Terres du Mékong (12), direction Angkor Wat
Une petite demi-heure plus tard, nous débarquons sur le parking du Banteay Srei, notre premier contact concret avec Angkor. Ce temple plat à dominante rose doit une partie de sa célébrité à André Malraux qui y déroba des artefacts dans les années vingt. La première impression est plutôt négative dans le sens où de nombreux véhicules sont stationnés là. Heureusement, il n’y a pas de file d’attente. Mais le contraste est notable avec le reste du voyage qui jusque là nous avait tenu souvent isolés. Il va falloir s’y faire jusqu’à notre départ. Avant d’atteindre l’édifice lui-même, il faut traverser une zone d’information, certes très intéressante mais qui nous fait languir. Puis nous utilisons enfin notre pass au bout de l’allée qui mène jusqu’aux premières pierres. Là, nous comprenons qu’il va falloir être patient et zen : certains visiteurs ne songent qu’à être sur la photo et ne se soucient pas que d’autres veuillent faire des clichés sans boulet.
Cette petite porte orientale au fronton richement sculptée est flanquée de fenêtres, celle de droite ayant encore ses rideaux en colonnettes. S’ouvre alors une allée pavée bordée de bornes en pierre ressemblant étrangement à la première que nous avons vu au Laos, à Vat Phu. Celle-ci devait être flanquée de deux galeries couvertes dont il ne persiste que quelques colonnes et pans de mur. Les bâtiments annexes édifiés de part et d’autre sont tout aussi dégradés : nous n’en observons plus que les portes, à se demander comment les linteaux tiennent encore. Nous approchons d’une seconde ouverture cette fois percée dans une enceinte de latérite, quasi entière. En grimpant sur une butte à gauche du chemin, nous apercevons à l’intérieur la dernière enceinte, et les douves pleines d’eau qui entourent le saint des saints. Trois tours constituent ce petit temple, doté aussi de deux bibliothèques. En franchissant ce mur, il ne faut surtout pas manquer les deux plaques gravées en sanscrit qui habillent les deux montants. L’allée coupe ensuite le bassin pour rejoindre l’ultime cour, dernière protection de l’édifice. Mais auparavant, nous faisons le tour des douves ce qui permet de bien profiter de l’ensemble du site sous tous les angles. La grisaille encore présente gâche un peu le spectacle en n’exaltant pas le rose des pierres.
Il est alors temps de s’avancer vers les derniers murs. Apparaissent alors de magnifiques et délicates sculptures qui mettent en beauté la construction. Nous découvrons une série de « gardiens » déposés tout autour de la plateforme qui accueille les tours sacrées. Là encore, il faut jongler avec les visiteurs plus préoccupés par leur personne que par le site pour réussir des clichés corrects. Lorsque le soleil perce enfin les nuages, je n’hésite pas à refaire un tour y compris autour des douves pour garder de bien plus belles images en tête. Mais il temps de quitter les lieux par la porte ouest. Nous longeons ensuite un paysage de rizières avant de rejoindre l’aire d’accueil où pullulent les commerces touristiques. Au final, je ne trouve rien d’exceptionnel si ce n’est que les vendeurs sont un peu trop racoleurs. Nous prenons notre déjeuner sur place avant de poursuivre notre route.
Quelques minutes plus tard, nous faisons halte au bord de la route dans un des villages tolérés dans l’enceinte du complexe d’Angkor. Celui-ci s’est spécialisé dans le sucre de palme. Ceci explique les nombreuses échelles de fortune fixées sur les troncs des palmiers. Sok nous fait une démonstration au sol du procédé utilisé pour récupérer la sève au sommet des arbres. Puis nous regardons faire une des villageoises : elle fait cuire dans une grande marmite en métal le liquide collecté jusqu’à obtenir une pâte plus compacte qu’elle moule à l’aide de cercles en feuille de palme. Après le séchage, ces petits palets sucrés sont vendus aux passants.
