Reco Tanganyika (9)

Publié le par Jérôme Voyageur

Samedi 16 Septembre, Mahale NP, Kasiha Camp

 

Fred vient me sortir de mes rêves quinze minutes après l’heure prévue pour le réveil. J’ai comme qui dirait raté l’heure ! Néanmoins, j’ai largement le temps de prendre le petit-déjeuner dans les temps puis de m’équiper pour la nouvelle traque aux chimpanzés. Ernest, Peter et Kenneth sont très ponctuels et nous rejoignent devant la salle commune. C’est parti pour une nouvelle tentative.

Comme hier, la première heure est quasi plane, en arrière des différents camps installés sur les rives du lac. Cette progression nous conduit à franchir plusieurs cours de rivières asséchées. A peu près à hauteur de Nomade Camp, nous bifurquons pour une première ascension jusqu’à un point d’écoute aménagé avec un banc. Malheureusement, aucun appel ne retentit pendant le quart d’heure que nous passons là. Je commence à craindre le même résultat que la veille. Deux pisteurs supplémentaires se joignent à nos accompagnateurs. En l’absence de clients au lodge, ils sont venus nous rejoindre et partent en éclaireurs. L’attente étant vaine, nous redescendons de notre perchoir pour continuer vers le Sud. Les cris finissent par se faire entendre de manière assez proche. L’espoir renaît. Une certaine excitation commence à grandir avant de retomber faute de nouveaux sons. Seules les paroles de nos éclaireurs percent le silence.

Alors que nous sommes à mi-pente, tendant l’oreille en quête d’indices, Peter choisit d’ignorer le chemin où nous stationnons pour ouvrir un passage à l’aide de sa machette, azimut sanglier, en descente infernale à travers la végétation, composée surtout de branches assez basses et accrocheuses. Puis nous remontons et descendons à nouveau, cette fois sous les arbres. Un trou dans le sol attire l’attention de nos guides : quelle n’est pas notre surprise d’y apercevoir la queue d’un pangolin géant. Il semble bien vivant mais parfaitement immobile. Encore une première avec cette espèce en principe nocturne. Mais l’avancée reste toujours aussi fatigante pour moi. Je souffle énormément dans le versant suivant. Isabelle essaie de me motiver pour m’aider à continuer. Et là se produit l’inattendu : les premiers chimpanzés descendent vers nous, se glissant entre les deux parties du groupe ; les premiers continuent à monter tandis que Fred, Isabelle et moi restons en arrière. C’est immédiatement la débandade : l’excitation est telle que j’ai du mal à enfiler le masque qui a la bonne idée de craquer. Je peine aussi à faire la moindre photo dans un premier temps. En revanche, la montée d’adrénaline est telle que toute fatigue a subitement disparu. Nous restons immobiles, les laissant passer au sol à quelques mètres de nous. En théorie, nous étions sensés garder dix mètres de distance … C’est un moment magique que ces premiers instants : avec la buée que l’usage du masque génère sur l’appareil, j’ai l’impression d’être plongé dans « Gorilles dans la brume ». Sauf que je ne suis pas dans un film et les chimpanzés sont réellement devant nous.

Après ces premières minutes hors du temps, nous reprenons nos esprits. Tandis qu’un des mâles emprunte le chemin que nous venons de passer, nos guides nous font signe de revenir sur nos pas. Celui-ci a découvert la présence du pangolin et cherche à le tuer à l’aide d’un pieu. Manque de chance pour le chimpanzé, il s’enfonce encore plus dans le trou. Nous continuons notre marche arrière de quelques mètres encore avant de nous poser et de regarder faire les primates. Et les écouter aussi : les cris retentissent régulièrement dans les feuillages, d’arbre en arbre. L’un d’eux se déplace suspendu par les mains à une branche horizontale. Quelques autres préfèrent se mouvoir au sol, juste en-dessous. Et puis nous faisons la connaissance de Teddy, un jeune mâle qui se pose à trois mètres de nous. Il commence par s’accoupler avec une femelle : étonnante manière de faire puisqu’il s’assoit et attend qu’elle s’approche à reculons. L’acte ne dure que quelques secondes mais elles ont dû être intenses à voir la suite. Teddy s’étend au sol et se prélasse pendant de longues minutes. Il prend littéralement son pied pour sucer ses orteils de manière bien sonore. Notre présence toute proche ne le dérange pas le moins du monde. Y compris lorsque nous faisons mouvement et passons à moins d’un mètre de lui : il se limite à nous regarder passer avec ses grands yeux ouverts …

