Terres du Mékong (11), Phnom Kulen, château d'eau d'Angkor
Mardi 27 Novembre 2018, Siem Reap
A peine arrivé à Angkor, ou plus exactement dans la ville moderne voisine, nous repartons déjà pour une découverte plus originale de la civilisation khmère. Nous abandonnons l’essentiel de nos bagages à l’hôtel pour ne conserver que le strict minimum pour une nuit chez l’habitant. A cause de la route à parcourir, nous partons plus tôt qu’à notre habitude. Et encore un troupeau de boulets français a bien essayé de nous ralentir au moment du petit-déjeuner. A la sortie de la ville, nous passons par la billetterie du site d’Angkor pour faciliter notre arrivée par le nord à notre retour. L’édifice est à l’image de l’importance des lieux. Plusieurs dizaines de guichets sont ouverts pour accueillir les visiteurs. Trois types de billets sont proposés : accès un, trois ou sept jours. Un pass est remis imprimé avec la photo à utiliser sur un mois courant. Chaque matin, le jour correspondant est poinçonné à l’entrée sur le premier site, les suivants se limitant à contrôler le précieux sésame.
Nous contournons ensuite le complexe d’Angkor par le sud-est longeant le petit bassin de Srah Srang doté d’une terrasse et de pourtours en grès. Nous apercevons aussi notre premier temple, mais les visites sont prévues pour plus tard. La route traverse aussi l’ancien bassin oriental aux dimensions démesurées mais désormais asséché. L’étendue d’eau a été remplacée par de vastes rizières. Nous distinguons vaguement ce qu’il reste de la digue. Le temps couvert s’est mué en pluie fine mais régulière. Une heure plus tard, nous atteignons l’entrée du parc national de la montagne Phnom Kulen, classé au même titre que la prestigieuse cité au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce petit massif montagneux culminant à 487 mètres d’altitude est considéré comme le château d’eau de la cité d’Angkor arrosée par diverses rivières qui y prennent leur source. Accessoirement aussi c’est la marque d’eau minérale la plus courante sur les tables de la région.
Au-delà du portail, la route bitumée laisse place à une piste de latérite complètement défoncée. Par moment, je me dis qu’un véhicule tout-terrain remplacerait avantageusement notre van. Le rythme baisse rapidement, d’autant plus que cela commence à grimper sérieusement à travers une végétation luxuriante. Cela nous prend presque une heure pour rejoindre la pagode situé au sommet dans un environnement rocheux qui laisse penser à une lointaine histoire volcanique. Divers petits stupas sont disséminés aux alentours, certains argentés, d’autres dorés. Notre guide local nous rejoint une vingtaine de minutes plus tard. Après avoir calé les paniers repas dans nos sacs, sans oublier les protections contre la pluie, nous nous mettons en marche pour notre randonnée autour de la montagne sacrée. Après une première partie sur un sol rocheux et inégal (gare aux chevilles), nous rejoignons des pistes sablonneuses qui sinuent au cœur d’une végétation luxuriante. Il nous faut presque une heure pour rejoindre Peung Bror Cheav. Au premier regard, l’endroit peut paraitre étrange : un moine bouddhiste et quelques ermites. Il faut laisser de côté cet ermitage pour s’approcher de la falaise où s’ouvre une caverne. Il faut rapidement sortir la frontale pour avancer sans se cogner. Au bout de quelques dizaines de mètres, des petits bruits nous indiquent que nous sommes parvenus au bon endroit. En levant la tête, nous apercevons plusieurs petites chauves-souris. Arrivés avec la pluie, nous repartons avec elle. La cape de pluie est devenue une nécessité. Le parcours commence à prendre des apparences de gorilles dans la brume.
