Ronde bolivienne (5)
Vendredi 28 mai 2010, La Paz
Ce matin, en descendant pour partir vers le lac Titicaca, nous faisons la connaissance de notre nouvelle guide, Eldy, qui se révèle autrement plus intéressante qu’Arturo, par tout ce qu’elle nous raconte à propos de la Bolivie sur tout un tas de sujets différents. Nous quittons La Paz par le même effroyable rond-point au bout de la Calle Illampu puis nous bifurquons vers les hauteurs d’El Alto, l’autre partie de la ville, probablement la route inverse de celle que nous avions empruntée de nuit en provenance de Uyuni.
La circulation y est tout aussi effroyable, mais là nous sommes sur le plateau. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’est installé l’aéroport de la capitale. Après les rumeurs urbaines, le paysage redevient un peu plus naturel, tout du moins agricole, le tout sous une épaisse couche nuageuse. Arrivés à Tiquina, nous devons descendre du bus pour franchir le petit détroit. Le bus d’un côté sur une barge qui semble prendre l’eau vu le matelot qui écope tout le long, nous de l’autre à bord d’un petit bateau, tarifé à 1.50 bolivianos la traversée. De l’autre côté du bras de lac, il faut satisfaire à un contrôle d’identité. Gare à eux qui auraient laissé leur passeport à bord du véhicule. Tout ceci se justifie par les trafics liés à la proximité immédiate du Pérou. Le temps de faire traverser le bus et nous pouvons repartir vers Copacabana, l’originale.
Cette ville abrite une des plus importantes églises de Bolivie, et même de la région car elle héberge la vierge de Copacabana, fabriquée par Yupanqui, le premier inca converti au christianisme. Elle est aussi connue pour les baptêmes de véhicules. Mais nous y arrivons trop tard pour y participer. Nous ne trouvons que les marchands sur les marches qui proposent tout un tas d’objets différents à acheter et à faire bénir selon ce que vous désirez. Sa taille est imposante, toute recouverte de blanc, sauf les coupoles faites de tuiles vernissées. Il s’agit là du style mudejar importé par les espagnols. La cour est immense : elle servait pour les indiens, seuls les colons avaient le droit d’entrer dans la nef. Aux quatre coins s’élèvent une chapelle dans le même style que l’église : elles servaient pour la baptême des indiens. Au milieu de la cour se dresse une sorte de temple : toit haut perché sur quatre piliers. En dessous sont plantées trois grandes croix.
Au-dessus de la porte principale a été placée une vierge de Copacabana mêlant symbolique catholique et symboles indiens. Juste en- dessous, le portail de bois finement sculpté raconte l’histoire de Yupanqui et de la vierge de Copacabana. Assez étrangement, la nef est relativement petite comparée à l’impression laissée à l’extérieur. Les voûtes sont peintes de couleurs très vives et voyantes. Derrière l’autel se dresse un imposant retable d’or et d’argent dans le plus pur style baroque-mestizo. Autant dire très chargé. Là encore nous retrouvons la présence de la symbolique indienne avec les trois niveaux : ceux du condor, du puma et du serpent. Sur le côté droit est installée une réplique de la vierge de Copacabana, initialement réalisée en ivoire. En sortant dans l’axe de la nef, nous trouvons l’accès à la chapelle des bougies, un endroit bien sombre où les croyants viennent déposer des bougies par paquets et demander une faveur à la vierge.
En revenant sur la place principale, nous pouvons apercevoir les deux rites qui se font face : le calvaire chrétien au sommet du Cerro Calvario et l’observatoire pré-inca derrière l’église, sur le Niño Calvario. Nous poursuivons notre visite de l’autre côté de la place sur le petit marché alimentaire. Nous pouvons y voir aussi tout un tas de « graines » ainsi qu’un énorme pop-corn, spécialité de la ville. Après le repas, nous continuons à descendre jusqu’à la plage de Copacabana. Là, nous montons à bord d’un petit bateau qui doit nous mener à la Isla del Sol (Ile du Soleil). Nous nous répartissons entre l’intérieur et le toit où sont installés deux bancs, pour profiter de la grosse heure de navigation à allure plutôt réduite. Nous longeons dans un premier temps l’extrémité de l’île de Copacabana avant de couper à travers une étroite passe. Nous croisons quelques rares embarcations : un catamaran de tourisme et un hydrofoil plus lointain. Il ne reste ensuite qu’à rejoindre la pointe sud de l’île, sous le site de Pilko Kaina ; lieu de notre débarquement.
