Terres du Mékong (9), Kampong Thom et ses environs
Lundi 26 Novembre 2018, Kampong Thom
Quelques pluies se sont succédé entre six et sept heures. Par chance, elles cessent au moment où nous sortons prendre le petit-déjeuner. Le temps reste gris et couvert lorsque nous quittons les lieux pour aller explorer l’immense marché de la ville. Il se déploie largement au-delà des halles couvertes occupant la plupart des rues aux alentours. Bien évidemment, il ne faut trop être à cheval sur l’hygiène et le respect de la chaine du froid. Mais c’est l’occasion parfaite de découvrir les multiples ingrédients qui font toute la richesse de la cuisine khmère. Si nous sommes assez peu surpris de découvrir toute une série de fruits exotiques originaires de ce coin du monde, tels les jacquiers ou les fruits du dragon, nous le sommes en revanche un peu plus avec ces coquillages et escargots en train de cuire sur un stand mobile. Les haricots verts attirent notre attention : ils doivent faire au moins une vingtaine de centimètres de long. Là ce sont carrément des fleurs de jacinthe d’eau qui sont vendus en guise d’aliment. Avec le Mékong et les rivières voisines, les poissons et crabes sont presque normaux. Parfois, il en saute un sur la rue … avant d’être rattrapé et remis dans son récipient comme si de rien n’était ! Mais d’où viennent donc ces petits serpents par dizaines dont la seule idée semble être de vouloir sortir du bac. Côté « boucherie », il est facile de repérer les viandes. D’un côté, les femmes « cham » avec leur petit voile lié à leur religion, ne vendent que du bœuf tandis que les autres femmes se concentrent sur la vente du porc.
Petit à petit, les échoppes se font plus rares laissant les trottoirs libres. Nous constatons alors que nous sommes dans le quartier des administrations dont un certain nombre arborent encore un nom français. Quelques centaines de mètres plus loin, nous entendons bruisser fortement les deux gros arbres qui nous surplombent. En prêtant attention, nous commençons à distinguer l’origine de tout ce bruit. Une colonie de roussettes, d’assez grosses chauves-souris, a élu domicile à cet endroit précis et nulle part ailleurs dans la ville. A cette heure de la matinée, elles sont toutes suspendues à leurs branches en position de repos, blotties dans leurs ailes repliées. Sans surprise, notre chauffeur nous attend à quelques mètres de là. Avant de reprendre la route, il fait un détour chez un réparateur de pneus : une pointe est plantée dans notre roue arrière droite. Chez nous, il aurait fallu mettre le véhicule sur le pont et démonter le pneu pour y insérer une mèche réparatrice. Ici non, tout se fait dans la rue, directement sur le véhicule. Et le pire, c’est que la réparation tient. Cet imprévu ne nous prend qu’une dizaine de minutes.
Marché de Kampong Thom
Vers dix heures, nous faisons halte au bord de la nationale 6 dans un village spécialisé dans le riz pilé. Celui-ci est d’abord grillé avant de passer sous un énorme pilon en bois. Ce sont uniquement les femmes qui procèdent à cette activité. Deux écoles s’opposent. Celles qui ont opté pour la mécanisation ont adapté des motoculteurs qui viennent actionner le bras des pilons, pilotés à distance par une corde à portée des dames en question. Les autres sont restées traditionnelles : elles emploient un homme pour mouvoir de tout le poids de son corps le même pilon. Ici pas de corde de pilotage. Sok décide de s’essayer à l’exercice le temps d’une fournée, avant de le regretter tant l’opération est usante.
Non loin de là, nous quittons momentanément la grande route pour entrer dans le village où se trouve le temple pré-angkorien de Prasat Andet. Ici encore, les constructions bouddhistes modernes côtoient les vestiges anciens. Un grand escalier conduit jusqu’à l’esplanade aménagée au sommet de la petite colline au centre du complexe. Dommage, qu’un bâtiment récent ait été édifié là. Il gâche un peu les environs de cette tour en briques, seul vestige du temple du huitième siècle. Des étais tentent de la maintenir debout, malgré de grosses fissures bien visibles. Par la seule entrée percée, les trois autres étant des fosses portes, nous pouvons pénétrer à l’intérieur et découvrir que ces constructions sont creuses pour les alléger au maximum. Malgré son âge et la présence de la pagode récente, cette tour accueille toujours des rites bouddhistes, en témoignent les diverses offrandes qui y sont déposées. . De retour au bas des marches, nous tombons sur deux de ces commerces ambulants improbables. Nous en avions déjà vu un dès notre arrivée dans le pays. La pauvre mobylette qui sert de base au chargement disparait littéralement sous un chargement qui doit bien dépasser les dix mètres de long. Ces marchants itinérants peuvent ainsi vendre quasiment de tout tant que leur monture résiste à une telle surcharge.
Et nous reprenons notre progression sur cet axe où la conduite est totalement anarchique. Les dépassements se font n’importe où et surtout n’importe quand, avec une certaine préférence pour les zones à ligne continue. Il n’est ainsi pas rare de passer à trois véhicules de front. En fin de matinée, nous faisons un nouvel écart, cette fois dans le village de Kampong Kdei où nous pouvons admirer un magnifique vestige de l’époque angkorienne datant de la fin du douzième siècle. Le pont Spean Praptos déploie ses plus de quatre vingt mètres de long au-dessus d’une toute petite rivière, du moins à cette saison. Mais en y regardant de plus près, les marques sur les piles de latérites laissent imaginer des flots fougueux pendant la mousson. Bizarrement, les arches sont particulièrement étroites tandis que les piliers sont inhabituellement larges. Chaque balustrade se termine par un Naga et ses neuf têtes. En contrebas, dans une eau stagnante et boueuse, une vieille dame fait sa lessive, assise sur sa petite barque. Une fois encore, nous n’avons pas les mêmes « critères ».
Quelques kilomètres plus loin, nous faisons halte au bord de la nationale dans un village spécialisé dans le gâteau de riz. D’ailleurs, le mot n’est peut être pas le bon. Ce mets que nous avions déjà aperçu sur le bac entre Kratie et Koh Trong est préparé dans un tronçon de bambou qui est fourré de riz, de noix de coco et de haricots noirs, une feuille de bananier et de la paille assurant un bouchon hermétique. Les tubes sont alors mis à cuire sur le feu. Après la cuisson, les bambous sont pelés pour ne conserver qu’une couche d’écorce interne et placer au chaud sur un lit de braise. Pour déguster, il suffit de retirer le bouchon et de peler comme on le ferait avec une banane. On peut même se servir d’un bout de bambou en guise de petite cuillère. Nous ne coupons pas à une dégustation. Cela se mange mais je n’y courrais pas après. Nous apercevons des vendeuses sur plusieurs kilomètres jusqu’au restaurant du jour, une véritable usine à touristes, mais dans un cadre agréable.