Pachacutec, panorama andin (2)
Sur le coup de midi, un mini-bus nous récupère pour nous transporter jusqu’à la gare routière. Nous débouchons dans une véritable ruche. Heidé semble galérer pour obtenir les billets alors que l’heure du départ approche et que l’embarquement commence. A l’arrache, les billets en main, nous passons par la case enregistrement des bagages. En parallèle, nous essayons de commencer à embarquer après quelques palabres étant donné que les billets sont pour l’instant avec les bagages. Détail étonnant, nous sommes filmés avant de monter à bord. Et c’est parti pour environ quatre heures de route à bord de ce bus de la compagnie Cruz del Sur. La sortie de Lima nous révèle une zone bien sauvage et de nombreuses « favelas », ce qui offre un sacré contraste avec la ville elle-même. Mais une fois celle-ci derrière nous, la côte devient vite monotone et dénuée d’intérêt touristique. Il n’y a même pas âme qui vive sur les diverses plages. Le service est à bord étonnant : comme à bord d’un avion, nous avons droit à un plateau repas chaud et une boisson. C’est ainsi que nous rejoignons la ville côtière de Paracas alors que le soleil commence à décliner. La récupération des bagages est un grand moment : sans ticket ni numéro, il faut apercevoir son bagage pour demander à le récupérer, autant dire que cela peut durer quand il est dessous et à l’arrière. Après quelques instants d’hésitation, nous quittons la pseudo-gare par l’arrière en trainant nos bagages jusqu’au centre-ville à quelques centaines de mètre. Le trottoir est le bienvenu pour faciliter notre progression. Arrivé à l’hôtel, nous apprenons que nous allons être logés dans l’annexe ouverte juste pour nous. Finalement c’est encore mieux, nous aurons la vue sur la mer depuis la terrasse du toit. A peine installés, c’est la ruée sur les douches ce qui a un effet immédiat sur la température de l’eau : elle devient imprévisible.
Nous rejoignons le bâtiment principal pour aller nous restaurer : Heidé nous a commandé un assortiment de plats laissant bonne place aux fruits de mer et au poisson. Je déguste avec plaisir mon premier ceviche, cette spécialité péruvienne de poisson cru et mariné. Après le repas nous décidons d’aller marcher un peu sur la jetée jusqu’au bâtiment de visite des îles Ballestas. Nous ne croisons pas foule, pas même aux quelques rares terrasses de bar ouvertes. Après cette ballade digestive, le sommeil vient très rapidement.
Lundi 18 Mai 2015, Paracas
Bien avant le réveil, j’émerge d’une bonne nuit de sommeil encore hachée. Dès que le jour se lève, je monte sur la terrasse mais la luminosité est encore trop faible le soleil étant par la grande dune qui court derrière la ville. Lugdivine me rejoint peu de temps après. Nous y restons, le portail de l’hôtel étant verrouillé, jusqu’à ce que Lugdivine aperçoive un des couples sur la jetée. Ni une, ni deux, nous redescendons pour sortir à notre tour pour tuer le temps en attendant l’heure du petit-déjeuner ; nous refaisons plus ou moins la même ballade qu’hier soir. Vers 8 heures nous rejoignons le centre de visite des îles Ballestas. C’est le point de convergence des touristes. Les groupes sont répartis sur les cinq ou six bateaux qui assurent les visites, de gros hors-bords pouvant accueillir une quarantaine de passagers. Heureusement que nous sommes comptés à l’entrée de l’embarcadère ; malgré tout, nous nous retrouvons à ne pas pouvoir tous monter dans la même embarcation ! Finalement tout rentre dans l’ordre après le débarquement d’un couple pour un autre bateau.
Dans un premier temps, nous restons dans la baie : un rafiot a été sacrifié pour servir de perchoir à quelques dizaines de cormorans et de sternes incas. Avec ces puissants bateaux, il ne faut que quelques minutes pour approcher le « port » San Martin (un simple quai accueillant deux cargos). A quelques encâblures nous faisons un premier stop pour observer les premières colonies d’oiseaux, en l’occurrence des pélicans, sur la presqu’île de Paracas.
