Dans les pas des Cathares (6)
30 Avril 2019
Les citadelles des vents.
Après une journée de mise en bouche, j'ai prévu de consacrer ce mardi à trois des châteaux les plus réputés du pays cathare. Encore une fois, les routes de la région se révèlent tortueuses et vallonnées, parfois en sous-bois, mais heureusement quasi désertes. Je passe ainsi non loin de Rennes-le-Château connue pour son abbé Saunières et son prétendu trésor, puis au pied du pic de Bugarach, point culminant des Corbières et accessoirement véritable aimant pour tout une série d'illuminés.... Depuis la plaine qui s'ouvre juste après, finis par apercevoir ce qui ressemble à des constructions au sommet de la barre rocheuse visible sur la droite. En approchant de Rouffiac-des-Corbières, je comprends que ce ne sont pas des visions. Peyrepertuse, peut être le plus renommé des sites cathares est bien là au sommet. Tel un navire de pierres avec son étrave effilée, il semble flotter dans les airs, hésitant entre la crête rocheuse et l'azur du ciel. Il faut néanmoins encore un petit moment avant de l'atteindre le temps de le contourner, d'abord via le village de Duilhac-sous-Peyrepertuse avant de bifurquer vers la barre minérale. Dès la sortie, la route se transforme en une succession de lacets de plus en plus pentus. La voiture est mise à rude épreuve pour atteindre le parking et le bâtiment d'accueil en contrebas du château.
En face de la billetterie, il ne faut pas manquer la passerelle métallique qui s'avance vers le vide. Elle offre un large panorama sur la chaîne pyrénéenne dominée par le sommet enneigé du Canigou, la vallée du Maury, les villages en contrebas et aussi sur une place forte voisine qui doit sûrement être Quéribus. Place à la visite. Pour entrer dans le château, il faut d'abord contourner l'éperon rocheux à travers garrigue et forêt pour rejoindre le versant nord où était bâtie la barbacane qui protégeait l'accès. Cette première approche donne déjà un avant-goût de la puissance du vent. Il fait bien meilleur à l'intérieur des murs de ce qu'on appelle la première enceinte. Celle-ci s'étire depuis l'éperon jusqu'au donjon vieux, voisin de l'église Sainte-Marie. On constate ici comment la construction a essayé de maximiser la surface utilisable au sommet en repoussant les murs au plus près du précipice.
La visite se poursuit dans l'enceinte médiane, un espace dépourvu de la moindre construction hormis les fortifications largement à l'état de ruines. En revanche, je suis immédiatement écrasé par le donjon San Jordi, le second pôle du château perché au sommet de la crête et desservi par un escalier qui semble bien vertigineux de loin. Sa construction date de Saint-Louis après la reconquête de la croisade des Albigeois. Au niveau de la poterne, l'effet venturi génère un souffle impressionnant. Là encore, il fait bon se réfugier à l'intérieur des murs. Pas pour longtemps! Monter si haut sans grimper jusqu'au sommet du donjon serait du gâchis. Quelle vue sur le site et ses environs! Cela vaut vraiment la peine de souffrir un peu pour arriver là. Je comprends désormais pourquoi il est considéré comme l'édifice le plus renommé des sites cathares. Membre des cinq fils de Carcassonne, Peyrepertuse est considéré par certains comme la Carcassonne céleste.
La sortie se fait évidemment par le même endroit, il faut donc à nouveau affronter le souffle du vent et les précipices pour retourner à l'accueil et au parking
Quelques kilomètres suffisent pour rejoindre l'étape suivante. Il faut tout de même affronter une descente toujours tortueuse et pentue, sortir de Duilhac avant de traverser Cucugnan, dont Alphonse Daudet a célébré le curé. S'annonce alors une nouvelle montée, heureusement plus courte et légèrement moins escarpée jusqu'à la billetterie du château de Quéribus un autre des fils de Carcassonne. Pour la première fois depuis le début de mon séjour, je trouve de la "foule" : au moins une quinzaine de véhicules stationnés là.
Il est impossible de le manquer avec sa silhouette massive juchée à plus de sept cent mètres sur un piton rocheux à la limite entre l'Aude et les Pyrénées-Orientales, et donc, historiquement, juste sur la frontière entre la France et l'Aragon. De loin, on pourrait presque penser que Quéribus se réduit à un simple donjon aux dimensions imposantes.
Une dizaine de minutes de marche sont nécessaires pour atteindre la poterne qui contribue à repousser littéralement les visiteurs avec le vent violent qu'elle canalise. La température y est immédiatement beaucoup plus fraîche. Ce n'est que sur le versant sud et à l'abri que je retrouve un semblant de chaleur. Je découvre alors que ce château semble constitué de diverses couches concentriques de défense qui s'appuient sur le donjon. Quelle surprise dans sa salle basse de découvrir une voûte asymétrique en croisées d'ogives. Un style assez peu militaire! Depuis le sommet, le panorama s'ouvre à 360° avec en toile de fond la châine des Pyrénées encore partiellement enneigée. Le Canigou veille sur nous à distance. Depuis là-haut, je distingue aussi diverses petites tables d'orientation incrustées dans certains murs mais quasi invisibles depuis le sol. C'est un comble!
Bien que décoiffant, il serait dommage de passer à côté d'un tel site, véritable vigie pour la région. On comprend mieux pourquoi le site a pu être choisi pour y établir une place forte. Il fut aussi un des derniers à résister aux croisés après la chute de Montségur.

Pour la dernière citadelle du jour, elle aussi "fille" de Carcassonne, il a fallu faire un peu de route à travers le Fenouillèdes pour rejoindre Lapradelle-Puilaurens. Ce sont les derniers efforts que je demande à ma voiture pour grimper jusqu'au pied du château de Puilaurens. La route se termine à la lisière d'une forêt. Il est très étonnant de voir sur une gravure ancienne que le piton fut autrefois quasi désert. Aujourd'hui les ruines émergent tout juste de la verdure. D'ailleurs, le chemin d'approche est tracé en plein sous-bois. Ce n'est qu'au dernier moment qu'on retrouve les murets des chicanes qui ralentissaient l'approche d'éventuels assaillants. Ici les constructeurs semblent avoir rivalisé d'idées en ce sens. A peine la porte passée, j'aperçois une bonne dizaine d'archères qui pointent directement vers la porte et un assommoir juste au-dessus. Il fallait être très vaillant pour monter à l'assaut ou alors disposer de troupes nombreuses. Puilaurens dispose encore de la quasi intégralité de ses fortifications. On observe même des créneaux au sommet des murs. En revanche, les aménagements intérieurs, donjon inclus, ont souffert des dégâts du temps. A la pointe est, un poterne permet de passer à l'extérieur des remparts et de profiter d'un point de vue sur les environs. Pour atteindre le "château haut", en fait le donjon et ses abords immédiatement, il fallait de nouveau affronter de lourdes défenses. D'ailleurs Puilaurens ne tomba jamais aux mains de Simon de Montfort pendant la croisade. Il sera transmis à la couronne de France par traité des années après.