Après quelques kilomètres, nous abordons un temple massif appelé Pre Rup. La première impression est vertigineuse. Je me sens tout petit au pied des escaliers très escarpés. Après avoir dépassé les cinq tours qui forment une sorte d’enceinte, il faut grimper trois plateformes successives avant d’atteindre le sommet de l’édifice où ont été placées cinq tours sacrées. Ici, il n’y a plus la moindre trace de sculpture, seules persistent les superstructures. En déambulant autour du dernier niveau, nous bénéficions d’une vue plongeante sur toutes les constructions annexes, mais nulle vision sur d’autres temples. Direction le plancher des vaches en descendant précautionneusement les mêmes escaliers.
Quelques centaines de mètres plus loin, nous longeons à nouveau le bassin royal de Srah Srang. Je profite d’un arrêt technique à proximité pour aller voir de près ces escaliers de pierre qui descendent jusqu’à la surface du réservoir. Mais enfin s’approche une des merveilles des lieux. Au hasard d’un virage, nous quittons la route principale pour en emprunter une plus petite qui coupe à travers la jungle. Le chauffeur nous dépose ensuite au départ d’un chemin de terre. Pour être franc, je n’imaginais par Angkor ainsi. Affaire à suivre. Après avoir traversé les grandes douves, nous rejoignons une galerie couverte parée de quelques sculptures de danseuses apsaras. Cette construction constitue la porte orientale du grand temple d’Angkor Wat, le joyau du Cambodge, accessoirement l’emblème du drapeau national. En ressortant de la galerie, nous commençons à distinguer une imposante construction au bout de la large allée bordée de grands arbres. Seule surgit au-dessus de la végétation la tour centrale figurant le mont Meru. L’arrivée dans la « clairière » est une nouvelle déception : grisaille et noirceur des pierres procurent un sentiment bizarre, bien éloigné de ce que j’avais pu imaginer de ce lieu mythique. Nous rejoignons une des galeries extérieures où nous découvrons d’impressionnantes frises qui présentent des épisodes majeurs de la mythologie. La première que nous parcourons rappelle l’histoire du barattage de la mer de lait, opposant dieux et démons. Quant aux piliers, ils sont parés d’apsaras. J’ai presque l’impression que ces sculptures de danseuses sont toutes différentes. Certains plafonds ont été reconstitués avec des plaques en fleur de lotus pour montrer aux visiteurs à quoi pouvaient ressembler les lieux au douzième siècle. Après avoir franchi la porte est, nous découvrons une nouvelle enceinte à quelques dizaines de mètres. Angkor Wat est en fait constitué de quatre volumes concentriques en partant des douves. A chaque mur franchi, nous nous élevons vers le ciel, d’abord de simples terrasses, avant de grimper au sanctuaire central.
Cette fois, nous débouchons dans un espace pavé et flanqué de hauts murs percés des traditionnelles fenêtres à colonnettes. Les touristes sont immédiatement plus nombreux et donc plus bruyants. Le soleil choisit ce moment pour refaire son apparition, présage d’une belle suite de visite. Il faut lever les yeux bien haut pour apercevoir le but ultime de la visite, le Bakan. Sur les conseils avisés de Sok, nous nous mettons immédiatement dans la file d’attente. Bien nous en prend car quelques instants après elle triple de longueur. Dans un but de préservation, l’accès est limité à cent cinquante personnes en même temps au sommet du temple. Nous devons donc patienter une dizaine de minutes avant d’obtenir un badge synonyme de sésame pour l’ascension. Les escaliers sont quasiment verticaux. Il est presque indispensable de se tenir à la rambarde sous peine de tomber à la renverse dans le vide. Au sommet, je découvre une ultime plateforme carrée dotée d’une tour à chaque angle ainsi qu’une cinquième, la plus haute trônant au centre. Deux galeries en forme de croix découpent l’espace en quatre cours en forme de cuvettes tandis qu’une galerie périphérique permet de faire le tour du sanctuaire. Toutes les parois sont finement sculptées, principalement avec des centaines de danseuses apsaras. Chaque ouverture offre un panorama exceptionnel sur les environs. Ceux du côté ouest sont certainement les plus beaux avec la grande esplanade qui s’étire devant le temple tandis qu’un ballon captif commence à s’élever au loin dans la jungle. Dans chaque cour, je me sens encore une fois tout petit, écrasé par les tours. Sous la tour centrale, je découvre une statue de bouddha parée d’une étoffe jaune. Toutes les bonnes choses ont une fin : il faut laisser la place aux autres et emprunter à nouveau le même escalier, heureusement en sens unique. C’est encore plus vertigineux dans ce sens.
