Découverte de la Birmanie (3)
Mardi 27 Octobre 2015, Yangon
Ce matin, c’est un peu la course pour essayer de prendre le petit-déjeuner avant 7 heures alors que le service est sensé commencer précisément à ce moment-là. Par miracle, ils ouvrent dix minutes plus tôt et sont nombreux. Résultat, à 7h05, nous pouvons nous mettre en route vers l’aéroport. Nous testons aujourd’hui la petite aérogare domestique, installé juste à côté de l’international. Des gars en tee-shirts colorés viennent se saisir de nos bagages dès la descente du véhicule, les pèsent sur une antique balance puis les déposent dans l’aérogare, quelques mètres devant le guichet. Petit à petit ils disparaissent alors que Mya est encore en train de récupérer les cartes d’embarquement. Le fonctionnement de l’enregistrement des vols intérieurs reste pour l’instant un mystère (et pas d’informatique pour aider). Finalement nous avançons vers l’embarquement alors que mon seul sac reste abandonné au milieu du hall. Mais Mya ne semble pas s’en faire. Les surprises continuent quand nous découvrons nos cartes : pas le moindre nom, seulement un numéro de siège. Nous arrivons dans la salle d’embarquement sans avoir jamais décliné notre identité ni montré un passeport. Assez spécial en terme de sécurité. Tous ces vols intérieurs semblent être assurés par des ATR72. Nous décollons les derniers de la série d’avions, en direction du nord, plus particulièrement de Mandalay, au centre du pays. Une heure et demie de trajet nous attend.
A l’arrivée, nous sommes moins d’une vingtaine à patienter pour récupérer nos bagages. Pas le moindre autre vol n’est attendu. Nous découvrons ensuite notre nouveau chauffeur. Ici le climat est passé au chaud, faisant oublier les nuages du sud du pays. Il nous faut presque une heure pour rejoindre la première ville, en commençant par Amarapura, une des anciennes capitales. Nous rejoignons directement le grand monastère Maha Gandayon. C’est l’heure du repas du matin. Nous arrivons un peu tard pour voir la distribution ; la plupart des moines sont installés dans le grand réfectoire. Nous décidons d’attendre qu’ils terminent leur petit-déjeuner. Depuis l’allée nous observons le mouvement. Petit à petit, ils défilent devant nous. Ils sont de tous âges, chacun portant sa grande gamelle. Nous finissons même par apercevoir le doyen accompagné de quelques novices. Il envoie un d’entre eux nous offrir une des bananes qui restent du repas collectif. Je suis particulièrement touché par ce geste. Nous flânons un peu entre les divers logements des moines où sèchent les toges lessivées jusqu’à dénicher la cuisine centrale : des marmites sont démesurément grandes. Nous laissons les moines à leur quiétude pour aller visiter un atelier de tissage de soie dans le centre-ville. Au moment même où nous rejoignons le véhicule, nous croyons entendre sonner Big Ben ; il s’agit en fait de la tour de l’horloge édifiée à l’entrée du complexe.
Etonnamment, les tisseuses travaillent pour la plupart en duo sur les métiers. Elles réalisent un travail d’une extrême finesse, à se demander comment elles parviennent à de telles beautés. Et ce n’est pas faute de les observer de près. Au fond de la salle, des claquements réguliers nous indiquent la présence d’un autre style de métier où la navette valse incessamment de droite à gauche et vice-versa. Après cet épisode « technico-commercial », nous avançons jusqu’au grand pont de style Eiffel, avec ses grandes arches posées au dessus de l’Irrawady. Mais avant de le franchir, nous faisons une halte au bout d’une centaine de mètres, sur une aire aménagée. Cette plateforme permet d’apercevoir Sagaing, la colline sacrée, d’où émerge des dizaines, peut-être des centaines de stupas tantôt or, tantôt blanc. A la sortie du pont, nous contournons le relief pour y grimper : les édifices s’y multiplient aussi. Nous passons entre l’université bouddhiste et l’hôpital réservé aux moines. Notre visite commence par la pagode U Min Thonze. Celle-ci abrite quarante cinq statues de bouddhas, comme le nombre d’années de son illumination. Une terrasse recouverte de carrelage est percée de nombreuses ouvertures plutôt basses. Avec la chaleur, nous ne trainons pas dehors ; le sol est déjà quasi brûlant. Nous nous retrouvons dans un long couloir incurvé. Contre le mur ont été installées les fameuses statues figurant le bouddha en position de lotus, la main touchant le sol du bout des doigts pour en capter toutes les vibrations.