Après nous être acquittés d’un droit de passage de cinq bolivianos à la communauté locale, Eldy nous présente le vestige devant lequel nous nous tenons. Place ensuite à une petite randonnée pour rejoindre le village de Yumani et notre hôtel. Nous progressons entre les terrasses d’origine tihuanaco et inca qui couvrent les flancs de cette île escarpée. Malgré la fin de la saison des récoltes, nous apercevons encore quelques parcelles cultivées, soit avec des fèves, soit avec de l’avoine. Les chemins sont bordés de plantes odoriférantes, voir dotées de propriétés apaisantes pour certaines. De temps en temps, nous nous retrouvons derrière des cordées d’ânes chargés pour rentrer au village. Souvent une femme et des enfants les mènent. Il arrive aussi qu’un lama complète l’équipage. Du fait de l’absence de véhicules, les bêtes de somme sont indispensables pour tous les convoyages y compris le ravitaillement en eau depuis les quelques sources.
A quelques kilomètres de là, nous pouvons distinguer l’île sœur : la Isla de la Luna. D’ailleurs, le soleil déclinant fait changer son apparence de minute en minute. Au bout d’une bonne heure de marche, après quelques massifs d’eucalyptus, nous atteignons la crête où est situé notre hôtel, au sommet du village de Yumani. De ce belvédère, nous bénéficions d’un point de vue sur le nord de l’île. En revanche, il n’y fait pas très chaud. Pour remédier à cela, nous nous préparons un pisco au restaurant de l’établissement. Ce soir pas de douche, par contre les chambres semblent avoir été chauffées : parfait pour bine s’endormir.
Samedi 29 mai, Yumani, Isla del Sol
Etant donné l’heure du petit-déjeuner, nous sommes tous réveillés avant. Pourtant, il faisait bon sous les couvertures. Avant de quitter les lieux, Philippe se rend compte qu’il y avait des cochons d’inde sur place, lui qui depuis le début souhaite en remanger ! Ce matin, le ciel, plus dégagé que la veille, et la présence du soleil offrent de belles lumières sur les reliefs de l’île.
Nous repartons en début de matinée vers le port de Yumani, le principal de la Isla del Sol. Une longue série d’escaliers sinuant à travers le village y conduit. Celui-ci s’éveille à peine : nous apercevons quelques personnes partir dans les champs avec leurs ânes. A voir les marches, on peut se demander comment étaient taillés les incas : certaines sont vraiment hautes. Au sommet du dernier tronçon nous faisons une halte devant une fontaine de cette époque là, dite « fuente del Inca ». Chacun des trois flux est sensé préserver la jeunesse : celle de l’esprit, du corps et de la peau. A l’époque inca les prêtres arrivaient par l’Escalera del Inca et venaient s’y purifier avant de progresser plus avant dans l’île.
Petit à petit nous nous rassemblons sur une des jetées. L’eau du Titicaca est claire mais tout de même bien fraîche. Notre bateau nous attend de l’autre côté du petit port. Nous embarquons pour retourner à Copacabana où nous retrouvons notre bus et notre chauffeur qui a récupéré nos casse-croûtes. Nouveau passage du détroit à Tiquina. Mais la descente nous apporte un petit plus : le ciel dégagé permet de distinguer les sommets enneigés de la Cordillère Royale dont le Huayna Potosi et l’Illimani.
Après quelques kilomètres de route, le véhicule nous fait une grosse frayeur : le chauffeur se met à freiner en pleine ligne droite tentant de garder le contrôle du bus. Nous pensons d’abord à une crevaison mais il n’en est rien. C’est carrément la barre de direction qui s’est détachée de la roue droite. Nous avons eu beaucoup de chance de ne pas nous renverser. D’autant plus qu’un voisin aide notre chauffeur à adapter une pièce pour pouvoir remonter. Finalement, cet incident ne nous aura pas retardés plus d’une grosse demi-heure.
