Splendeurs du Pantanal, fazenda Caranda (1)
Samedi 14 Septembre, Paris
Les bagages sont bouclés depuis la fin de matinée. Il ne reste qu’à attendre que le temps passe. Une fois avalé un dîner rapide, histoire de tenir jusqu’au repas à venir dans l’avion aux alentours de minuit, je me mets en marche peu après dix neuf heures. Même si la température a baissé, il fait encore suffisamment chaud pour prendre une bonne suée le temps de rejoindre la gare RER lesté d’un sac à dos un peu lourd et ralenti par le bagage principal qui traîne derrière. L’attente est très courte avant l’arrivée du train plutôt bien rempli en ce samedi soir. Une petite heure plus tard, je rejoins l’aéroport de Roissy. Avant d’avancer trop loin, je passe par la première borne que j’aperçois pour imprimer mon ticket bagage. La file d’attente pour la dépose-bagage m’apparait bien longue. Elle s’étire sur toute la largeur de l’aérogare avant de poursuivre par une boucle dans l’allée centrale. Il faut dire qu’une seule rampe de guichets a été ouverte pour tous les vols Air France hors clients prioritaires. C’est bien la peine d’avoir autant de guichets sans personnel et ne pas les ouvrir. Je me dis rapidement que j’ai peut être bien fait de prendre de très larges marges. Heureusement, pour une raison inconnue, cela avance assez vite. Pas autant néanmoins que les contrôles d’immigration et de sécurité qui ne prennent qu’une poignée de minutes. Je n’ai pas souvenir d’aussi peu d’attente dans cet aéroport. Comme quoi cela peut fonctionner parfaitement … parfois ! Du coup, je suis contraint d’attendre un bon moment dans la salle d’embarquement que je parcours plusieurs fois histoire de m’occuper. Si bien que je finis par être remarqué grâce à l’étiquette de l’agence de voyage que j’ai accrochée sur mon sac à dos. Je fais ainsi la connaissance de Patrick et Anne. Nous commençons à discuter ce qui fait passer le temps plus vite. Mais pas la moindre trace des deux autres personnes qui sont censées être sur le même vol que nous. Coïncidence ou pas, nous nous retrouvons assis sur la même rangée dans l’avion, seulement séparés par le couloir. Nous aurions voulu réussir ce tour de force, nous aurions échoué. En revanche, il faudra qu’Air France nous explique pourquoi nous étions affectés à deux groupes d’embarquement différents ! Après le repas et un seul film, je sombre rapidement. Pouvant étendre allégrement mes jambes en l’absence de siège devant moi, je comate ainsi cinq ou six heures avant d’émerger vaguement. Une série de sommes se succèdent jusqu’à l’approche vers l’aéroport international de Sao Paulo.
La descente finale est plutôt étonnante : le mélange de lumière de l’aurore, d’une bonne dose de nuages et sans aucun doute d'un soupçon de pollution, voir même peut être des restes de fumées venues de l’Amazonie, nous dévoile la piste au tout dernier moment lorsque le train d’atterrissage n’est plus qu’à quelques mètres du sol. C’est une sensation un peu surprenante. Pendant que nous patientons au contrôle d’immigration, nous apercevons une nouvelle étiquette de l’agence. Cette fois, nous faisons la connaissance de Renée. Comme au Etats-Unis, il faut récupérer son bagage si on est seulement en transit sur un vol intérieur. Les nôtres sont très rapidement disponibles mais une file d’attente assez dense nous attend jusqu’au passage de la douane. Il faut ensuite rejoindre le terminal dédié aux liaisons domestiques. Au comptoir de la compagnie qui assure ce dernier tronçon, nous faisons face une nouvelle situation ubuesque. Les agents de Gol, ne parlant pas autre chose que le portugais, nous font comprendre que la plupart de nos bagages sont trop gros et qu’ils ne peuvent pas les prendre. Ce n’est pas comme si ils avaient déjà fait un vol long courrier …. Nous finissons par comprendre qu’il faut que nous amenions nous même nos bagages soute à l’autre bout de la salle jusqu’au sas dédié à ceux qui sont surdimensionnés. On ne nous y demande même pas notre carte d’embarquement ni même notre ticket bagage. Nous verrons bien à l’arrivée … Il nous faut encore quelques dizaines de minutes avant de rejoindre les salles d’embarquement du terminal deux. Nous constatons que la porte a déjà changé le temps de notre « promenade ». En essayant de trouver le reste du groupe, nous découvrons que la porte vient de changer une nouvelle fois. Ce vol devient « abracadabrantesque » avant même d’avoir commencé. A Priori, ce devrait être le dernier changement étant donné qu’un avion de la bonne compagnie vient de s’y connecter. Nous retrouvons là Jean-Pierre et Josiane. Notre discussion en français finit par attirer l’attention du second Patrick. Il ne manque plus que Catherine qui fait son apparition au moment où nous faisons la queue pour embarquer. Le sketch continue. On semble nous faire comprendre, uniquement en portugais, que nous ne serions pas dans la bonne file avant de nous « allumer » sèchement, a priori avec les mêmes mots pour nous faire revenir dans la file d’origine. A ce niveau-là, il est inutile de chercher à comprendre, tant qu’elle nous laisse monter à bord avec nos sacs à dos. Dernière étape plein ouest vers Cuiaba, capitale de l’état du Mato Grosso, distant de deux heures de vol. Et une heure supplémentaire de décalage horaire. Nous serons donc à six heures de moins qu’en France.
