Pérégrinations chiliennes (1)
Samedi 3 février 2007, Paris
L’heure du départ a sonné. Quelques mois en France et déjà l’envie de revoir de nouveaux horizons. Après avoir apprécié cet agréable match de rugby opposant les cousins latins en ouverture du tournoi des 6 nations, me voici à bord d’un mon taxi amical en direction de l’aérogare d’Orly Ouest. C’est tout de même plus agréable que le long trajet en RER ! Pourquoi Orly ? Tout simplement parce que la première escale sera Madrid-Barajas, terminal 4. Mais d’abord, rendez-vous avec la représentante de Club Aventure pour récupérer les billets électroniques. Nous serons finalement cinq, un groupe de quatre niçois (Josette, Ghislaine, Robert et Georges) et moi.
Arrivé au comptoir d’enregistrement commencent les ennuis. Mes connexions ne sont pas enregistrées dans le système informatique d’Iberia. Impossible d’enregistrer jusqu’à la destination finale, impossible d’enregistrer mon bagage. Après de très longues minutes d’attente, après un télex envoyé à Madrid, je finis par obtenir mes deux premières cartes d’embarquement (jusqu’à Santiago) ainsi que l’enregistrement de mon sac jusqu’à la destination finale. Mais, parce qu’il y a un mais ! Je dois récupérer ma dernière carte d’embarquement à Madrid au comptoir de Lan Chile. Heureusement que les hôtesses d’Iberia ont fait de leur mieux pour faire avancer mon problème, cela rehausse un peu l’image de leur compagnie.
Le vol se déroule sans encombre jusqu’à Madrid ; la fatigue commence à peser sur les paupières (il est déjà 22h15) ! Mais la suite va nous réveiller ! La visite de Madrid-Barajas commence. Après le débarquement, ne voyant pas de point info ni le moindre guichet, nous nous dirigeons vers le terminal international, le 4S, lieu où devrait logiquement se trouver le comptoir de Lan Chile. Après une vingtaine de minutes de marche, d’ascenseurs, et de train automatique (il relie les deux aérogares), après avoir franchi le contrôle aux frontières, nous dénichons enfin une hôtesse d’accueil, francophone ( !!), qui nous dit qu’il faut retourner là où nous étions ! Grrrr ! Demi tour, même programme avec en plus le franchissement de la douane, car il faut sortir complètement de l’aérogare ! Nous finissons enfin par dénicher ce fameux comptoir. Ici, aucun souci pour obtenir la dernière carte d’embarquement. Tout est a priori rentré dans l’ordre mais j’ai une petite crainte pour mes bagages ; on verra bien ! Il n’y a plus qu’à repartir au T4S, le terminal international. Petit plus, on doit passer le contrôle étant donné que nous avons dû sortir de la zone de transit. Heureusement que nous avions quasiment deux heures de transit. Nous arrivons juste pour l’ouverture de l’embarquement.
L’avion est plein. Aucune chance d’avoir de la place supplémentaire pour dormir sur ce long vol (environ 14 heures). Ce serait même le contraire puisque j’ai eu droit à un boulet qui prenait largement ses aises. Heureusement, la fatigue aidant, vers 2h du matin juste après le repas, le sommeil vient facilement même s’il n’est pas parfait. En ce qui concerne le vol, rien n’a changé chez Iberia en trois ans. C’est toujours les promenades perpétuelles dans les allées pour aller quérir, qui une boisson, qui quelque chose à grignoter, tout cela évidemment non annoncé ! Difficile de parler de « grande compagnie » mais ils sont quasi incontournables sur la desserte du continent sud-américain. Au bout de huit à neuf heures de vol, l’avion s’éveille à nouveau ; d’ailleurs, à l’extérieur, il fait désormais jour. Mais Santiago est encore loin. Nous commençons finalement par apercevoir les Andes, c’est pour cela que le sol semblait si proche de l’avion !! C’est le moment que l’équipage choisit pour renvoyer l’image de la caméra située au sommet de la dérive sur les écrans : l’image est vraiment sympa. C’est peut être le seul réel bon point qu’on puisse attribuer à la compagnie espagnole !
Enfin, nous atterrissons sur le sol chilien. Le climat estival qui nous accueille y est bien agréable. Mais personne pour nous accueillir comme nous le craignions. Et le créneau est un peu juste pour tenter d’aller faire un tour au centre-ville. Du coup, nous patientons une partie de la journée à l’aéroport en attendant notre avion pour Calama, dans l’après-midi. Ceci nous laisse le temps de faire du change et de grignoter tranquillement. Nous découvrons ainsi un aérogare moderne, proche de ceux que nous trouvons en Europe : pas folklorique pour deux sous comme c’est souvent le cas sur le continent africain par exemple !
Ultime trajet de ce long périple avant de commencer la découverte du Chili : Lan Chile, la compagnie nationale, nous emmène jusqu’à Calama dans le nord du pays ; un saut de puce d’à peine 1h40, bien ridicule par rapport au vol précédent. Et contrairement à ce qui est affiché, il n’y a pas la moindre escale : c’est toujours ça de gagné. En approchant de la piste, nous apercevons les mines de cuivre dont celle de Chuquicamata, certainement la plus importante du pays. N’apercevant pas la piste, nous avons longtemps l’impression d’atterrir dans le désert, directement sur le sable, mais non ! Un petit aérodrome de province nous accueille. Mais là, toujours pas la moindre trace de notre guide. Et les bagages qui se font attendre. Je retrouve là les habitudes des aéroports de « brousse » ! Finalement, tout arrive en même temps : nos premiers sacs et Mauricio qui sera notre guide.
