De Lilongwe à Dar-Es-Salaam (2)
Mardi 23 septembre 2008, Lukwe Eco Lodge, Livingstonia
Fin de la parenthèse dans ce camp voué à l’écologie et au développement durable. Les lieux étaient bien agréables et reposants. Dernier opus aussi de la descente infernale. Nous croiserons même en bas un groupe de blancs partis bien légers pour la grimpette et déjà rouges dès la première rampe. En ce qui nous concerne, nous tournons vers le Nord ; les policiers en faction juste après le carrefour vont enfin pouvoir nous contrôler !
Ce matin, je retrouve aussi le Malawi de mes souvenirs avec ses très nombreux vélos sur le bord de la route. Nous traversons de nombreuses rizières, pour la plupart déjà récoltées. Elles servent maintenant de pâture au bétail. Néanmoins, de temps en temps, quelques carrés apparaissent encore vert. Et dans les villages, il n’est pas rare de voir le riz sécher à même le sol. Quelques femmes vendent de belles nattes tressées main mais se révèlent dures en affaires. Les talents de négociateur de Fred n’y feront rien. N’empêche que ces nattes se révèleront très utiles. Nous faisons ensuite halte à Karonga, située à cent kilomètres du point de départ, pour refaire les niveaux de carburant. Il s’agit de la dernière ville avant les cinquante derniers kilomètres qui nous séparent de la frontière de Songwe-Kazumulu. La sortie du Malawi se fait rapidement et sans encombre.
En revanche, c’est l’effervescence au poste tanzanien. Des dizaines de semi-remorques encombrent le passage. Le poste est envahi de changeurs à la sauvette. Les formalités d’immigration se font rapidement, le passage de la douane pour les véhicules beaucoup moins. Et le pompon est détenu par l’assurance obligatoire mais très difficile à obtenir à des tarifs décents, et de toute façon offrant une couverture quasi nulles. Nous resterons ainsi presque deux heures à la frontière.
Lorsque nous pouvons enfin repartir, nous sommes de suite frappés par le changement de décor. Le relief est de suite plus montagneux tandis que la végétation mêle eucalyptus et bananiers. Dans chaque parcelle de bananeraies, nous apercevons au moins une maison. Il semble y avoir du monde partout. Petit à petit apparaissent aussi les plantations de thé dont les parcelles sont très agréables à regarder avec tous ces petits bouquets de verdure. Nous profiterons d’ailleurs de l’une d’elle pour déjeuner à l’ombre bienfaisante d’une lisière. Malgré l’altitude, le soleil se fait bien sentir. Avec les parcelles arrachées et celles plantées, les collines avoisinantes offrent de véritables patchworks de couleurs.
Un peu plus loin, le thé cède sa place à la pomme de terre. Partout le long de la route et dans les villages s’entassent des sacs pleins, dans l’attente du camion qui viendra charger. Les camions, un vrai cauchemar sur cette route ; nous en verrons d’ailleurs plusieurs en panne ou même renversés dans le fossé. A part les bananeraies, nous ne voyons plus que des champs de pomme de terre. Un peu plus tard, c’est le tour du chou ; un peu comme si les cultures étaient réparties pour éviter toute concurrence. C’est ainsi que nous parvenons à Tukuyu, dont l’unique intérêt pour nous et de pouvoir y trouver une banque pour le change. Accessoirement, on semble y vendre tout ce qui est possible et imaginable sur le marché. A la sortie de la ville, alors que nous commençons à retrouver les plantations de thé, la pluie nous aborde. C’est d’abord la route que nous trouvons humide avant que les nuages ne lâchent une averse sur nous. Un temps peu propice à l’installation d’un bivouac.
Nous continuons donc jusqu’à la grande ville du sud-ouest, M’Beya. Au passage, je retrouve les paysages du Nord-Ouest du Mozambique : cette sensation de montagne « à l’européenne » avec la température qui va avec. Nous sommes surpris par une boutique qui semble bouger toute seule au bord de la route. En fait, tout le bric-à-brac est fixé sur une planche qui sert de présentoir, elle-même accrochée sur les épaules du vendeur qui rentre chez lui. De loin, l’effet est plutôt comique ! La ville nous ramène la chaleur, et, nouveauté, les embouteillages. C’est ainsi que nous perdons Fred, coincés que nous sommes derrière un camion bien lent et impossible à doubler avec le trafic. La radio ne passant plus entre nos deux véhicules, nous préférons rebrousser chemin. Il faudra un SMS pour reprendre contact et découvrir que nous suivions bien le bon chemin.
Nous finissons donc par reformer le « convoi » et poursuivre jusqu’à Mbalizi où se trouve une plantation de café au sein du Utengule Coffee Lodge. Mais pour l’heure, nous ne faisons qu’y planter le camp tout en bénéficiant du « luxe » du cottage voisin. Et quoi de mieux pour clôturer cette journée qu’un filet de bœuf et ses butternuts. Je ne m’en lasserai décidément jamais. C’est toujours un régal pour les papilles. Ce soir aussi, nous retrouvons le fameux ciel étoilé et la Voie Lactée. Le couvert forestier des abords de Livingstonia n’avait pas été propice à cette observation les deux derniers jours.
