignons et crème. Un véritable bonheur pour les papilles. Nous pouvons dormir tranquilles si les trois taureaux restent à distance !