Nous rejoignons ensuite le sommet de la colline où trône une nouvelle pagode nommée Sone U Pone Nya Shin. Ici le bouddha est encadré par deux statues animalières, à droite un lapin, à gauche une grenouille. Cet animal, un peu surprenant ici, doit sa présence à la forme de la colline qui lui ressemblerait. Mais tout l’intérêt de ce lieu réside dans ses terrasses. Elles offrent un panorama presque complet sur les environs : en tout premier lieu, les différents édifices sacrés dont de nombreux stupas, au loin à gauche la ville de Mandalay, et en contrebas l’Irrawaddy et sa plaine. Et même l’université en vue plongeante, quasi aérienne.
Après un repas pris au pied de la colline sacrée, nous franchissons à nouveau le fleuve par le second pont métallique, celui-ci comportant une voie ferrée au centre. Cet après-midi, nous partons découvrir Ava ou plutôt Innwa, une autre ancienne capitale, certainement celle qui l’a été le plus longtemps, juste avant l’avènement d’Amarapura. Dès la descente du véhicule, des gamins nous assaillent et nous collent pour nous vendre leurs bricoles. Cela cesse le temps de prendre la grosse barque qui permet de rejoindre la rive opposée de la rivière Myitnge, sans avoir à aller au sud passer un pont. La traversée ne dure que quelques minutes. Le manège reprend à peine débarqués. Certains sont vraiment insistants et récitent en boucle les quelques phrases en français qu’ils connaissent. Nous grimpons alors à bord de deux carrioles tirées par un cheval. Nous découvrons aussi l’habitat local, tout en bois, souvent sur pilotis. Nous progressons à travers champs et palmiers. Ici ou là se montrent un stupa ou un mur de briques brutes. Nous avançons ainsi jusqu’au monastère Bagaya. Il s’agit d’un superbe ensemble en bois de teck parfaitement préservé et restauré. Là encore les planches chauffées nous brûlent la plante des pieds, nous incitant à vite rejoindre soit les coins d’ombre, soit l’intérieur. Mais quel régal de pouvoir profiter de tels lieux. Nous y découvrons même une petite classe de novices qui filent dans nos pattes au moment où nous approchons. Comme à Bago, nous découvrons des pièces tout en hauteur. Nos remontons dans nos carrioles pour rebrousser chemin. Une des petites vendeuses nous a suivi jusqu’ici en vélo et continue ses assauts.
Nous quittons la route principale pour atteindre un autre monastère appelé Mahar Aung Mye Bon San. Sur fond parfaitement bleu et avec le vert des pelouses au premier plan, l’édifice blanc apparait des plus majestueux. De l’esplanade il semble monter en degrés. Mais il faut y monter et y pénétrer pour découvrir des couloirs concentriques. On dirait presque des poupées russes à mesure qu’on progresse vers l’intérieur du bâtiment. Par les fenêtres je découvre parfois un stupa. Je flâne un long moment dans ce havre de paix. Bizarrement la majorité des visiteurs restent au niveau des pelouses. Avant de terminer, je décide de finir par les couloirs d’aération qui traversent sous la structure. Au cœur, tout est brique là où l’extérieur ne présente que des stucs blancs.
Cette fois, il est temps de retourner au ponton, toujours avec les carrioles puis attendre notre tour pour retraverser la rivière. Il faut dire qu’une seule barque est active. Direction désormais Amarapura. Non pas pour la ville mais pour le lac Taung Tha Man. Un incroyable pont apparait. Baptisé U Bein, il traverse les eaux sur une distance d’environ 1.2 kilomètres. Cet ensemble est réalisé en bois de teck récupéré d’un ancien palais d’Innwa. La foule se presse pour traverser, qu’elle soit locale ou étrangère. Malgré l’absence de garde-corps, personne ne s’inquiète. Mais avant d’y monter, j’ai l’œil attiré par des centaines de canards à la surface de l’eau de l’autre côté des piliers. Je découvre ensuite que les deux birmans en barque sont en train de guider leurs « troupeaux ». Quel spectacle inédit ! Mais vite, direction les planches et une certaine cohue alors que tourne en boucle les litanies en provenance de la pagode Taung Mingi. Les appareils crépitent en tous sens. D’ailleurs, je traine un peu en retrait du groupe pour faire mes photos. Nous rejoignons le milieu du pont, là où les piliers ont été remplacés par d’autres en béton, pour descendre sur la petite berge bien boueuse. Comme des dizaines d’autres, nous rejoignons une barque à rames. Après un rapide passage de l’autre côté du pont, notre matelot vient naviguer à l’opposé du soleil.