Mercredi 24 septembre, Utengule Coffee Lodge
La nuit fut fraîche mais agréable, bien au chaud dans le duvet. Quasiment tout le monde s’est fait avoir par le lever du jour tardif ; du coup, nous n’avons pas notre avance habituelle sur le planning. Une fois le campement plié, nous remontons jusqu’à la réception où nous laissons les véhicules pour continuer à pied. Nous allons voir l’exploitation caféière rattachée au lodge. Une petite ballade à pied d’une trentaine de minutes nous mène d’abord à flanc de colline sur les contreforts du Mbeya Peak. La végétation est plutôt sèche. Les abeilles vibrent de plaisir autour de ces arbres couverts de fleurs jaunes.
Au sortir d’une descente, nous abordons la plantation et ses rangs de caféiers. Quelques personnes y travaillent, qui à creuser des trous pour de nouveaux plants, qui à scier les tiges les plus anciennes. Au bout de cette première parcelle, nous apercevons même dans les jumelles un calao terrestre. Nous continuons ainsi à travers diverses parcelles. La saison étant terminée, nous ne pouvons plus voir de fruits ; néanmoins, certains pieds commencent à refleurir. Attirés par un énorme massif de jacarandas, nous finissons par apercevoir la « ferme ». C’est d’ailleurs devant la pépinière que nous passons en premier. Là, les plants grossissent pendant un an après bouturage avant de rejoindre la plantation. Enfin, nous atteignons la cour de l’exploitation. Il y règne une atmosphère de fin de saison. Les tamis de séchage sont bien vides. Les employés semblent plier bagages.
Dans le bâtiment principal, deux suisses, gestionnaires de la plantation, nous accueillent et nous expliquent tout le processus de fabrication du café Arabica Utengule, depuis la plante jusqu’à la tasse. Une présentation pédagogique intéressante. Le plus jeune des deux nous accompagnera même jusque dans les rangs et dans la pépinière, sans oublier l’antique machine à vapeur. J’aurais appris plein de choses ce matin. Il est alors temps de retourner au lodge par le même chemin. Enfin c’est ce que nous pensions tous pendant un moment. Car Fred, très en forme ce matin, finit par nous faire emprunter un sentier qui ne cesse de grimper. Avec le soleil, cela devient une véritable épreuve pour moi. C’est sûr que cela fait du bien, mais quand c’est fini ! Je dois reconnaître tout de même que le point de vue était sympa sur les différentes exploitations blotties au pied des collines. Cette fois, c’est la dernière descente jusqu’au lodge. Nous y sommes d’ailleurs accueillis par un beau souimanga à poitrine rouge. Mais rapidement, nous nous mettons en quête d’un point d’eau pour nous rafraîchir.
Nous ne pouvons pas faire moins que goûter le café local. Un vrai régal. Pour la première fois, j’apprécie une tasse de café sans sucre. Et que dire des petits pains chauds qui vont avec. Cette dégustation dans le jardin du lodge a des airs de second petit-déjeuner. Après quelques emplettes caféiesques, il est temps de nous remettre en route.
En fait, pas pour longtemps. Après avoir essayé de nous frayer un chemin à travers une autre plantation de café, nous empruntons une piste qui monte vers la colline. Nous nous arrêtons à mi-pente, à l’ombre, en pleine piste, entre deux champs. Evidemment, cet arrêt attire quelques badauds qui doivent se demander ce que font ces six « étrangers » dans leurs champs. C’est que l’heure a tourné et le repas a approché ! Pendant tout le déjeuner, la vie s’est arrêtée : les porteurs d’eau sont restés là, les ânes et leurs bidons aussi, les enfants, … Il faudra attendre que nous repartions pour que tout ce petit monde retourne à ses occupations après avoir apprécié les bananes et le pain que nous leur avons donné.
En route vers l’est. Nous repassons la grouillante et bruyante M’Beya avant de poursuivre sur la Tanzam Highway. Les paysages changent énormément ainsi que la végétation qui va avec. En revanche, au fil des kilomètres, la population devient moins dense. La température monte tandis que la végétation se raréfie et tend à se réduire à sa plus simple expression. D’abord située entre deux montagnes, la route finit par monter sur un plateau. Les jacarandas refont leur apparition en grand nombre. Puis c’est l’air qui fraîchit enfin. Il faut dire que l’altitude est proche de 1900 mètres. C’est à ce moment là que nous nous mettons en quête d’un lieu de bivouac sauvage. Les incontournables feux ne nous facilitent pas la tâche en laissant des étendues calcinées impropres au bivouac. Néanmoins, à force d’avancer, nous finissons par dénicher un coin à peu près plat, sous les bambous, pour planter le camp. En contrepartie, il faut supporter le vent qui rafraîchit l’atmosphère sensiblement. Quelques garçonnets viennent voir ce qui se passe, tout en gardant leurs distances. Quoi que Robert les mettra en fuite. Ce soir, le café autour du feu de camp est bienfaiteur. Nous nous serrons tous autour des braises en quête d’un peu de chaleur ou d’épilation à la flamme.