Il ne reste plus qu’à embarquer à bord du minibus pour avaler les 110 kilomètres qui nous séparent de San Pedro de Atacama. La route est un long ruban noir quasi rectiligne, qui file droit vers l’ouest, vers la cordillère des Andes. La première partie est des plus désertiques : pas la moindre végétation, juste des étendues de rocailles et des collines rocheuses. En revanche, il y court des roues ! Première frayeur ! Un camion venant en sens contraire perd sa roue juste devant le véhicule qui nous précède. Notre chauffeur à se protéger en se glissant à sa droite. l’accident est évité de peu. Mais l’anecdote va nous accompagner jusqu’au bout du voyage. Passée la cordillère de Domeyko, plus sombre, nous apercevons enfin quelques touffes rabougries de verdure ici et là. Droit devant apparaissent aussi les premiers sommets andins. Nous sommes déjà à 2400 mètres d’altitude mais le Licancabur (littéralement le « gardien du peuple ») trône majestueusement sur le désert avec 5700 m. Plus à l’est, le Lascar, volcan toujours actif, cache son jeu. Parvenus à la cordillère de sel (toute proche de San Pedro), Mauricio demande au chauffeur de nous emmener jusqu’au mirador. Nous pouvons ainsi profiter de ce paysage surnaturel de pierre. Les massifs et les différentes falaises prennent des teintes ocres. Quelques fois, des croûtes de sel créent des tâches blanches. Le sol sous nos yeux ressemble à une série de dents rocheuses de différentes tailles. Dans le soleil couchant, les roches finissent par rosir. Les massifs érodés « paradent » sous nos yeux. Le Licancabur est tout en majesté. Et sur notre gauche, nous apercevons quelques oasis de verdure. Il s’agit tout simplement du village de San Pedro de Atacama, rendez-vous des voyageurs. Quelques minutes de descente et nous parvenons enfin au terme de cette très longue journée de voyage. La rue principale héberge l’essentiel des hôtels, restaurants, agences touristiques et commerces. Nous nous installons au Takha Takha à l’extérieur du centre. Une petite douche et nous allons chercher un lieu pour nous restaurer. Ce sera une adresse toute simple mais proposant de bons plats. Je crois que nous avons mangé pour 1500 pesos, ce qui représente seulement 15 francs ! il n’est que 22 heures mais la fatigue accumulée commence vraiment à peser. Il est temps . je tombe comme une masse !
Lundi 5 février, San Pedro de Atacama
Je suis réveillé assez tôt, ce qui était assez prévisible avec le décalage horaire. Néanmoins, je somnole pendant encore de longues heures. Le petit déjeuner est servi à partir de 8h30 sur la terrasse de l’hôtel. Autant dire que nous avons le temps. Par contre, la fraîcheur matinale est surprenante en comparaison de la température de la journée. Mauricio nous rejoint à 9 heures pour partir à la découverte d’une partie du désert d’Atacama.
Nous nous dirigeons vers le sud-est en longeant la partie orientale du salar d’Atacama. Les routes sont souvent parfaitement rectilignes. Le paysage est toujours aussi désertique. Des pierres de tous côtés, les sommets sur notre gauche et le salar sur notre droite. Aujourd’hui le Lascar fume mais pas d’explosion ni d’éruption. Nous commençons par traverser le secteur de Tambillo, composante du parc national des Flamants. Il s’agit d’une forêt de Tamarugos, une espèce d’acacias, replantée après la destruction humaine de l’époque de l’exploitation du salpêtre dans la région. L’endroit constitue une des rares oasis de ce désert, tâche verte au milieu des ces étendues grises-blanches. Un peu plus loin, nous traversons le village de Toconao. Nous poursuivons vers le sud jusqu’à la lagune Chaxa.
C’est là que nous découvrons pour la première fois un salar de près. Pour la modique somme de 2000 pesos (3 euros), nous pouvons cheminer au milieu des croûtes cristallisées de sel. De temps en temps, une aire circulaire est aménagée avec des murets et un panneau décrivant un aspect de ce milieu si particulier. Au premier regard, on pouvait croire que l’étendue était plane, mais y regardant à deux fois, la surface ressemble à une forêt de lames pointées vers le ciel, d’une dizaine de centimètres de hauteur maximum. Les variétés de formes semblent infinies. Quelques résurgences aquatiques forment ici et là des mares très chargées en minéraux : la couleur suffit pour le deviner ! Quelques lézards de Fabian s’y aventurent. On dirait des iguanes miniatures. C’est bien les seuls animaux qui s’aventurent dans les zones cristallines. Un peu plus loin, un nouveau panneau faisant face au Lascar rappelle combien celui-ci est actif : au moins une éruption par an depuis 2000 ! Le chemin nous rapproche ensuite de la lagune. Quelques flamants encore lointains sont en train de prélever leur repas. Quelques pas plus tard, nous parvenons à les approcher de plus près sans qu’ils ne soient effarouchés. Nous distinguons alors mieux la différence entre les deux espèces : le flamant chilien a l’extrémité du corps rose tandis que le flamant andin l’a noir. Le troisième, le flamant de James, ne descend ici qu’en hiver, lorsque le froid est trop intense en altitude. De l’autre côté du chemin, le cliché est superbe : la montagne orangée en arrière-plan se reflète sur le plan d’eau au milieu duquel se trouvent cinq flamants. Quelques petits pluviers du Puna traînent ici et là ou naviguent sur les bras les plus étroits de la lagune, mais ils restent rares. Je regrette juste que les flamants n’aient pas daigné s’envoler devant nous. Un seul nous gratifiera d’un vol lointain sur fond de montagnes :c’est vraiment un beau spectacle. Derrière le bâtiment de la caisse, une salle vidéo permet de mieux comprendre l’histoire du salar, sa faune et aussi le fonctionnement du parc national pour préserver le milieu. Mais pour le comprendre, il faudra maîtriser soit la langue parlée de Cervantès soit celle écrite de Shakespeare. Quelques panneaux muraux complètent la présentation du milieu.