Dix minutes plus tard, nous réitérons la même pause mais cette fois, il y a encore plus intéressant sur le flanc de la montagne qui nous fait face : un immense chandelier gravé dans le sol. Si ses origines restent mystérieuses, ses dimensions impressionnent : trois mètres de profondeur, quelques centaines de mères de hauteur. En un mot : immanquable ! Et c’est reparti pour une vingtaine de minutes. Les bateaux semblent se faire la course pour rejoindre les îles Ballestas, surnommées ici « les petites Galapagos ». Rien que ça ! Pour l’instant nous attendons que le bateau à bâbord se retourne tant il sort de l’eau sous l’effet de la vitesse.
Enfin apparaissent les fameuses îles. Très vite elles semblent « vibrer » : elles sont couvertes d’oiseaux, sans compter les nombreux volatiles en l’air au dessus de nos têtes. C’est un miracle de ne pas se faire « crépir » par l’un d’eux. Les premiers que j’aperçois sont les moins nombreux : les manchots de Humboldt. Ils se préparent à descendre à l’eau mais de manière très prudente. En revanche, il y a profusion de fous variés reconnaissables à leur tête blanche sur un corps gris, de cormorans, de sternes incas. De temps en temps, nous distinguons quelques vautours à tête rouge et aussi des petits groupes de pélicans. De par cette présence massive, les îles sont aussi un site de récolte de guano : deux gardes sont présents toute l’année et tous les sept ans, on procède au ramassage. Ceci explique la présence de nombreux petits murets pour en stocker un maximum. Géologiquement parlant cet archipel est aussi un régal pour les yeux : de nombreuses arches et cavernes sont creusées sous les différentes îles. Ici ou là se prélassent des otaries à fourrure, soit dans des positions impossibles, soit dans des endroits impossibles. Si pataudes en apparence, on se demande comment elles se hissent sur ces rochers.
Nous continuons à naviguer lentement autour de la première île et dans toutes ses découpes. Ce sont des milliers d’oiseaux qui sont là. Où que le regard se pose, des plumes, des plumes, des plumes. Paradoxalement, le bruit reste raisonnable. Sur une plage de galets nous finissons par dénicher les deux otaries mâles bien plus volumineuses que les femelles. Ici et là nous pouvons apercevoir les quelques structures qui servent lors de la récolte. Evidemment, en l’absence de présence humaine, elles servent de perchoirs. Quant à la seconde île, elle comporte deux immenses taches sombres : en y regardant plus attentivement, ce sont deux concentrations de cormorans. En passant sous leur ponton, nous saluons les deux gardiens avant de rentrer directement à Paracas. Ceci ne m’empêche pas de tenter quelques clichés au passage du chandelier puis du port.
Retour à l’hôtel par le front de mer pour embarquer dans le bus privé qui doit nous conduire jusqu’à la renommée ville de Nazca. La première partie de la route reste assez monotone. Un peu avant Ica, nous quittons la panaméricaine sur quelques kilomètres. Nous faisons halte chez un producteur de Pisco. Depuis quelques temps déjà, j’aperçois des vignes cultivées un peu différemment des nôtres, beaucoup plus hautes sur pied. Le Pisco est la base de l’apéritif national, un cocktail baptisé Pisco Sour. On nous présente tout le processus de fabrication, d’abord les bacs en béton pour le pressurage (le foulage est réalisé avec les pieds de manière générale la nuit pour éviter les assauts piquants). Le jus obtenu est alors stocké dans des « boticas », qui ressemblent à d’énormes amphores. La fermentation y dure deux semaines, la première à l’air libre, la seconde bouchonnée à l’argile. Nous passons ensuite sur la cuve à distillation qui est en train de monter en température. Le couvercle semble scellé avec un cordon de boue, une croix glissée dans une branche de bougainvillier donne l’impression de confier le résultat à de hautes autorités. La dernière étape se déroule en contrebas là où est réalisé le soutirage de l’alcool (autour de 42° tout de même) avant stockage en cuves plastiques pour une quarantaine de jours. Il est temps de rejoindre l’entrée pour une dégustation : pas moins de quatre alcools différents, trois confitures et une glace. Heureusement que ce ne sont que des petites doses ! Si quelques-uns optent pour l’achat d’une bouteille de Pisco, je jette mon dévolu sur une glace au maracuya. Slurp ! D’ailleurs, je finis par être suivi par la quasi intégralité du groupe : il fallait lancer le mouvement.
