Reco Tanganyika (4)

Publié le par Jérôme Voyageur

Lundi 11 Septembre, Katavi National Park, Ikuu Camp

 

Nous continuons notre manège de devancer l’heure puisque les rangers ne disent rien. Dès six heures vingt, nous démarrons par la rive nord en direction du pont. Dix minutes à peine après notre départ du camp nous tombons nez à truffe avec une lionne couchée paisiblement au milieu de la piste. Nous reconnaissons assez rapidement celle que nous avions découverte sur la carcasse du jeune hippo. Elle finit par se lever pour faire trois pas en travers de la piste avant de se poser à nouveau sur le bord opposé, qui lui sert de coussin. Notre présence ne la perturbe pas le moins du monde. Aux abords du vieux pont, un hippopotame encore dehors fait mine de nous charger sans vraiment de raison. Nous poursuivons avant qu’il ne nous attaque vraiment. Les escadrilles d’aigrettes se succèdent au-dessus de la rivière, en direction de l’Est, à quelques mètres du sol. Les passages sont majestueux dans le silence du jour naissant.

Arrivés au pont, nous faisons une pause pour attendre le lever de soleil. Un guib harnaché nous gratifie d’un démarrage en quatrième vitesse. Pendant que la lumière commence à monter, nous profitons, comme à chaque passage, du spectacle de ce marigot toujours aussi densément occupé. Un héron cendré a carrément décidé de se percher sur le dos d’un hippopotame. Cela doit être efficace puisqu’il attrape rapidement un poisson-chat. Le gober est plus difficile. Avec seulement un bec, mettre le poisson dans l’axe n’est pas une sinécure. Non loin de là, c’est un aigle-pêcheur qui réussit à voler un poisson à un marabout.

La progression devient désormais routinière. Nous avons avancé de quelques centaines de mètres jusqu’à la plage aux crocodiles en bordure de la rive Sud. Mais c’est côté « forêt » que se passe le spectacle. Ce sont d’abord deux guibs harnachées qui se laissent longuement photographier à découvert tandis que des vervets commencent à s’agiter. Quelques mètres devant nous défilent sur la piste, d’abord un groupe de pintades de Numidie puis deux phacochères. Puis c’est le tour d’un guib mâle de traverser, mais dans l’autre sens. Encore quelques mètres et nous tombons sur une assemblée générale de vervets. Ils sont plusieurs dizaines sur la piste. Certains nous font beaucoup rire en se dressant sur leurs pattes arrière. Quant aux quelques-uns perchés dans l’arbre à saucisses voisin, ils nous impressionnent par leur ingéniosité. Assis sur les branches les plus hautes, ils tirent sur les lianes pendantes pour faire remonter à porter de patte les grosses fleurs qui poussent au bout de celles-ci. Ils semblent être très avides du nectar qui doit en sortir. Une fois la fleur cueillie, ils laissent tomber la liane et tirent sur la suivante.

Le magnifique guib qui avait déjà traversé la piste revient sur ses pas avant de rester quelques minutes près de la piste, derrière les graminées. Comme les femelles, il est bien peu farouche. Quel contraste avec les premiers guibs que j’avais découvert dans la Luangwa : seulement de fugaces observations. Ici toutes les espèces semblent particulièrement indifférentes à la présence humaine. Après une petite pause, nous rejoignons les abords de la plaine de Katisunga. Quelques centaines de cigognes à bec jaune nous y accueillent, principalement intéressées par les poissons. Du fait de l’étroitesse de la rivière à cette époque, elles sont toutes concentrées sur une petite surface d’où cette impression de masse. Elles sont accompagnées par plusieurs ombrettes et quelques vautours palmistes. Pour le tout petit oiseau sur la berge voisine, il nous faut la science de Fred pour identifier qu’il s’agit d’un gratincole à collier. En arrière-plan apparaissent en nombre zèbres, cobs Defassa et impalas, ainsi qu’un trio de buffles. Et dire qu’il est censé y avoir d’immenses troupeaux dans ce parc. Nous en prenons plein les yeux. Ce lieu me fait penser à une arche de Noé, multipliant les espèces présentes dans un même endroit. Et que dire quand l’ensemble des cigognes décollent dans un même mouvement : étourdissant ! Les appareils crépitent frénétiquement. Le cours d’eau est désormais abandonné aux plus petits : quelques échasses blanches qui paraissent si fragiles picorent dans l’eau. Quant aux gangas à collier jaune, facilement reconnaissables, elles s’approchent de la rive pour boire. Et pendant ce temps, les zèbres se lancent dans leurs habituelles cavalcades.

Toute cette agitation nous a creusé l’appétit. Encore près de l’eau, nous avalons quelques fruits et biscuits. Il est alors temps de longer la grande plaine par sa lisière est. Les buffles ont plus que doublé : désormais, ils sont sept … A plusieurs centaines de mètres, il est facile de confondre ces deux jeunes cobs des roseaux avec les nombreux impalas autour. Quant aux topis, une des espèces spécifiques de ce parc, il est bien difficile de les observer. Les rares que nous apercevons sont toujours très loin, tout juste à portée de jumelles. Fred tente bien un petit hors piste pour les approcher un peu mais nous sommes vite bloqués par l’état du sol. Parvenus au bout de la piste nous bifurquons vers la forêt, direction le campement, mais après avoir fait un détour par le puits.