Après cette découverte du salar, nous reprenons notre route vers le sud pour prendre un peu plus de hauteur. Nous allons passer de 2400 m au niveau du salar à environ 4100 m. En prenant de l’altitude, l’air se rafraîchit mais surtout, la végétation apparaît enfin (au dessus de 3000 mètres environ). Il ne s’agit certes que de petites boules d’une sorte de paille, qu’on appelle ici la paja brava, qui donnent aux flancs des montagnes une belle teinte jaune. Ici, l’environnement minéral est surtout d’origine volcanique. L’aspect du paysage proche ne trompe pas. Après une assez longue ascension, nous parvenons à une sorte de col qui nous révèle enfin la raison de notre montée. C’est là qu’est installé le bureau d’entrée pour acquitter le droit d’accès à cet autre secteur du parc national des Flamants, là encore seulement 2000 pesos.
Juste sous nos yeux apparaissent deux lagunes d’un bleu sombre uniforme, surveillées de près par deux montagnes, les cerro Miscanti sur la gauche et Miniques sur la droite. avec l’altitude, les lagunes sont beaucoup plus douces que celles du salar. Elles se nourrissent principalement du ruissellement et de la fonte des neiges, la lagune Miniques étant alimentée par la lagune Miscanti située plus haut, avant de disparaître dans le sol pour resurgir 2000 mètres plus bas au cœur du salar. Le vent frais nous cueille et nous force à enfiler les polaires. Mauricio nous propose alors de finir à pied pendant qu’il va préparer le pique-nique à l’arrivée, juste au dessus de la lagune Miniques. La ballade ne paraît pas bien difficile, peut être un peu plus d’un kilomètre. Il nous prodigue pourtant quelques conseils : y aller doucement, faire attention à ne pas se baisser la tête en avant, … .En quelques mètres, nous comprenons pourquoi. Que ce soit dans la descente initiale, au bord de la lagune ou sur le léger faux plat final, l’altitude se fait bien sentir. C’est la première fois que je monte si haut. La respiration est plus pesante, les efforts plus fatigants. Néanmoins, le cadre est magnifique avec cette lagune bleutée ceinte par les sommets aux teintes orangées. La seule présence animale est l’avifaune avec quelques grèbes, foulques et canards au milieu du plan d’eau. Eduardo, notre chauffeur, nous récupère sur la piste pour nous conduire enfin au lieu du repas : un promontoire avec vue sur la seconde lagune. Ce copieux pique-nique permet de bien requinquer les organismes ! Il faut bien ça. D’ailleurs, une fois le ventre plein, nous repartons pour approcher le groupe de lamas en train de brouter quelques centaines de mètres plus bas au bord de l’eau. Le retour sera tout aussi rude, sans parler de la montée ! Efforts épuisants bien qu’anodins en apparence. Ce ne sera que de retour bien plus bas que tout le monde retrouve son état normal.
En chemin, nous faisons une halte au village de Socaire. Petit village qui présente la particularité d’être couvert de terrasses et de canaux permettant de nombreuses cultures. A l’origine, ces installations servaient à produire l’impôt pour l’Inca, maître des lieux. La petite église en adobe et recouverte de paille est charmante, mais fermée. Comme partout dans la région, le clocher est séparé de l’église. La seconde construite sur la place du village est bien moins attrayante : moins authentique quoi qu’en pierre.
Plus tard, nous faisons une nouvelle halte, cette fois au village de Toconao, abritant à peine 500 âmes. Sa particularité vient du fait que l’adobe est ici remplacée par la liparite, une pierre blanche d’origine volcanique extraite de la carrière toute proche. Ici, l’église est ouverte et nous permet d’en découvrir la structure. Dès le portail, il apparaît clairement que les rites païens n’ont pas disparus. Un âne à gauche et un lama à droite encadrent le portail d’entrée. Dans un des jardinets, le cactus San Pedro, hallucinogène et fortement lié aux pratiques ancestrales, est en bonne place. Là encore, la toiture est recouverte de paille mais la particularité vient de l’usage du bois de cactus, très reconnaissable avec les nombreux trous qui percent naturellement les planches ainsi obtenues.
En sortant apparaît le clocher sur la place. Ses trois niveaux en degrés sont recouverts de peinture blanche. La porte d’accès ainsi que le petit chapiteau sont eux aussi réalisés en bois de cactus assemblé avec des tendons de lama. Il trône là depuis de 1750. La place est bien animée, tant par les quelques minibus de touristes que par les habitants qui semblent préparer le carnaval proche. Dans une petite rue attenante, nous visitons la boutique d’une vieille dame qui tisse elle-même la laine d’alpaga ou de lama. Nous pouvons même voir le métier à tisser dans l’arrière-cour. Nous en profitons même pour goûter quelques figues de Barbarie. Si vous passez là, n’hésitez pas à faire quelques achats (l’expérience nous a montré que les prix montaient au fur et à mesure que nous descendions vers le sud).