Une trentaine de minutes plus tard, nous atteignons une clairière appelée Sras Dam Rey où sont visibles les animaux pétrifiés. Si les premiers que nous apercevons sont deux lions, le clou du spectacle reste l’immense éléphant qui trône au centre du site. Nous les immortalisons avant de faire une pause fruits sous la paillote des gardes sous la surveillance de ces géants de grès. Nous laissons nos voisins à leur tambouille : un rat est train de griller sur leur feu. Nous préférons en rester à des choses plus classiques …
Après ce petit plein d’énergie, nous repartons sous une pluie qui reprend de plus belle. La piste sinue entre deux murs végétaux où la météo ne permet pas d’entendre le moindre signe de vie. Avec le guide, nous lâchons régulièrement le reste du groupe. Nous nous retrouvons aux abords de l’étape suivante, le temple Prasat Dam Rey Krab. Des trous d’origine, il ne reste que celle du centre, et encore, elle est largement envahie par la végétation. Les deux autres ne dépassent pas plus d’un ou deux mètres de haut. Il semblerait que les lieux attirent moins les archéologues que ceux près de Siem Reap. Il faut se tenir en lisière pour pouvoir faire des clichés à peu près à l’abri. Un gros kilomètre plus loin, c’est le temple Prasat O Toub qui se présente. Il est en plus mauvais état encore que le précédent. Seule un tiers de la tour a résisté mais penche largement sur la gauche. Le reste de la clairière est occupé par un méli-mélo de blocs. Assurément de quoi occuper des chercheurs pendant quelques années.
Nous faisons la pause pique-nique à quelques centaines de mètres de là au lieu dit Asram Aisey. Il semblerait que la petite ouverture rectangulaire percée dans une des falaises abritait un ermite. Juste devant se trouve une petite mare, et de l’autre côté un semblant de grotte qui devrait nous permettre de manger à l’abri. Il faut juste prendre soin de se lever avec précaution et ne pas se redresser trop vivement sous peine de s’assommer. Juste au-dessus de nos têtes, d’épaisses racines semblent étrangler la roche. Une fois le repas englouti, nous explorons un peu les lieux où certains rochers sont sculptés. Si de la tortue je ne distingue que la carapace, il en va différemment du garuda qui apparait un peu plus clairement, tout comme ce naga bien érodé mais reconnaissable.
Comme souvent depuis ce matin, quand nous reprenons notre progression, la pluie reprend. A une différence majeure. Elle ne va plus s’arrêter. D’ailleurs la végétation est tellement gorgée d’eau que nos pantalons finissent par être littéralement trempés aussi. Le temple pyramide de Prasat Aram Rorng Chen édifié au sommet de la montagne en pâtit. La visite se fait au pas de charge. Nous passons à peine quelques minutes au sommet pour jeter un œil au yoni qui s’y trouve encore. Après plusieurs siècles, cette construction ne dépasse désormais que de quelques mètres au-dessus du sol. Il faut un peu d’imagination pour visualiser à quoi elle pouvait ressembler. En revanche, elle a été placée au point culminant du massif montagneux. L’apparition des premières constructions près de la pagode une heure plus tard sont un réel soulagement. Il faut encore être précautionneux sur ce sol rocheux, inégal et détrempé pour traverser sans encombre les différents stupas jusqu’à l’entrée de la pagode. Le coffre du véhicule nous y offre un abri bienvenu. Il y a bien longtemps que je n’avais pas été autant saucé.
A l’abri dans le minibus, nous redescendons jusqu’à une autre pagode plus bas sur les flancs de la montagne, à Preah Ang Thom. Un large et long escalier conduit jusqu’à l’esplanade principale. J’y retrouve un peu l’apparence des pagodes vues en Birmanie. De multiples statues de diverses divinités y sont rassemblées. Un pied de bouddha aux vertus positives y est visible tout comme un lingam sur son yoni : Sok en profite pour y « préparer » de l’eau sacrée en versant un saut sur le sommet de cet autel. Mais nous sommes surtout venus pour monter au sommet de cet énorme rocher qui trône au centre du complexe. Il faut d’abord retirer ces chaussures, mais trempés comme nous sommes, cela ne change plus grand-chose. Le sommet a été recouvert d’une structure en bois qui abrite un bouddha géant couché sur son flanc gauche. Il a été sculpté sur place directement dans la montagne. Par chance, la météo exécrable a stoppé toute activité ; il n’y a donc plus le moindre commerce ouvert ni le moindre visiteur. Nous sommes seuls pour profiter tranquillement des lieux. Quelques centaines de mètres plus loin, notre chauffeur nous dépose sur un parking désert mais bien arrosé lui-aussi. La rivière aux mille lingams y coule à proximité. En approchant de la rive, nous comprenons l’origine de cette appellation. Le fond du cours d’eau, et parfois un bout de berge, sont tapissés de sculptures de lingam. Il y en a de toutes les tailles. On doit ce travail à un roi d’Angkor qui avait installé sa capitale sur cette montagne et souhaité offrir aux hindouistes du Cambodge leur rivière sacrée à l’identique du Gange pour l’Inde. Etonnante idée, dommage que le temps nous ait un peu gâché la découverte. Quelques minutes plus tard, nous nous arrêtons à la cascade tandis que des trombes d’eau s’abattent sur nous. Des dizaines d’échoppes témoignent d’un lieu probablement très vivant. Mais pas aujourd’hui ! pas la moindre âme qui vive ou presque. Devant la première chute de sept ou huit mètres, nous disons stop à Sok. Il tombe autant d’eau du ciel que sur la chute devant nous. Tant pis pour la seconde qui serait d’une trentaine de mètres.
