Ronde bolivienne (2)
Après avoir fermé les sacs et pris notre repas dans un petit restaurant local, non loin de l’hôtel, nous rejoignons notre bus pour quitter Sucre en direction de Potosi. Cette fois, nous sommes seuls à bord avec des sièges bien plus confortables. C’est parti pour trois heures de route (ce qui correspond environ à 160 kilomètres).
Le début du trajet n’a rien à voir avec celui de Tarabuco. Nous suivons une vallée où coule une rivière, le Rio Yotala. Ainsi, tout est vert : les légumes du marché doivent en partie venir d’ici. Petit à petit, le paysage devient plus minéral. Nous sommes encadrés par des crêtes rocheuses. La végétation se raréfie. A une quarantaine de kilomètres de la ville, nous faisons halte au-dessus du pont suspendu de Sucre,, dit pont Mendez, classé monument national. Désormais réservé aux piétons, il fut très longtemps le seul point de passage pour descendre les terres basses depuis la région de Potosi en franchissant le fleuve Pilcomayo. Ses deux tours porteuses lui donnent un air médiéval avec la présence de créneaux au sommet.
A partir de là, l’environnement commence à changer. Nous atteignons comme une sorte de plateau où sont disséminés des petites maisons paysannes ainsi que des parcelles délimitées par des petits murets de pierre. Nous apercevons régulièrement du bétail gardé : moutons, vaches, ânes.
En approchant du but, la végétation évolue encore, ressemblant de plus en plus à la puna de l’altiplano chilien. Finalement, nous débouchons au-dessus d’une ville quasi intégralement vallonnée. Voici Potosi ! La circulation est difficile : rues étroites, travaux de voirie, et de nombreux minibus. Il nous faut une grosse demi-heure avant de rejoindre notre hôtel, le Libertadores. Dès la descente du bus, nous ressentons le poids des 4070 mètres d’altitude. La respiration est plus difficile. Le rythme doit réduire illico. D’ailleurs les employés de l’hôtel montent nos bagages à l’étage pour nous épargner. Nous sommes aussi saisis par la fraîcheur.
A la nuit tombée, nous partons vers la place centrale pour une rapide présentation avant de rejoindre le restaurant à l’angle de celle-ci. L’appétit n’a pas été coupé et les assiettes copieuses qui nous sont présentées sont bien avalées. Il est temps d’aller se reposer pour poursuivre l’acclimatation à l’altitude.
Mardi 18 mai 2010, Potosi
Autant la première partie de cette première nuit à plus de 4000 mètres fut normale, autant la seconde fut difficile : maux de tête, nausée. Apparemment, je n’ai pas été le seul à mal dormir. Je réduis le petit déjeuner à sa plus simple expression, histoire de profiter de cette matinée unique.
En effet, nous partons visiter une des 250 mines du Cerro Rico qui ont fait la renommée de cette ville minière coloniale en bordure de l’altiplano. A part quatre forfaits, nous partons tous à l’aventure. La première étape se déroule en ville chez Freddie, le guide de cette visite, lui-même ancien mineur. Il nous équipe pour la promenade : bottes en caoutchouc, surpantalon, veste, casque et en option frontale avec sa batterie à la ceinture. Nous voilà parés comme des mineurs, ou prêts pour le carnaval, c’est selon !
L’étape suivante se déroule plus loin dans le quartier des mineurs, où les boutiques vendent tout ce qui leur est nécessaire pour leur activité. Après une explication du fonctionnement des mines (y compris les fêtes et superstitions qui y sont associées), nous suivons Freddie dans un petit commerce pour acheter tout une série d’articles destinés aux mineurs que nous allons déranger : feuilles de coca, sodas, alcool, cigarettes, gants, dynamite, détonateur et nitrate d’ammonium. Il s’agit en fait d’un deal entre les touristes et ceux qui continuent à travailler, tels des forçats, dans les galeries.
La troisième étape se tient au pied du Cerro Rico, sur une étendue de graviers très bosselée. Nous suivons le guide jusqu’u bord pour profiter du panorama sur la ville en contrebas. Sur notre droite s’étendent des baraquements de mineurs faisant un peu penser aux corons. Mais ce n’était pas la seule raison de venir là : nous voyons Freddie s’accroupir dans un trou en forme de cratère et sortir la dynamite. Il a donc prévu une démonstration ! Il commence par dégager le bâton de son enveloppe avant de le couper en trois pour reconstituer un bloc plus gros. Puis il enfonce le détonateur avant de mettre le tout dans un sachet de nitrate d’ammonium. Puis il allume la mèche, d’une durée théorique de cinq minutes. Mais il faut qu’il fasse le spectacle en prenant en bouche le bloc explosif tandis que la mèche poursuit sa combustion. Il voudrait que je fasse de même mais ce sera sans moi. Je préfère commencer à m’éloigner comme le reste du groupe sauf Jean qui ne trouve rien de mieux à faire que de rester près du trou. L’explosion est déjà impressionnante par son panache de fumée et de poussières pour un simple bâton. Ernesto nous apprendra le soir que cette pratique était sensée être interdite.