Celui-ci descend allègrement sur l’horizon, nous offrant des occasions de superbes clichés. Les passants se transforment en ombres chinoises sur fond de feu. Je ne me lasse pas de mitrailler tant que le spectacle est là. Les silhouettes des moines se reconnaissent sans hésitation. Deux hallucinés se font servir du champagne sur la barque : du grand n’importe quoi. Une fois le soleil définitivement couché, il est temps de rejoindre la berge, puis ensuite Mandalay. Avec la circulation, il faut un certain temps pour rejoindre notre hôtel sur les bords de l’Irrawady. Le passage est rapide avant de rejoindre le restaurant du soir face au palais royal et son immense enceinte, malheureusement non visitable du fait de la présence de l’armée à l’intérieur.
Mercredi 28 Octobre, Mandalay
Départ tranquille ce matin, nous avons le temps d’émerger et de profiter du petit-déjeuner. Nous traversons ensuite la ville jusqu’au palais royal que nous contournons pour dénicher le chemin qui monte sur la colline de Mandalay. Aujourd’hui, jour de pleine lune, est une importante fête bouddhiste. La fête des Lumières marque la fin du Carême. Du coup, les foules convergent vers les pagodes. Celle de Su Taung Pyai, installée au sommet, ne déroge pas à la règle. Cela bouchonne dans la montée, au pied de l’édifice et même dans l’escalier qui y mène. Quel monde ! Des terrasses, nous prenons conscience de l’ampleur de la ville en contrebas : le carré parfait du palais royal cerné d’eau, les multiples stupas et la vallée de l’Irrawady. Les piliers et les parois sont ici souvent de morceaux de miroirs.
Après cela, nous redescendons en ville dans l’idée de visiter la fameuse pagode Mahamuni. Mais la cohue pour en approcher nous force à changer nos plans. Nous revenons près du palais, vers son angle nord-est. Ici se trouve la pagode Kuthodaw. Des centaines de petits temples blancs semblent avoir été rangés là. Ils sont alignés sur trois files sur tout le pourtour du complexe, chacun d’entre eux abritant une stèle gravée avec un texte bouddhiste. Ces 729 extraits constituent l’ensemble des textes religieux du bouddhisme. C’est ainsi que la pagode est aussi appelée le plus grand livre du monde. Dans la zone centrale ont été installés les derniers petits temples autour du stupa doré. Ici et là nous apercevons des groupes plus ou moins important autour de moines, l’occasion d’une prière ou d’un enseignement.
A la sortie de cet étonnant lieu, nous ne parcourons que quelques centaines de mètres pour rejoindre le monastère de Shwe Nan Daw. Ancien édifice du palais royal mais rattaché au clergé, il a ainsi échappé aux bombardements lors de la seconde guerre mondiale. A l’origine résidence du roi Mindon, il est entièrement construit en teck. La moindre surface est sculptée. Extérieurement, nous devinons ici ou là quelques traces d’or, mais le bois est le plus souvent sombre. En revanche, l’intérieur est encore intégralement doré, seul le plancher n’est pas couvert. Deux pièces aux plafonds perchés sont visibles. Impressionnante construction à tous points de vue. Nous zappons la pagode voisine du fait de la foule.
Nous effectuons ensuite une visite dans un magasin de fabrication de feuilles d’or. C’est d’abord deux jeunes forçats que nous apercevons pilonnant une pile de feuilles glissées dans du papier et du cuir à l’extérieur. Le martelage dure cinq heures. Au fond de l’atelier sont décrites les différentes étapes nécessaires à produire cette denrée si recherchée par les visiteurs de certaines pagodes. Dans l’atelier, nous pouvons regarder les femmes confectionner divers objets recouverts avec lesdites feuilles ou préparer les paquets mis en vente. La plus ancienne s’approche de chacun de nous pour déposer un fragment d’or sur nos fronts. Après quelques emplettes dans la petite boutique, nous rejoignons le restaurant en traversant le quartier des tailleurs de pierre. Des dizaines de petits ateliers s’y succèdent. Nombre des sculptures attendent le spécialiste des têtes pour finir les œuvres. Cela donne une impression bizarre, toutes ces statues sans tête, ou plutôt avec un bloc de pierre brute à la place.
Il est alors temps de rejoindre l’hôtel pour une petite pause, voire un petit somme si affinités. Ce n’est que vers 15h30 que nous couvrons la poignée de mètres qui nous sépare du bateau, mais en véhicule. Un peu de marche à pied aurait fait l’affaire. A l’aide d’étroites planches et aidés par les résidents de chaque navire, nous rejoignons de coque en coque le cinquième. Et encore, il en reste un sixième bord à bord qui gêne un peu les manœuvres. Un énorme bateau pour cinq, c’est grand luxe. Chaises longues à l’ombre sur le pont supérieur. Nous allons remonter et traverser l’Irrawaddy jusqu’au village de Mingun. La navigation permet d’observer la vie sur le fleuve et à ses abords. Sur la colline opposée se multiplient les pointes de stupas. Serait-ce une autre colline sacrée ? Avec le temps qui passe, notre objectif grossit à vue d’œil. Ici s’établissait la capitale du roi Mindon. D’abord attiré par un ensemble de stupas blancs au bord de la plage, notre regard revient vite à la masse en arrière-plan.