Après le repas s’organise le premier tarot de l’expédition. Pour une fois ils sont bien calmes. Comme les jours précédents, dès quinze heures trente, nous nous remettons en route. Assez rapidement nous pouvons admirer un joli rollier tout aussi coopératif que tous les autres animaux. Nous apercevons successivement deux éléphants solitaires, à chaque fois en lisière de forêt. Les impalas, eux, n’hésitent pas à occuper le lit asséché. Une vingtaine de minutes plus tard, nous avons encore la chance de pouvoir observer un guib harnaché femelle, elle aussi à découvert côté rivière. Dix minutes après, ce sont quelques mangoustes rayées qui daignent rester en place le temps de faire quelques photos. Puis nous continuons jusqu’à l’endroit où nous avions vu la famille lion la première fois. L’endroit dégagé est bien pratique pour faire une pause tout en surplombant la rivière dans l’espoir de revoir quelques félins.

Nous profitons de ce moment de calme pour essayer d’évacuer les mouches tsé-tsé qui ont envahi l’intérieur des véhicules. Sur ces entrefaites, nous apercevons dans notre dos, à l’autre bout de l’étendue ouverte, un Nissan Patrol perché sur le talus qui longe la piste et dans l’impossibilité de bouger. Notre première réaction est de se moquer d’eux, de bien piètres conducteurs. La seconde est de remonter à bord pour les rejoindre et les aider à s’en sortir. Nous arrivons près d’eux en même temps qu’un véhicule de lodge. Mais nous sommes les seuls à avoir une corde pour les tracter de leur perchoir. Pendant qu’Inno la récupère dans le coffre de toit, Fred va aux nouvelles. Quelle n’est pas notre surprise d’apprendre que ce sont quatre rangers à bord, certes en civil, qui venaient à notre rencontre pour nous prévenir qu’il y avait un léopard dans un arbre à quelques kilomètres. Il faut une dizaine de minutes pour les sortir de là.

Après avoir récupéré notre corde, nous franchissons le fameux talus en évitant de nous percher à notre tour. Nous pouvons alors les suivre jusqu'à ce fameux arbre. Tandis qu’ils poursuivent leur chemin, nous essayons de trouver la meilleure position pour apercevoir le félin. Cette femelle léopard apparait comme dans les films documentaires : à cheval sur une haute branche, les quatre pattes et la queue pendant dans le vide, et la tête appuyée sur le tronc. Quel spectacle ! C’est la première fois que j’en vois un dans arbre, et qui reste tranquillement en place. Un grand merci aux rangers. Après une première phase d’observation depuis la piste, Fred essaie de nous avancer dans le bush, encore plus près de l’arbre. Pour cela, il « jardine » un bon moment pour nous éviter la même mésaventure qu’aux gardes. Rien ne semble la perturber. Tout juste si elle nous regarde faire du bruit. Elle n’est tout de même pas immobile. De temps en temps, elle s’assoit, ou bien elle se retourne avant de s’affaler à nouveau. Son plus long mouvement consiste à changer de branche pour passer de l’autre côté du tronc. Mais cela ne dure pas très longtemps. Au bout de quarante cinq minutes d’observation, elle finit par tranquillement descendre au sol, bondissant de branche en branche. Tout en souplesse ! Elle progresse lentement à travers la végétation épaisse. Nous la perdons de vue peu à peu, jusqu’à ne plus la voir du tout. Quel moment exceptionnel ! Une heure complète à profiter de ce léopard.

Après toutes ces émotions, nous nous rapprochons du pont, histoire de fêter ce moment magique par un apéro près de la rivière. Suite à cette célébration, nous franchissons le cours d’eau pour emprunter la piste de la rive nord qui doit nous ramener jusqu’au campement. C’était sans compter la vision exceptionnelle d’Inno qui nous prévient par radio qu’il a vu un léopard. Cela parait trop beau pour être vrai. Néanmoins, Fred fait immédiatement demi-tour pour aller vérifier. Ce n’était pas une blague. Alors que la lumière commence à manquer, le deuxième véhicule a déniché un second léopard posé totalement à découvert dans le lit asséché. Une fois encore, nous partons hors piste pour nous approcher. C’est une femelle ici aussi. Elle est installée au sec juste en surplomb de la rivière. Avec la luminosité qui baisse nous ne restons pas longtemps sur place. Quelle soirée ! Deux observations de léopards en moins d’une heure. Nous sommes très gâtés.

Mais ce n’est pas encore fini. Bien décidés à rejoindre nos tentes, nous sommes cette fois attirés par une masse sombre dans un arbre : c’est bel et bien un Grand Duc de Verreaux qui s’y trouve. Depuis la ramure de son acacia il lance des appels à sa moitié. Cinq minutes plus tard un hippopotame nous barre la piste. Fred fait des appels de phare pour le faire bouger. Et ça marche ! En passant près du vieux pont, nous assistons à une vraie parade : tous les hippos semblent avoir quitté le marigot pour commencer leur promenade nocturne. Deux éléphants les accompagnent. Ce sont encore des hippopotames qui nous refusent la priorité près du puits. Nous étions à deux doigts du constat. A dix neuf heures quinze nous retrouvons enfin notre campement. A fin de journée exceptionnelle, repas d’exception. Foie gras sur toasts grillés au feu de bois, accompagné d’un vin blanc vendanges tardives d’Alsace. Et pour le plat de résistance, une troisième soirée de potée agrémentée à la graisse de canard (récupérée sur le foie), et Amarula frais pour bien digérer. Un dernier hippopotame traverse le camp, vite repéré avec le bruit qu’il fait dans les feuillages et ses pas lourds sur le sol.

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