Après cette escale, nous repartons vers Ica. A nouveau nous quittons l’axe principal vers le sud. D’énormes dunes ont commencé à faire leur apparition. Arrivés à Ica, nous bifurquons à droite, où nous en retrouvons rapidement quelques autres. C’est au creux d’un cordon que nous dénichons l’oasis de Huacachina. Etonnant de voir ce point d’eau bordé de palmiers et de quelques structures hôtelières au milieu de ces quasis murs de sable. Seuls trois courageux se lancent à l’assaut d’une des plus grandes dunes le tout en plein cagnard. Pour ma part, je me contente de faire le tour de l’oasis ce qui garantit déjà quelques efforts dans ce sable extrêmement mou. En chemin, je vois passer un des ces buggys qui proposent d’aller faire un tour à flanc de dune. C’est un peu dommage en terme de bruit. Après ces quelques efforts, nous mangeons sur place. Premiers testeurs de piment. Il semble efficace !
Dans l’après-midi, nous reprenons tranquillement notre progression vers Nazca. Désormais, le paysage est un mélange désertique et montagneux. Ce désert est interrompu à quelques reprises lorsque nous passons de petits fleuves qui ont permis l’existence de vallées verdoyantes qui contrastent avec la couleur ocre dominante. Comment imaginer que petit à petit nous approchons des fameuses lignes ? A la limite des zones d’influence Paracas et Nazca, nous faisons une halte au pied d’un mirador métallique planté au milieu de nulle part. Il faut vraiment être à sa base pour comprendre la raison de cet arrêt. Sur la petite colline qui nous fait face apparaissent d’abord trois puis quatre géoglyphes : principalement des formes humaines et un oiseau. Heidé nous précise que la découverte de cette série date seulement des années 90, suite à un survol pour étudier ceux de Nazca. A posteriori, nous découvrons dans la maisonnette du garde quelques photos et plans des lieux qui permettent de mieux visualiser. Il est d’ailleurs préférable d’y penser avant de grimper au sommet de la tour de métal.
Quelques dizaines de kilomètres plus loin, après avoir dépassé la maison de Maria Reiche, qui a voué sa vie à l’étude des lignes, un nouveau mirador se présente. Cette fois il est carrément planté au bord de cette route bien rectiligne, au beau milieu d’un plateau pierreux et toujours aussi désertique. Encore une fois, rien n’est visible depuis le plancher des vaches. Alors qu’avec quelques mètres de hauteur, le mystère s’éclaircit : deux géoglyphes s’étendent à nos pieds : à gauche une paire de mains dont une n’a que quatre doigts, et à droite un arbre. Voici quasiment les seules lignes visibles depuis le sol. Sinon il faut survoler la région en avion, ce qui est devenu dangereux depuis plusieurs années après de trop nombreux accidents. Je découvrirais le lendemain qu’un autre tracé existe de l’autre côté de la route pourtant il était totalement invisible depuis notre perchoir. Alors que le soleil est en train lentement de disparaitre derrière les crêtes, il est temps de prendre la direction de la ville de Nazca pour clôturer cette belle journée. Nous la terminons au restaurant, sur une terrasse au premier étage avec vue sur la place d’armes.