Après ce show pyrotechnique, nous reprenons la piste pour rejoindre l’entrée de la mine que nous devons visiter. Le trou ne paye pas de mine, caché qu’il est par le compresseur. Des rails en sortent et rapidement nous voyons arriver deux wagonnets remplis de minerai. Dehors, quelques mineurs assurent un premier tri. Tous ont la joue distendue par la boule de feuilles de coca qu’ils chiquent. Dans les déblais, ils extraient de l’argent, du zinc et du plomb. Après avoir partagé une partie de nos présents entre les mineurs de l’extérieur, nous rentrons enfin dans l’antre du Cerro Rico. Lumière très rapidement indispensable. Nous marchons entre les rails. Le casque prouve très vite son utilité : la hauteur de plafond est très variable, rarement adaptée pour un basketteur. Idem pour les bottes au bout de quelques mètres : l’eau est partout ou presque. Quant aux surcouches, elles préservent de la poussière, de la boue, et parfois de la graisse. Nous marchons ainsi en file indienne dans les diverses galeries, croisant régulièrement des wagonnets vides ou pleins, poussés par deux mineurs seulement pour plusieurs tonnes de chargement. A chaque fois, nous leur laissons un petit quelque chose. C’est l’occasion de se rendre compte de la dureté de leur labeur. Dans les bouts de galerie, nous ressentons la présence de la poussière en suspension. Il faut aussi faire attention où on met les pieds, sous peine de finir au niveau inférieur.
Parfois, les trous les plus profonds ont une utilité. Les puits équipés de treuils électriques permettent de hisser le minerai d’un niveau à un autre. Après un bon moment, nous avons d’ailleurs perdu toute notion du temps, Freddie nous invite à descendre par un trou dans le sol. Ce sont trois échelles verticales qui se succèdent. Ainsi nous pouvons poursuivre la promenade trois niveaux plus bas. Il flotte dans l’air une odeur très particulière qui nous colle d’ailleurs pendant le reste de la journée. De temps en temps, nous apercevons quelques veines de minerai qui zèbrent les parois ou le plafond. Quelques-uns d’entre nous gratouillent pour essayer de récupérer un petit bout. Nous pourrions nous enfoncer encore de trois niveaux mais nous préférons rebrousser chemin. Il faut en particulier affronter à nouveau les échelles. Sur le coup de midi, nous commençons à entendre des bruits sourds. Les explosions de dynamite ont commencé : une dizaine en tout. J’ai l’impression d’entendre craquer, puis nous ressentons les vibrations. Nous continuons ainsi jusqu’à une centaine de mètres de l’entrée. Là, nous empruntons une galerie annexe sur notre gauche. Au bout de quelques dizaines de mètres, nous découvrons enfin l’antre d’El Tio. Cette divinité diabolique est présente dans toutes les mines. Il est considéré comme le propriétaire du sous-sol. De fait, la croyance des mineurs est très forte. Celui-ci est recouvert d’offrandes : feuilles de coca, alcool, cigarettes. El Tio, représenté en pied, arbore une couleur rouge diabolique et un sexe disproportionné, symbole de fertilité. Il est encore couvert de cotillons, restes du dernier carnaval. A ses pieds, nous trouvons Saturnino une autre divinité, seulement représenté par sa tête. Freddie procède aux offrandes rituelles : quelques feuilles de coca ici et là, quelques gouttes d’alcool à droite et à gauche ainsi qu’une cigarette allumée pour chacun. Elle fume bien : c’est bon signe. Après avoir goutté à ce tord-boyaux titrant 96°, Freddie fait une série de vœux puis nous propose de goutter. Ca envoie du lourd : décapage assuré ! Il ne reste plus qu’à parcourir les derniers mètres pour retrouver l’air libre puis un tour de minibus pour retrouver notre tenue normale puis l’hôtel.