Il ne reste plus qu’à rejoindre San Pedro d’Atacama. Après une douche bienvenue et un agréable apéritif, nous nous mettons en quête d’un restaurant. Quasiment au bout de la rue Caracoles, nous apercevons une enseigne au nom français, La Cave, dans une rue attenante. En approchant, il s’avère que le chef est français, un toulousain ! Le menu étant sympa et peu onéreux (4000 pesos, soit un peu plus de 6 euros), nous nous décidons à rester là. Et puis c’est sympa de parler sa langue et de comprendre parfaitement ce qu’on commande. Pour la langue, il faut reconnaître que le français est bien présent dans la région. Visiblement la nation numéro un !
Le ventre plein et les fatigues de l’altitude devraient attirer le sommeil sans difficulté ! Auparavant, nous avons jeté un œil au ciel particulièrement étoilé mais les quelques lumières de la ville gâchent tout.
Mardi 6 février, San Pedro d’Atacama
Encore une fois, je me réveille vers 4h du matin. Va falloir que ça change ! Et qui plus est, un groupe non identifié a fait du bruit de 4h à 7h ! Grr !!! Mauricio nous rejoint un peu après neuf heures, e qui me laisse le temps de faire quelques photos des alentours. Nous partons ensuite à pied pour découvrir le centre de San Pedro, un endroit plein de charme qui semble vivre au ralenti et dont l’isolement par rapport au reste du pays semble l’avoir protégé des méfaits de la modernité ; le tourisme pourtant important n’a même pas dénaturé l’endroit. Nous remontons d’abord Caracoles, la rue principale du village, que nous connaissons déjà. Mais le jour, elle apparaît sous un autre aspect. Les couleurs de l’adobe, ce mélange de boue et de paille qui constitue les murs et souvent les toits, sont bien plus marquées. Ainsi le village présente un apparence rougeâtre. Il faut imaginer une petite rue de terre battue le long de laquelle sont construites des maisons basses, toutes en adobe ou presque. Même les hôtels sont de plain pied. Nous apercevons parfois quelques bases de mur en liparite, la même pierre qu’à Toconao. A cette heure matinale, les rues sont bien calmes : il faut dire que les chiliens ne sont vraiment pas du matin.
La première rue pavée (et la seule) nous conduit jusqu’à la place du village. Ici, toutes les façades sont blanches : le contraste est surprenant par rapport à la rue précédente aux teintes rougeâtres. Sur la droite, quelques arcades abritent des commerces. Sur la gouache s’élève l’église de San Pedro, la plus grande du coin et une des plus anciennes (17ème siècle). Elle est d’une blancheur quasi parfaite, ceinte d’un muret tout aussi blanc. Son toit est recouvert de boue ce qui apporte une nouvelle teinte plus rouge. En y pénétrant, nous sommes surpris par cette forte odeur de bois. Le sol est recouvert d’un imposant plancher : on s’imagine sur le pont d’un navire. Le toit est là encore composé de planches de cactus fixées sur une structure en bois de « chañar ». la décoration est assez simple : derrière un autel assez banal, sur un mur blanc, sont creusées six niches peintes en bleue accueillant chacune une statue. En ressortant par le portail principal, nous découvrons enfin le clocher à deux niveaux qui est accolé à la nef, blanc lui aussi. Quant au centre de la place d’armes, il est occupé par de nombreux arbres, dont des faux poivriers quelques « chañars ». Quelques lauriers roses et blancs apportent une touche de couleur supplémentaire. A l’opposé de l’église s’élève une vieille bâtisse, la plus ancienne du village (16ème siècle), érigée par Aguirre pour la venue de Pedro de Valdivia, le conquistador découvreur du Chili. Finalement, nous entrons dans le musée archéologique Gustavo Le Paige, un des plus réputés de cette partie de l’Amérique. L’accès nous coûte seulement 2000 pesos (à croire que c’est le tarif général pour tous les sites de la région !). Agencé en étoile, il permet de comprendre le milieu du salar ainsi que l’évolution du peuple atacamène, de 10000 avant J.C. jusqu’à la conquête espagnole en passant par les influences Tiwanaku (le peuple du Titicaca) et Inca. Ses nombreuses vitrines présentent une collection riche et variée traitant de tous les aspects de cette culture. Assurément une visite très instructive qui permet d’en savoir beaucoup plus sur ce peuple andin. Entre autres attractions, on peut y voir la momie baptisée Miss Chile ! Les commentaires éclairés de Mauricio furent les bienvenus ; néanmoins, à l’entrée de chaque « branche », un feuillet en anglais (ou en espagnol, je n’ai pas vérifié !) permet d’avoir des explications sur les objets exposés.