Quelques kilomètres de plus et nous faisons une nouvelle halte, choisie celle-ci. Nous sommes à Huatajata chez Paulo Esteban, constructeur d’embarcations en totora, la plante pousse sur les bords du lac Titicaca, sorte de roseau. Ce vieil homme doit sa notoriété à l’aventurier danois Thor Eyerdhal qui lui avait demandé de l’aide pour construire divers bateaux « antiques » afin de démontrer sa théorie des échanges entre civilisations. Un des plus célèbres fut le Kon Tiki. Le vieil homme prend plaisir à montrer ses photos. Sur place, nous pouvons voir diverses de ses réalisations, sur l’eau comme sur terre. Cela va des bateaux aux meubles en passant par diverses miniatures. C’est l’occasion de voir de vrais totoras, contrairement à ceux de Copacabana dont la superstructure est faite de métal.
Après cette dernière visite, nous repartons vers La Paz. Nous retrouvons d’abord El Alto qui grouille toujours autant. Nous y déposons Eldy avant de continuer. Juste avant de descendre vers la capitale, une pause photo s’impose sur les hauteurs, la dernière pour se rendre compte de la situation unique de cette ville, partie d’une cuvette et grignotant désormais toutes les collines environnantes, veillée par deux sommets enneigés à plus de 6000 mètres. Nous apercevons aussi l’effervescence du Gran Poder, raison pour laquelle nous rentrons plus tôt en ville. Mais ce n’est encore qu’un avant-goût. En abordant le centre-ville, nous sommes confrontés à d’énormes embouteillages.
Il faut un long moment et de nombreux détours à notre chauffeur pour nous déposer devant l’hôtel, au centre des festivités. La récupération des clés est des plus rapides pour descendre au plus vite voir la fête la plus importante de la ville de La Paz. Le Gran Poder consiste en un immense défilé à travers la ville de groupes de danseurs et de musiciens, vêtus de tenues chatoyantes, plumes masques, … Tous exécutent des danses traditionnelles. La foule est nombreuse tout au long du parcours d’un spectacle qui dure des heures, jusqu’à tard dans la nuit. Sur l’avenue principale, il est même impossible de voir quoi que ce soit du défilé avec la présence de tribunes réservées dès le matin. Les contre-allées n’en restent pas moins très animées avec toutes sortes de vendeurs et d’organisateurs de jeux anciens. Il y en a pour tous les goûts et toutes les odeurs. Au fil des heures, nous commençons à voir des participants au défilé dans les rues transverses. La fatigue commence à se faire sentir. Pourtant la grande majorité continue à défiler en chantant et en dansant. Il est vrai que le public les ravitaille, souvent en bière ou autres alcools. Nous retournons à l’hôtel pour retrouver le groupe et prendre notre dernier repas en Bolivie. Une surprise nous y attend lorsqu’en fin de repas, le serveur nous apporte un pot recouvert d’un tissu opaque. A l’intérieur se trouve un cobra plongé dans l’alcool. Cela n’encourage pas vraiment à goûter !
Après le repas, nous retournons vers l’avenue principale : la fête continue à battre son plein, et toujours ça défile. Sur le bas de Calle Sagarnaga, des buvettes privées se sont installées, musique à l’appui. Côté défilé nous réussissons enfin à nous glisser juste au bord pour profiter du spectacle aux premières loges. C’est aussi le début de la beuverie, ou plutôt des premiers effets visibles. Il n’est que 22h et déjà certains ne savent plus où ils habitent ! Le temps est venu pour nous de rentrer. Nous laissons la fête se poursuivre jusque tard dans la nuit.
Dimanche 30 mai 2010, La Paz
3h30 : le réveil par téléphone est carrément brutal. Nous n’avons pourtant pas le choix avec un vol prévu à 6h30 vers Miami. Après un café vite avalé, nous partons vers l’aéroport. A cette heure aussi matinale, nous circulons bien dans La Paz. Les derniers fêtards sont toujours actifs autour de l’église San Francisco tandis que les équipes de nettoyage sont déjà l’œuvre sur l’avenue.
A l’aéroport, nous avons la désagréable surprise d’apprendre que le vol aura une heure de retard, transformée en 2h30 au final suite à diverses pannes alors que nous avons déjà embarqué. La correspondance à Miami est d’ors et déjà manquée. American Airlines n’est décidément pas une compagnie digne de confiance. Nous faisons aussi nos adieux à Ernesto. A l’escale à Santa Cruz, nous avons récupéré quelques minutes de notre retard mais rien de décisif pour modifier l’issue inéluctable.