Les filles prennent une petite douche avant que nous repartions vers la Casa de la Moneda. Nous avons comme un léger retard, surtout que nous n’avons pas encore mangé. C’est avec une bonne demi-heure de délia que nous pénétrons dans ce qui constitue la principale attraction de Potosi avec les mines. C’est dans ce palais qu’était traité le minerai, d’abord dans les fonderies, puis dans les laminoirs et enfin dans les presses. La monnaie était frappée sur place avant d’être expédiée vers l’Espagne. Les salles présentent les différentes machines et outils utilisés au fil du temps pour produire les pièces d’argent. L’endroit le plus impressionnant est certainement cet ensemble de trois laminoirs en bois datant du 17ème siècle, construit en Espagne puis transporté en pièces détachées pendant dix huit mois jusqu’à Potosi. En plus des collections liées à la monnaie, le musée présente un intéressant ensemble de minéraux ainsi que diverses pièces archéologiques.
A la sortie, nous flânons dans les ruelles du centre historique. Ici et là, nous tombons tantôt sur des façades de style colonial tantôt sur un clocher ou une façade d’église, la plupart du temps fermée. Le marché central est bien moins intéressant que celui de Sucre : plus petit et beaucoup trop de commerces de bric à brac. Finalement, fatigué par cette ville qui use les piétons avec la plupart de ses rues en pente, je rentre me reposer à l’hôtel. La douche est bienfaitrice ! Au restaurant, nous sommes surpris par les portions : nous qui pensions manger peu, c’est loupé. Et pour couronner le tout, en l’honneur de l’anniversaire de Bérengère, Ernesto a commandé un gâteau : un comme nous avons pu voir au marché, énorme et recouvert de crème !! Après ça, nous pouvons retourner digérer sous nos couettes.
Mercredi 19 mai, Potosi
Malgré une meilleure nuit que la veille, je n’ai pas envie de me lever. Du coup, nous descendons prendre le petit-déjeuner plus tard. De toute façon, nous avons quartier libre jusqu’à 11h15. Je pars flâner. Les boliviens ne semblent pas être du matin. La plupart des commerces sont encore fermés. La ville s’éveille peu à peu. Encore une fois, les portes sont closes à part celles de l’église San Francisco mais qui ne présente néanmoins aucun attrait particulier hormis son clocher et ses portes sculptées. Je finis par me poser sur un banc de la place centrale pour observer le mouvement. Une manifestation semble vouloir prendre forme mais tout se calme assez rapidement. Les pigeons squattent toujours aussi nombreux.
A la mi-journée, nous rejoignons une pseudo gare routière pour partir à Uyuni, en fait une juxtaposition d’agences de voyages. Cette fois, nous voyagerons à bord d’un bus et plus d’un minibus. Extérieurement, il semble quasi neuf. Dès la sortie de la ville, nous traversons l’altiplano. La végétation est typique avec ses petites touffes d’herbe dure verte et jaune. Nous sommes la plupart du temps entourés par des montagnes aux couleurs très variables, de l’ocre au brun en passant par le rouge et le blanc. La végétation aussi se mue : près des lits de rivières poussent quelques rares arbres. Mais souvent les flancs desséchés des montagnes sont couverts de cactus. Nous apercevons aussi de nombreux troupeaux de lamas de toutes les couleurs. La variété de décors est très plaisante ; néanmoins, nous finissons par être bercés et piquons presque tous un petit somme.
La progression est ralentie par le chantier qui vise à bitumer tout le trajet, mais il y a encore énormément de travail et cela fait des années que ça dure. A tel point que nous finissons par nous ensabler à côté d’un camion citerne. Nous restons là une bonne heure. Heureusement que les engins de chantier n’étaient pas trop loin pour nous sortir des embarras. Du coup, nous allons finir à la nuit. La dernière heure de bus se déroule dans le noir. Difficile de deviner à quoi ressemble le paysage. Après un dernier col où il semble y avoir un peu de neige, nous apercevons enfin les lumières lointaines de la ville d’Uyuni.
Qu’elles sont lointaines, jamais nous n’y arrivons. Nous touchons au but. Enfin presque ! Nous transvasons tout notre chargement dans les deux 4*4 qui vont nous promener à travers le salar. Nous serons conduits par Freddie et Noël. Dernier détour pour larguer les affaires inutiles et trouver du Singani. Et c’et reparti. Encore 1h30 de piste en pleine nuit, sur le bord sud-est du salar à bord des 4*4 jusqu’au village de Culpina K. Nous allons passer la nuit dans une maison d’hôtes. Le couchage semi-collectif donne lieu à de franches rigolades.