Après cette matinée culturelle bien dense, nous retournons à l’hôtel où nous attends Eduardo pour aller découvrir un nouvel endroit et un nouvel aspect du désert. Nous faisons une trentaine de kilomètres vers le nord-est en direction de Puritama. Le paysage est encore différent. Nous sommes cernés de collines de pierres. On pourrait presque croire que ces tas de cailloux ne sont pas naturels. Et pourtant ! Le paysage est donc plutôt gris. Quelques très fins nuages blancs on fait leur apparition dans cette immensité pure qu’est le ciel du désert d’Atacama. De temps en temps, quelques cactus d’environ deux mètres de haut apparaissent au milieu des cailloux. La piste est de moins en moins lisse ; le minibus cahote. Enfin, nous parvenons au parking des thermes. Puritama est un canyon dont l’entrée est pour ainsi dire fermée, et baigné par une source d’eau chaude. Après avoir surgi à l’extrémité du canyon, elle s’écoule de bassin en bassin, formant autant de petites piscines où l’eau approche les 30-35°C. Telle est la vision que nous avons depuis le parking situé sur les hauteurs. Il ne reste plus qu’à descendre au fond de la gorge. C’est là qu’il faut régler l’entrée de 5000 pesos. De plus prés, nous découvrons les petites cascades qui relient les différents bassins. Certains sont même dotés de bains à bulles naturels. Tout le cours de la rivière est bordé de joncs qui apportent leur teinte verte des feuilles et la blanc des plumeaux. Ils servent même de rideaux naturels offrant ainsi une certaine intimité. Au niveau des sanitaires – vestiaires, quelques tables de bois à l’ombre permettent de pique-niquer. Et tous les bassins sont reliés par des pontons en bois peint de rouge. Mais gare aux brûlures pour les pieds nus ! Quant à la remontée depuis le dernier ponton, elle se fait sentir. Nous sommes tout de même à plus de 3400m. voici un véritable havre de paix, reposant et relativement peu fréquenté, du moins au moment où nous y étions. La remontée jusqu’au parking est tout aussi tonifiante. Nous sommes en train d’accumuler des globules rouges ! Aux abords du parking, je repère un « coussin de belle-mère » pour le prendre en photo. De loin, cela ressemble à une boule végétale inoffensive, qui est en fait recouverte d’épines particulièrement importantes. Un peu plus loin, au hasard d’un virage, nous faisons une pause pour immortaliser quelques cactus candélabres. Je me contente de les mettre dans le téléobjectif : petite pause pour les efforts physiques ! Je laisse les autres se prendre pour des lamas !
De retour à San Pedro, Mauricio nous accorde une petite pause d’une trentaine de minutes. J’en profite pour aller flâner en ville. Ne trouvant pas de nouvelle maison à photographier ni rien à acheter au marché artisanal, je me replie sur quelques cartes postales. Nous repartons ensuite vers la cordillère de sel que nous avions franchie le premier soir. Cette cordillère, à l’origine une zone sédimentaire composée de strates de sable, de sel et d’argile, a pris sa forme actuelle suite aux nombreux mouvements de la croûte terrestre dans cette zone sismique et volcanique. Le vent a terminé le travail au fil du temps. Eduardo nous dépose non loin du premier mirador. Nous sommes ainsi au sommet d’une falaise qui surplombe une large vallée salée, bordée de l’autre côté par un autre cordon rocheux. Nous progressons d’abord sur le plateau parsemée de gros cailloux avant de nous rapprocher petit à petit de la falaise. Le chemin se rétrécit jusqu’à quelques dizaines de centimètres de large, tout en restant praticable. Nous commençons à apercevoir la dune qui s’est formée avec l’accumulation du sable contre la falaise. C’est en fait par là que nous allons descendre, progressant à flanc de dune dans un sable bien mou. Ainsi, nous descendons de plusieurs dizaines de mètres. Le paysage quoi que désolé est superbe. Le rouge de la falaise se transforme en jaune du sable, puis en blanc dans le fond de la vallée. Dès que nous l’atteignons, la texture du sol change littéralement. Il s’agit d’une croûte de sel qui s’est déposée sur tout le fond de la vallée. Nous la traversons pour trouver l’entrée d’un canyon de l’autre côté. Il y a dû y avoir du passage lors de la dernière pluie : les marques profondes de pas sont légion ; je préfère d’ailleurs m’écarter de la piste pour marcher plus tranquillement. Ce tronçon est le plus pesant dans ce fond de vallée en plein cagnard sur cette couche de sel. D’abord modeste avec des parois tout en rondeur, d’au maximum deux à trois mètres, le canyon se transforme peu à peu en élevant ses parois. Sur cette roche rouge, es dépôts de sel laissent une impression de neige. Le soleil révèle en les faisant briller de nombreux minéraux (quartz, gypse, …). Les parois changent aussi d’apparence : on trouve de plus en plus de cristaux affûtés qu’on imaginerait plus dans une grotte. Quelques passages sont un peu sportifs comme cette première cascade asséchée qu’il faut franchir en se collant à la paroi sur la gauche. Plus loin, Mauricio demande le silence pour faire écouter le « chant » de la roche : cela craque de tous côtés ; c’est réellement impressionnant mais en principe, nous ne risquons pas grand chose, les rochers tombant le matin au moment où les écarts thermiques sont les plus importants.