Nous redécollons enfin vers Miami. Les ennuis continuent. Du fait de notre retard, nous sommes contraints d’attendre vingt minutes à l’arrêt complet sur le taxiway. Résultat, nous arrivons largement après le départ de notre vol vers Paris. Point d’agent de la compagnie lorsque nous débarquons contrairement à l’annonce de l’équipage. Heureusement, l’immigration est franchie assez rapidement quoi qu’il faille cette fois enregistrer empreintes digitales et photo du visage !! Du coup, nous nous devons attendre longuement les bagages. Et le douanier qui ose me demander à quelle heure est mon vol vers Paris ! Résultat, il me laisse passer sans contrôle. Nous trouvons enfin un comptoir American Airlines. Ah, elle est belle la promesse faite en vol d’agents de la compagnie qui nous attendraient à l’arrivée pour nous aider à repartir au mieux. Résultat des courses, il est trop tard pour espérer prendre le vol British Airways à destination de Londres, promis au départ de La Paz. Bien qu’il soit toujours au sol, l’enregistrement des bagages est déjà terminé. Nous sommes condamnés à passer une nuit à Miami. Je prends en charge les formalités pour l’essentiel du groupe. Nous sommes répartis sur trois vols du lendemain, certains sur le vol direct, d’autres via Boston et une via New York.
La galère se poursuit pour rejoindre l’hôtel Double Tree où nous sommes casés : la navette ne s’arrête pas. La première étant complète, nous devons attendre presque une heure avant de quitter l’aérogare dans la moiteur étouffante de la Floride. Nous débarquons à 21h30 à l’hôtel. Jamais auparavant je n’avais fréquenté un établissement de ce style. Tout y est démesuré. Nous n’aurons malheureusement pas le temps de vraiment en profiter. Même pas de la piscine qui aurait été bien agréable par une telle chaleur. Evidemment, tout l’hôtel est climatisé : le contraste est saisissant lorsque nous passons les portes.
Je suis impressionné en poussant la porte de ma chambre : elle est immense. Deux lits doubles m’attendent couverts de coussins, et moelleux à souhait. Un écran plat de grande taille, un grand bureau avec fauteuil en cuir. Tout le confort nécessaire est même plus. C’est trop ! Ce pays est vraiment sans limite.
Nous nous hâtons de redescendre car le restaurant ferme à 22h. Les plats sont très copieux à l’inverse du voucher qui lui n’est pas à la hauteur de la carte proposée. Enfin bon, nous pourrons nous coucher le ventre plein. Avec Evelyne, nous finissons la soirée au bar à siroter un mojito. Il est déjà minuit, largement temps d’aller profiter du lit : le réveil à 3h30 à La Paz semble si lointain.
Lundi 31 mai, Miami
Ce matin, nous aurions dû atterrir à Paris. A la place, nous nous réveillons sous le ciel floridien. Le vent souffle et les nuages sont là. En allumant la télévision, nous apprenons qu’un ouragan approche, normalement au-dessus des terres mardi ou mercredi. Il ne nous manquait plus que ça !
Nous nous retrouvons tous ou presque dans le salon dédié au petit-déjeuner. Nouveau dépassement de budget avec les cinq petits dollars du voucher. Satanée AA !! Enfin, vers 10h30, nous montons à bord de la navette de l’hôtel pour rejoindre l’aéroport. Pour une fois, enregistrement et contrôle sont assez rapides. L’avion est même arrivé à l’heure. Mais tout ceci était trop beau. Bien que nous ayons embarqué à l’heure, le départ tarde. Une simple toilette défaillante, une fois de plus, provoque un retard au décollage d’une heure ! Sans beaucoup d’informations de la part de l’équipage, d’ailleurs ! Comble du comble, malgré l’heure du vol, seules les boissons sont gratuites !!! Malgré tout nous arrivons suffisamment à temps à Boston. Ô miracle, aucun contrôle n’est nécessaire, juste cinquante mètres à faire dans le terminal pour rejoindre notre prochain avion qui est déjà là. Nous allons peut être réussir à rejoindre la France cette fois.
Enfin un vol se passe normalement du début à la fin. Cela tient de l’exception avec cette compagnie de malheur. Retour en France après 6 heures de vol, bien trop court pour espérer dormir à bord. C’est donc 48 heures après le départ de l’hôtel Sagarnaga que je pousse la porte de mon appartement. Il était temps.