Nous rebroussons chemin jusqu’au creux d’un vallon particulièrement broussailleux et hostile. Qu’à cela ne tienne. Peter et son collègue se lancent machettes en avant. Yves et Christian abandonnent là, littéralement épuisés. Nous continuons sans eux. Mais je suis à la limite de craquer, seul le mental me fait encore avancer. Et Fred me presse de progresser. Dur, dur ! Le mâle que nous croisons et observons m’apporte un léger surcroit de motivation. Non sans difficulté, je rejoins les autres sous un arbre « magique » : deux femelles y sont perchées avec leurs petits. Une d’elle essaie de cueillir du miel à l’aide d’une tige ; parfois, elle se bat avec les abeilles qui ne doivent pas être d’accord. Dans son dos, nous distinguons une adorable petite frimousse qui me fait penser immédiatement à la peluche Kiki. Quels moments inoubliables à nouveau ! Au sol, nous voyons arriver Prince, le mâle dominant du groupe, qui se pose au milieu de la piste. Il est vite rejoint par une femelle pour une longue séance d’épouillage mutuel. L’heure de la séparation approche, les règles imposant au maximum une heure au contact. Mais du fait de leur situation au milieu du passage, nous devons une dernière fois contourner à travers les broussailles.

C’est parti pour le chemin du retour. Heureusement que la progression est assez peu vallonnée. Malgré tout, la moindre pente m’épuise, limite calvaire : pas d’autre choix que d’avancer. Nous rejoignons le camp vers douze heures trente, après cinq heures et demie de sortie. Quelle matinée magique néanmoins avec ces observations à proximité immédiate ! Mais cela se mérite ! Une gorgée d’eau et nous filons tous à l’eau pour une baignade régénératrice et un peu de lessive dans l’eau claire du lac.

Après le repas, nous migrons immédiatement au frais dans la salle commune. Trois dormeurs piquent du nez à même le sol carrelé. Après une bonne douche fraîche, je m’étends sur le lit de la chambre Sokwe (chimpanzé en swahili, ça ne s’invente pas). Au réveil, je commence à faire un tour périphérique des bandas : la seule observation se limite à un cercopithèque ascagne lointain. Je décide alors de descendre jusqu’à la plage, d’abord pour quelques photos du camp et de son arrière-plan, puis pour une ballade vers le Sud. Quelques arbres morts couchés sur le sable et îlots de verdure offrent des sujets de clichés. Arrivé à l’extrémité de la baie, je passe un peu de temps à immortaliser une échasse blanche bien peu farouche qui sautille dans l’eau. C’est alors que j’aperçois des traces de crocodile qui relient l’étang situé en arrière de la plage aux eaux du lac. Cela semble effectivement l’endroit idéal pour un saurien. J’ai beau regarder, je n’en vois aucun. Mais cela confirme leur présence dans le lac. Je vois alors arriver Yves et Christian.

Vers dix-sept heures, nous retrouvons le campement avant une dernière baignade pour la journée. Nous refaisons le monde si bien que nous passons une bonne heure dans cette eau chaude. Ce trempage nous fait un bien fou. Une fois secs, nous rejoignons Fred, Peter et Kenneth occupés à palabrer sur la jetée. Mais l’heure tourne, il faut remonter préparer le repas. A cette occasion, Fred a invité notre guide à se joindre à nous. Nous reparlons de notre expérience matinale. Nous lui posons aussi diverses questions auxquelles il répond volontiers tout autant qu’il partage des anecdotes telle celle de guide ficelé à un arbre avec une liane par un chimpanzé ! A l’issue, nous passons à la salle commune pour avaler un café avant de retourner en effectif réduit auprès des potamochères. Comme nous, ils sont moins nombreux et approchent plus tard. Nous faisons la connaissance de Catherine, la moins farouche du groupe. S’il y avait des épluchures à nos pieds, elle y viendrait. En rentrant, Fred essaie de démontrer à Peter qu’il connait le chemin. Il avait tout juste jusqu’à ce que nous laissions notre guide à son logement. Erreur dès le croisement suivant, ce qui nous fait bien rire.

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Mahale NP, Teddy

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