Cette audition se déroule juste à l’entrée d’un tunnel naturel au plafond bien bas. Il faut bien faire attention où on passe et viser la sortie indiquée par une faible lueur. La seconde épreuve consiste à franchir un chaos barrant le passage. Quel spectacle une fois parvenus au sommet. Derrière s’étend une rivière de sel, le plus souvent immaculée. Quasiment toute la largeur du canyon (dit canyon de « quebrada », littéralement canyon de canyon !! Ces chiliens !!!!) est occupé par ce dépôt salin. Les cristallisations sont très douces souvent en forme de boules ou de petites cascades. Les comparaisons culinaires vont bon train : crème chantilly, crème fraîche, … mais aussi tout simplement de la neige. Autant les précédents dépôts n’avaient pas saveur, autant là les cristaux ont u vrai goût de sel bien connu. Le parcours se termine non loin de là par une dernière épreuve. Un léger à-pic à descendre en marche arrière bien guidé par Mauricio pour trouver les bonnes prises et la bonne voie. Et toujours ces dépôts de sel, toujours cette érosion qui emporte l’argile et autres matériaux friables pour ne laisser en place que les roches les plus dures, créant ainsi des formes inattendues. Voici une ballade qui mérite vraiment le détour. Quelques mètres plus loin, Eduardo nous attend, directement dans la sortie du canyon pour nous conduire à la Vallée de la Lune toute proche. Ce lieu a été baptisé ainsi du fait de sa prétendue ressemblance avec la surface de l’astre sélène. Avec un peu d’imagination pourquoi pas ! Après avoir acquitté un droit d’entrée de 2000 pesos (encore une fois la même somme ; cela devient comique !), nous nous enfonçons au cœur du parc. Nous venons là juste pour le coucher de soleil mais l’endroit réserve de nombreux points d’attraction, tous du monde minéral. Nous nous rendons comme beaucoup au pied de la grande dune aux teintes sombres. En cette fin d’après-midi, le sable mou est un vrai calvaire et l’ascension se fait à un rythme de sénateur. Enfin parvenus au sommet, Mauricio nous conseille de continuer sur la crête rocheuse qui nous fait face. Il y a aussi moins de monde par là, la majorité continuant sur la crête de la dune jusqu’au massif voisin. Nous enfilons vite les polaires car cette crête dominant le site se retrouve inévitablement en plein vent. En nous retournant, nous profitons d’un spectacle superbe. Sous nos yeux, des formations tout en rondeur et de couleur rose, puis la dune sombre. Au second plan, complètement sur la gauche trône majestueusement l’amphithéâtre, un massif tenant son nom de sa forme caractéristique. Sur la droite s’étend une plaine recouverte d’une croûte salée. Le décor est ceint par un nouveau cordon rocheux aux teintes rosées. Enfin, l’horizon est occupé par les nombreux sommets voisins. Au fur et à mesure que l’astre solaire décline, les couleurs changent : c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la visite. Mais le plus surprenant reste sans hésitation les hauts sommets qui deviennent très nets et tout rose juste après la disparition du soleil. Un moment magique !
Voici qui conclut une journée bien remplie. Il ne reste plus qu’à trouver une table pour nous restaurer. Mais avant, avec Josette, nous allons faire quelques menues emplettes. Nous dénichons un restaurant sympa situé dans un patio au fond d’un long couloir, au centre du quel brûle un brasero, avec un ciel étoilé en guise de toit. Nous ne tardons pas trop car la nuit sera courte.
Mercredi 7 février, San Pedro d’Atacama
Dur, dur ! 4h du matin et le réveil sonne déjà. Mauricio nous a donné rendez-vous à 4h30. Et nous ne sommes pas les seuls à nous lever si tôt. Nous quittons définitivement San Pedro. Mais l’heure si matinale s’explique par le fait que nous avons 90 kilomètres de piste à parcourir pour atteindre les Geysers du Tatio, le tout avant le lever du jour. Il faut reconnaître qu’il n’y a pas grand bruit dans le véhicule ; tout le monde somnole plus ou moins. De toute façon, la nuit noire ne permet pas de voir le moindre paysage. C’est tout juste si nous nous rendons compte que nous avons repris la piste de la veille qui nous avait conduit à Puritama. J’ai dû dormir un peu car je n’ai pas vu le temps passer. Après avoir franchi un col à près de 4700 m, nous atteignons enfin le site. L’arrivée est assez dantesque. Nous voyons d’abord les nombreux phares dans la nuit noire. Une fois la barrière franchie (après avoir payé notre entrée de 3500 pesos à des indiens couverts comme au pôle !), les premières fumerolles apparaissent ici et là. Mais ici, il ne faut pas s’attendre à voir un spectacle comme celui d’Islande ou du parc Yellowstone : pas le moindre geyser cracheur d’eau, seulement des émanations de vapeurs provenant de rivières souterraines entrant en contact avec des roches extrêmement chaudes.