Jeudi 25 septembre, « Bambou bush camp »
Qu’il fait bon au chaud dans le sac de couchage. Le vent a certes faibli mais il se fait toujours sentir, et la fraîcheur avec. Nous sommes tous un peu anesthésiés. Mais nous arrivons quand même à plier le camp. Alors que nous en terminons, un vieil homme vient vérifier les dires des six garnements de la veille. A notre grande surprise, il maîtrise plutôt bien l’anglais. Dans le sens inverse, la piste semble moins praticable. Inno et Fred manient alors la machette et le sécateur. Nous parvenons quand même à reprendre la Tanzam Highway. Encore une fois, nous tombons sur un camion renversé sur le bas-côté.
A Nyololo, nous faisons une halte pour trouver quelques spécialités. Juste avant, nous avons été surpris d’apercevoir une série de maisons couvertes de tuiles. A hauteur de Sao Hill, nous traversons pendant de longs kilomètres une haute et épaisse forêt de conifères. Les eucalyptus sont toujours là en bordure. Plus loin, nous faisons une halte au Old Farm Cottage, à la fois camping et ferme. Nous y dégustons un savoureux café accompagné d’un gâteau à la rhubarbe. Fred et Inno en profitent pour faire le stock de produits frais « maison », ainsi qu’un énorme poulet !
La route reste vallonnée jusqu’à Iringa même si elle semble se désertifier un peu. L’arrivée en ville voit le retour des allées de jacarandas. C’est le cas dans la ville basse plus industrieuse où nous faisons la pause pendant que les pleins d’eau et de carburant s’effectuent. Dans la ville haute, plus vivante, située sur la colline, nous faisons le tour d’un petit marché aux légumes. Il ne présente malheureusement rien de plus que ce que nous avons déjà. Personne n’est partant pour ces poissons en plein soleil et couverts de mouches. Finalement, nous ne repartons qu’avec deux noix de coco. En redescendant sur l’autre versant, nous dénichons un coin d’ombre agréable sous des eucalyptus près d’une école.
Après avoir obtenu l’autorisation de pique-niquer là, nous nous rendons compte que les classes sont encore pleines. La cloche retentit peu après. Nous sommes alors surpris de l’obéissance des enfants lorsque la directrice leur demande le silence et leur demande de ne pas nous importuner. Et ceci sera efficace tant que les enseignantes seront dans les parages, assises au bord de la route à attendre un transport pour la ville. Ensuite, le naturel revient au galop alors que nous nous apprêtons à partir. Nous reprenons notre progression sur la seule route qui mène au par national de la Ruaha. Rapidement, la route se dégrade avant de se transformer en piste. Celle-ci est d’abord très densément habitée. Puis la nature reprend ses droits. Pendant un instant, abstraction faite du climat et de la végétation, j’ai l’impression de me retrouver dans le Sidobre avec cette accumulation d’énormes blocs de granit posés ici et là.
Petit à petit, les habitations deviennent clairsemées. A la place, nous commençons à voir acacias et baobabs. Au sortir d’un virage nous avons la surprise de tomber sur un camion chargé de masaïs. Fred nous indique qu’ils vivent aussi dans le sud du pays avec la particularité d’être, ici, vêtus de bleu ou de violet. Nous en apercevrons quelques autres le long de la piste. Ils sont très reconnaissables à leur silhouette sèche et élancée ainsi qu’à leur tenue.
La végétation finit par prendre toute la place et de manière bien dense. Mais triste à la fois avec tous ces arbres sans feuilles, aux teintes grisâtres. Seuls les acacias et les baobabs de plus en plus nombreux sortent du lot. Lorsque le relief souvent vallonné le permet, nous pouvons voir la piste filer de manière rectiligne, traçant une ligne claire dans un océan sombre. C’est dans ce coin là que nous entrons officieusement dans le parc. Mais il faudra encore plusieurs dizaines de kilomètres avant de franchir la barrière. Nous apercevons d’abord quelques babouins filant à travers la piste avant qu’un gros mâle girafe masaï (reconnaissable à ses taches étoilées) ne pointe le bout de sa tête et son cou à travers le sous-bois. Encore plus loin, alors que la végétation s’éclaircit et laisse place à quelques rochers, nous apercevons un premier puis un second groupe de girafes occupées à manger. Au milieu apparaissent quatre éléphants bien tranquilles. Tout le long, nous apercevons aussi des calaos couronnés reconnaissables à leur plumage noir et blanc ainsi qu’une excroissance sur son bec orange.