Et la pluie continue de plus belle pendante toute la descente et encore dans la plaine. Elle finit par cesser au moment où nous arrivons à Tbeng dans une ferme éco-touristique qui va nous accueillir pour la nuit. Deux autres groupes de randonneurs français sont déjà sur place, chacun dans sa maison. Il faut faire attention en descendant du véhicule tant le chemin est boueux et collant. Ce soir, les matelas seront minimalistes comparés aux précédents. Une fois étendus tous les vêtements mouillés et vêtus de sec, nous redescendons sous notre propre habitation pour un petit cours de cuisine. Nous apprenons à préparer des gâteaux à base de farine de riz et de sucre de palme. La farine forme en fait une sorte de pâte. Il suffit de faire une petite boule dans laquelle on enferme un morceau de sucre puis de la plonger dans l’eau bouillante. Quand elle remonte, c’est cuit. Deux bains d’eau froide plus tard, on peut les déposer dans une coupelle en feuille de bananier et les saupoudrer de noix de coco râpée. Evidemment, nos billes ne sont pas vraiment au gabarit. Cela tourne au grand n’importe quoi entre Sok et moi. Mais notre hôtesse a l’œil et nous les refourgue au moment de la dégustation. A vrai dire, la pâte n’a pas grand goût, heureusement qu’il y a la coco.
Pour le repas, nous voyons arriver un énorme poisson serpent cuit au bouillon et accompagné d’une sauce tamarin. Il se révèle bien bon. D’ailleurs, il n’a pas survécu au dîner. A vingt heures trente, nous montons nous coucher, pour la première sous une fine mais appréciable couverture. Toute la nuit nous sommes gardés par un policier qui dort dans son hamac juste sous notre plancher. C’est le règlement dans ce village.
Mercredi 28 Novembre, Tbeng
Dès cinq heures et demie, la ferme commence à s’éveiller, à part les coqs qui ont chanté toute la nuit. La brume couvre la plaine qui nous entoure. Le passage à a douche froide au baquet est express. Surtout que la plupart des vêtements n’ont quasiment pas séché. Une fois le déjeuner avalé, nous partons pour le village, un peu plus tôt que d’habitude. Le chauffeur nous dépose à la pagode où Sok nous décrit les usages des différents bâtiments qui constituent le complexe religieux. Nous continuons notre promenade à pied, en passant par le lycée où Sok souhaite absolument que nous apprenions quelques mots de français à un petit groupe d’élèves. Mais entre mon accent, et les particularités de certaines prononciations françaises, ce n’est pas évident. Nous poursuivons en pleine campagne, cernés par les champs et quelques maisons paysannes. Le fossé dont l’eau est carrément boueuse est coupé à plusieurs endroits par des pièges à poissons. Je serais curieux de savoir ce qu’on peut attraper ici. Sur certaines parcelles, c’est le moment de récolter le riz alors que le soleil a enfin fait son apparition et a pu sécher les épis. Nous déambulons ainsi pendant presque deux heures jusqu’à atteindre la grande route où, pour une fois, nous devons attendre le chauffeur. Il était au bout d’un autre chemin.