De retour en bas, j’ai le sentiment d’un plus grand brouhaha que tout à l’heure. Nous contournons le sanctuaire par le sud jusqu’à découvrir les classiques bibliothèques construites à l’ouest ainsi que l’escalier royal qui permettait au monarque d’atteindre le cœur le plus sacré de son temple d’état. Dans cette direction occidentale, l’espace entre les deuxième et troisième enceintes présente une particularité. Une série de galeries formant un carré incluant une croix relie les deux murailles. Comme au sommet, quatre cours en forme de cuvette y sont aménagées. Dans la galerie sud, nous apercevons quelques uns des bouddhas qui ont survécu aux siècles, la plupart sans leur tête, suite à des conflits religieux. Dans la galerie sud, nous jetons un œil à une nouvelle frise tout aussi magnifique que la première. Celle-ci illustre la bataille de Lanka opposant Vishnou et son armée de singes à celle du roi-démon Ravana.
En descendant les quelques marches, nous rejoignons la grande esplanade. De part et d’autre de l’allée pavée, nous découvrons deux carrés d’eau qui précédent chacun une petite bibliothèque. Sous la lisière apparaissent les constructions modernes destinées aux commerces. Nous nous en tenons loin. Sok, toujours aussi efficace, nous conduit à l’angle nord-ouest du bassin septentrional. De là, nous bénéficions d’un angle magique sur la façade d’Angkor Wat, au moment où le soleil, commençant à décliner, illumine les pierres de chaudes couleurs. Quel moment magique ! Surtout que la surface aquatique permet de faire de superbes reflets. C’est à cet instant que nous comprenons pourquoi il nous a fait découvrir le site dans cet ordre : nous finissons par le meilleur. Une découverte menée crescendo. Le classement au patrimoine mondial de l’Unesco est mille fois mérité. A contre cœur, nous devons nous avancer vers la sortie. Pour cela, nous empruntons l’allée royale. C’est de cet endroit qu’on peut reproduire le drapeau du Cambodge, en alignant les tours d’angle. Il ne reste alors qu’à franchir la dernière galerie qui sert de seconde enceinte. Nous apercevons quelques singes qui préparent un mauvais coup, perchés sur le faitage. Nous n’aurons pas l’opportunité d’emprunter la chaussée historique pour traverser les douves. Elle est en pleine restauration. A la place, nous marchons sur un pont flottant un peu mou sous les semelles.
Angkor Wat
Le chauffeur nous attend de l’autre côté sur le grand parking aménagé sous les arbres. Nous pouvons désormais retourner en ville et retrouver nos bagages laissés à l’hôtel. Si nous n’avons pas changé d’étage, nous sommes dans d’autres chambres. Après le dîner au Bopha Taprom où nous ne côtoyons que des touristes, nous demandons à être déposés au marché de nuit qui se révèle sans intérêt. Juste en face, les lumières de Pub Street attirent notre attention. Sok nous en avait parlé, il ne restait qu’à nous faire notre propre idée. Comme son nom l’indique, elle accueille presque exclusivement des bars, des restaurants et des discothèques, le tout dans une orgie de lumière et de décibels. Cela va cinq minutes mais pas plus. Il semblerait que ce soit le lieu de toutes les célébrations dans Siem Reap. Nous apprécions le calme du vieux marché installé non loin de l’extrémité de la rue.