Eclairées par les phares , ces colonnes de fumée pourraient faire penser à un avant-goût d’enfer. Nous sommes en fait sur un immense champ géothermique situé à plus de 4300 mètres d’altitude. La vapeur s’échappe par les diverses fissures de la « puna » (l’altiplano situé au-dessus de 4000 mètres). Les moins courageux restent au chaud en attendant que le jour se lève. Je décide pour ma part de braver de suite les éléments pour profiter au maximum de l’endroit. Attention, la température est négative : manteaux, bonnets et gants sont les bienvenus. Et les photos plus difficiles à déclencher !! Une fois équipé, je déambule prudemment au milieu des fumerolles. Les mouvements sont lents pour éviter tout problème dû à l’altitude. Les flashes donnent une impression surréaliste. Un premier tour me permet de me rendre compte de l’étendue du site. Il y a de tout : de grosses concrétions en forme de dôme de plus d’un mètre, d’où jaillissent régulièrement quelques giclées d’eau à une température avoisinant les 85°C mais surtout de hautes fumerolles quasi verticales. Les plus grandes atteignent les dix mètres de haut. Ailleurs, de simples panaches émergent de nulle part. il y en a partout, où que nos yeux se portent. Il faut faire attention où on marche. De temps en temps, nous sentons la présence de soufre dans les vapeurs expirées par la croûte terrestre. Avec l’apparition lente du soleil le spectacle évolue : le cadre rajoutant ses couleurs rose, jaune et verte ; ainsi que le bleu azur d’un ciel parfaitement pur. Les paparazzi s’en donnent à cœur joie. Le spectacle est partout ! Une pause dans le minibus toujours en route est indispensable pour se réchauffer avant de repartir de plus belle. Il faut dire que le site ne cesse d’évoluer au fil des minutes. Le point d’orgue reste le créneau 6h-7h juste après le lever du soleil où le phénomène est à son maximum. Pendant le petit déjeuner pris au milieu du site face aux colonnes de vapeur, nous sommes survolés par quelques oiseaux, des petits bien peu farouches mais surtout la mouette andine reconnaissable à sa queue noire. Dès que le soleil passe au-dessus de la crête qui nous fait face, les appareils reprennent du service pour prendre l’astre solaire à travers les voiles vaporeux. Les masses sombres qui nous entouraient se révèlent être des montagnes dont les flancs couverts de végétation rase prennent lentement une couleur dorée. Quant aux parties rocheuses exposées à l’est, elles s’embrasent offrant un rougeoiement bien agréable à admirer. On pourrait rester des heures mais il faut être raisonnable. Et puis avec l’installation du jour, les colonnes commencent à perdre de leur superbe, comme si elles s’enfonçaient dans le sol.
Pour retourner à l’entrée, Eduardo nous fait faire le tour du site. C’est ainsi que nous apercevons d’abord quelques flamants roses dans une petite lagune. Plus loin, c’est la vigogne qui fait enfin son apparition, le plus petit des quatre camélidés andins, sauvage. Le téléobjectif se révèle alors très utile. Arrivés en bordure du champ géothermique, Mauricio cherche des volontaires pour un petit bain. Avec Georges nous relevons le défi : le soleil a bien relevé la température mais surtout, la source d’eau chaude alimente une piscine sommaire. L’entrée dans le bassin à l’opposé de la source est déjà plus facile (environ 25°C et en plus, une échelle permet de descendre aisément dans l’eau) mais la température monte au fur et à mesure de notre progression. Au plus près de la source, les courants sont parfois brûlants ; il y a même des remontées chaudes à travers le sol ! Le bassin fume allègrement et nous avec. Cela donne un tableau très surprenant : quelques dizaines de fadas en maillot de bain à plus de 4000 mètres et tous les autres avec leurs anoraks et leurs gants à quelques pas. Cette baignade est un vrai bonheur ; il eut été dommage de rater cela. Et cela méritait un réveil si « nocturne ». La sortie du bain est plus rafraîchissante : on ne traîne pas longtemps en petite tenue ! Mais ne cherchez pas de vestiaires : il n’y en a pas. Il ne nous reste plus qu’à reprendre la piste après avoir fait une escale physiologique au bâtiment d’accueil.
Nous prenons la direction de l’ouest vers Calama par la piste au nord du salar. Celle-ci nous permet d’éviter de repasser par San Pedro et de découvrir de nouveaux coins du désert. Le long de la descente, le relief nous offre de superbes palettes de couleurs et de formes. Nous apercevons de plus en plus de vigognes. Cela devient presque un spectacle banal. Le plus difficile reste parfois de les discerner sur fond de pierres : il faut avoir l’œil, être attentif. Subitement une forme grise apparaît sur une crête. Cette grosse boule grise se révèle être un nandou, la petite autruche sud-américaine. Elle reste bien loin et nous montre surtout son long cou. Le moment est furtif ; il ne faut pas le manquer.
Au hasard d’une pause photo pour immortaliser un nouveau paysage, mélange de rouges minéraux, de verts végétaux et de dégradés blancs et jaunes salins (et d’azur), nous apercevons du mouvement en contrebas. Après de longues minutes de patience, aidés par les jumelles, nous finissons par notre premier viscache, une sorte de lapin dotée d’une grosse queue, en fait un rongeur apparenté aux chinchillidés. Nous n’en reverrons pas d’autre de la journée. Nous poursuivons donc notre descente tout en profitant de la vue sur le salar et l’immensité du désert. Repassés sous les 3000 mètres, le paysage reprend son aspect désertique avec ses étendues de pierre grise. Il n’y a pas âme qui vive ; ça en serait presque lugubre. Seule la piste principale toujours aussi rectiligne rompt un temps cette monotonie. De temps en temps, une piste secondaire part sur la droite. Il ne faut pas hésiter à y aller. En effet, lorsqu’on s’enfonce dans les vallées transversales, la vie réapparaît sous la forme d’oasis. C’est le cas du petit village de Caspana. Il se love au fond d’une gorge où coule une rivière qui permet aux cultures de pousser. Les habitations, la plupart du temps traditionnelles en pierre avec un toit de chaume et de boue, sont accrochés sur les deux flancs de la gorge. Juste au-dessous s’étalent les nombreuses terrasses délimitant de nombreuses parcelles de cultures. Caspana s’est spécialisé dans la production de fleurs et de quelques fruits : pommes, petites poires dites poires de Pâques et de petits abricots dont nous délectons avec plaisir pour une poignée de pesos. La ballade dans les ruelles et au bord des jardins nous permet de voir vivre cette communauté ne prêtant même pas attention à notre présence. Ils continuent à vaquer à leurs occupations : qui cueillant les fleurs, qui manipulant les canaux pour arroser les bonnes parcelles.