Nous débarquons de façon sommaire avec une simple planche en bois et nous avançons vers ce qui devait être la plus grande pagode de Birmanie, Pa Hto Daw Gyi. Deux colossaux lions ayant subi les affres des séismes se laissent surtout deviner. Seul un d’entre eux est à peu près reconnaissable. Les gardiens du temple font bien grise mine. En revanche l’immense bloc de briques haut de cinquante mètres en impose. Et dire que cent mètres supplémentaires étaient envisagés à l’origine. Il devient difficile d’imaginer comment une telle construction aurait pu résister. Une large fissure a tranché le mur sur la gauche. Une étroite salle est creusée dans la façade pour servir aux rites religieux mais ne présente aucun intérêt historique ou touristique. Curieux que je suis, je grimperais bien au somment de l’édifice mais Mya m’indique que c’est strictement interdit. Le panneau l’indiquant et les chemins bien creusés deviennent, du coup, très amusants quand nous levons les yeux et que nous apercevons des dizaines et des dizaines de visiteurs perchés ou en train de grimper.
Quelques centaines de mètres plus loin, après avoir passé en revue divers commerces artisanaux, beaucoup de peintres d’ailleurs, nous atteignons la petite pagode Molmi en forme de pentagone, toute simple, qui abrite la statue en bronze d’un génie, le premier moine à avoir retenu par cœur tous les textes du bouddhisme. Une paire de lunettes coiffe son nez de bronze. Encore quelques mètres et c’est une cloche qui nous accueille. Elle devait équiper la grande pagode. Avec ses cent tonnes, elle est à son échelle : démesurée. Un petit temple carré et élancé a été bâti pour la protéger. Les birmans s’y pressent en masse, et même dessous tandis que certains s’amusent à la faire sonner à coup de rondin. Il faut patienter pour espérer faire un cliché sans personne.
Le clou de la journée requiert une dernière petite marche en retrait de l’axe principal qui suit peu ou prou la berge. Ce serait la plus belle pagode édifiée au 19ème siècle. Totalement blanche, la pagode Hsinbyume brille par son originalité. Elle se veut représenter le mont Meru : sept cercles concentriques en forme de vagues figurent les chaines de montagne qui l’enserrent, le mont lui-même étant symbolisé par la partie centrale qui s’élève vers le ciel. Après avoir immortalisé cette splendeur magnifiée par le ciel bleu et les premières lumières du couchant, Mya nous alloue une quinzaine de minutes pour y pénétrer et y grimper. Encore un étonnant édifice si photogénique ! Je ne me fais pas prier pour faire un tour le plus complet possible du complexe. Les escaliers de la « tour centrale » sont plutôt pentus : en m’accrochant, j’arrive à monter puis à redescendre.
Histoire de ne pas manquer le coucher de soleil, nous faisons alors demi-tour pour repasser devant les nombreuses échoppes. Les peintres-illustrateurs semblent très doués. Nous croisons aussi de nombreuses vendeuses de nourriture frite : mystère sur le quoi. A mi-fleuve, je m’amuse un moment avec le soleil tout en profitant de la sérénité des lieux. Quand bien même le moteur ronronne, c’est le calme. Il y a bien ce convoi de barques aux couleurs de la NLD qui croise notre route avec la musique à fond, mais nous ne leur en voulons pas le moins du monde. Nous finissons par rejoindre notre lieu d’accostage. Et nous recommençons le même sketch avec les planches, toujours sans chute, jusqu’à la berge. De retour à l’hôtel, je propose d’aller en terrasse sur le toit de l’établissement voir les cocktails proposés dans le cadre du « happy hour ». Nous finissons par comprendre que nous n’avons pas le choix, ce sera un planteur, et que celui-ci est gratuit pendant une heure. Nous commençons donc par en déguster un, puis un second. La journée se termine par un petit restaurant thaïlandais tout proche du palais royal. Bien plus qu’hier, ce soir les petites bougies sont de sortie un peu partout devant les maisons mais aussi dans les commerces ou les sites religieux. De retour à l’hôtel, je reste quelques minutes à la fenêtre au bout du couloir à regarder les feux d’artifice qui éclatent un peu partout dans la ville.