Nous reprenons ensuite la route et rapidement cet îlot de verdure disparaît dans la masse désertique. Quelques dizaines de kilomètres plus loin, nous empruntons la vallée de la Loa (le plus long fleuve du Chili avec ses 400 et quelques kilomètres). La présence de l’eau a donné naissance à un long ruban vert. Ici les gens se sont spécialisés dans la culture de la carotte, de la betterave et de l’oignon. Ici chaque village se spécialise sans concurrencer les productions voisines. Nous atteignons le petit village de Lasana où nous faisons la pause repas dans un restaurant local. Les légumes dans la soupe sont impressionnants, tout particulièrement les énormes fèves. Nous sommes surplombés par les ruines d’un pukara. Il s’agit d’une ancienne forteresse pré-incaïque qui assurait la sécurité de la vallée de Lasana. Aujourd’hui il n’en reste que quelques pierres. Eudardo, notre chauffeur, profite du lie pour dépoussiérer son minibus qui n’est plus du tout blanc. En ressortant de la vallée, nous apercevons un pétroglyphe juste au-dessus de la route. Sur ce gros rocher sont représentés cinq lamas et deux gardiens de troupeau. Il semblerait que ces dessins servaient pour communiquer avec les autres meneurs de troupeau, un peu comme des panneaux de signalisation.
Non loin de là, nous nous rendons au village de Chiu-Chiu. C’est à mes yeux celui qui a le moins de charme. Il revêt en revanche une importance culturelle certaine puisque nous sommes dans un carrefour pré-hispanique. Ici fut érigé la première église du Chili en 1675. Comme souvent elle est complètement enduite de blanc, tout comme le mur d’enceinte. Son clocher est plus classique puisque formé de deux tours accolées de part et d’autre du portail principal. Les murs de terre sont très épais et la toiture toujours en bois de cactus fixé avec des lanières de cuir ou en tendon de lama. Il en est de même pour les menuiseries, tout particulièrement la porte du portail latéral qui permet d’entrer dans cette église. Eduardo, très gentiment, m’indique même une plateforme qui fait face à l’édifice d’où on peut prendre l’église dans son intégralité.
Nous reprenons enfin la route vers Calama, distante d’à peine une trentaine de kilomètres. Elle n’offre pas grand intérêt si ce n’est d’être la grosse ville du coin avec tous les services possibles, mais surtout une ville de mineurs. A ce titre, il est recommandé de ne pas trop traîner dans la rue à la nuit tombée, certains quartiers devenant un peu louches. A quinze kilomètres se tient Chuquicamata, la plus grande mine à ciel ouvert du monde, exploitant un filon de cuivre. A l’heure actuelle, elle atteint la profondeur d’un kilomètre ! Le complexe est immense comprenant deux sites d’extraction, une raffinerie, une fonderie sans compter les immenses terrils, collines de déchets, visibles à des kilomètres à la ronde, sur lesquels nous apercevons régulièrement les énormes camions-bennes de 380 tonnes de charge (chaque roue fait quatre mètre de diamètre). Nous nous contentons d’observer le site à distance mais il est possible de visiter la mine pour mieux se rendre compte du gigantisme du lieu. Eduardo qui a grandi dans la ville de Chuquicamata nous y emmène et nous raconte comment il vivait là. Elle fut dans le passé le berceau du syndicalisme chilien et aussi des idées de gauche. Désormais, elle est condamnée par les exigences occidentales en terme d’obligations environnementales. La vieille ville s’est retrouvée trop proche de la mine ; elle est désormais en cours de transfert. Ainsi, 12000 personnes ont été déménagées aux abords de Calama, créant ainsi de nouveaux quartiers. L’endroit ressemble à une ville fantôme : les ouvertures des bâtiments sont condamnées, l’ancien hôpital autrefois havre de verdure disparaît petit à petit sous les déchets de la mine. Seuls les employés qui passent apportent un peu de vie. Et ce n’est pas fini puisque la veine actuelle devrait durer encore 200 ans. Et une nouvelle a été trouvée non loin de là, souterraine cette fois. L’avenir de Calama est assuré !
Après cette parenthèse industrielle, nous passons à la gare routière de la compagnie Turbus pour déposer nos bagages. Finalement, Eduardo nous dépose définitivement au centre commercial où nous allons passer les quelques heures qui nous séparent du départ du bus. Chacun passe le temps comme il le veut. Nous en profitons aussi pour casser une petite croûte, en musique du fait de la présence d’un orchestre traditionnel. Un peu après 21 heures, nous nous mettons en quête de deux taxis pour retourner à la gare routière. Nous n’avons que quelques minutes à patienter avant que notre bus de nuit n’arrive. Nous avons droit à la catégorie semi cama, c’est-à-dire que les sièges s’inclinent en quasi couchettes. Il faut compter 13500 pesos (soit environ 20€ pour rejoindre Arica distante de 600 km). Couvertures et coussins sont fournis, petit-déjeuner servi à bord. 22h20, c’est parti pour neuf heures de route qui vont nous mener jusqu’à Arica, à l’extrême nord du pays, dans la première région, tout près de la frontière péruvienne. Contrairement à ce que je craignais, j’arrive à dormir assez bien quoi qu’il finisse par faire un peu chaud mon goût.