Malgré nos craintes à Sao Paulo, tous nos bagages sont bien arrivés. Nous sommes accueillis non pas par notre guide, mais par Olivier, un français travaillant en Amazonie, chargé d’assurer la traduction en français. Bizarre alors qu’il était annoncé un guide francophone. Paulo finit par arriver quelques minutes plus tard. Une chaleur intense nous cueille dès que nous sortons de l’aérogare pour rejoindre le véhicule dont la climatisation tourne en plein régime. N’ayant pu faire de change à l’aéroport faute de bureau à cet effet, nous faisons une halte dans un centre commercial tout proche. Malheureusement, en ce dimanche après-midi, le bureau de change est fermé. Nous sommes contraints de nous replier sur des distributeurs automatiques bien cachés dans un recoin du premier étage. Une fois ces détails réglés, nous partons pour une grosse heure de route jusqu'à la ville de Poconé, porte d’entrée septentrionale du Pantanal. Un tantinet claqué, je ne suis pas du tout attentif aux paysages que nous traversons. La seule chose que j’ai retenue est un long ruban de bitume assez terne et bordé de terrains agricoles souvent brûlés de frais. Nous voyons assez peu de villages. Quant aux oiseaux, ils se font encore rares. Le tout sous une chaleur des plus pesantes. L’air conditionné est poussé au maximum dans le minibus. Du coup, c’est un souffle brûlant façon sirocco qui nous cueille lorsque nous descendons au restaurant à Pocone, la Churrascaria Transpantaneira. Nous aurions presque faim à presque quatorze heures mais nous sommes assez vite calés par les différentes viandes embrochées qui défilent régulièrement autour de notre table. Le principe est plutôt sympa.
En ressortant environ une heure plus tard, nous découvrons, un peu déçus, que nous continuons dans un autre véhicule pour la suite du voyage : un camion ouvert, équipés de banquettes et couvert d’une toile. Oubliée la fraicheur du précédent, place à la chaleur. Et celle-ci se fait bien sentir sans oublier la poussière. Malgré la température élevée, nous commençons à apercevoir quelques oiseaux à mesure que nous nous éloignons de la ville. Avant même de dépasser les dernières constructions, le bitume avait déjà laissé place à une piste rougeâtre et souvent poudreuse. Obnubilés par la nouveauté, nous avons tendance à faire arrêter l’engin à tout bout de chance, même pour le plus commun des volatiles, ce qui commence à dépiter Paulo. Nous progressons lentement pendant près de trois heures, brinquebalés à chaque tour de roue ou presque, avant d’apercevoir enfin une clôture et un dernier portail en bois. Notre but est tout proche. Le bruit, la fatigue et la chaleur commencent à avoir raison de ma résistance. La nuit tombe sur la fazenda Caranda, une propriété agricole loin de tout en plein territoire du Pantanal. L’hébergement s’annonce des plus simples mais aussi des plus authentiques. La douche, indispensable, me fait un bien fou avant de passer à table. Peu après vingt heures, tout le monde s’écroule pour une bonne et longue nuit de sommeil.
Lundi 16 Septembre, fazenda Caranda
Comme prévisible, je me réveille bien avant l’heure. Le jour n’est pas encore levé quand je sors de notre chambre exigüe. La relative fraicheur de l’aurore fait le plus grand bien. La vie commence à s’éveiller : les premiers pépiements se font entendre dans les arbres. Mais il est encore un peu tôt pour bien les identifier. Ici ce ne sont pas tous les chats qui sont gris …. mais les volatiles. Après un petit-déjeuner largement constitué de fruits locaux, nous commençons la matinée aux abords immédiats de la propriété.
C’est vraiment impressionnant la quantité d’oiseaux que nous apercevons. Il suffit de faire quelques pas, tourner ou lever la tête pour dénicher une nouvelle espèce. Dans les airs se succèdent tantales d’Amérique et spatules rosées, tous deux au profil très facile à reconnaître. Nous commençons à découvrir les multiples perroquets qui vivent ici : conures veuves, reconnaissables à leur face et ventre blanc, conures nanday qui elles ont la face noire, ou encore les amazones à front bleu. Nous avons vite retenu le nom des moineaux locaux, aussi nombreux ici que ceux-là peuvent l’être chez nous. Leur parure noire et blanche sous une tête toute rouge est difficile à ne pas reconnaître. Et ils se démultiplient autour de la fazenda. Les troncs bien rectilignes des quelques palmiers semblent faire le bonheur de ces jolis pics dominicain, assez peu farouches. Leur œil ourlé de jaune sur une tête jaune permet de les identifier sans difficulté Après avoir marché à l’intérieur de la clôture, nous commençons à nous éloigner jusqu’à un étang voisin de quelques centaines de mètres. De loin, on ne le devinait que grâce à la présence de plantes aquatiques. Ce sont d’abord les fameux capybaras qui se montrent les premiers. En approchant encore, une trentaine de caïmans se révèlent être présents tout autour du point d’eau et probablement autant sinon plus au milieu, à en croire les paires d’yeux qui dépassent à la surface. Ceux-ci sont de taille plutôt modeste mais nous évitons néanmoins de les approcher de trop près. Quatre toucans toco nous attirent vers un bosquet d’arbres à plusieurs dizaines de mètres de là. J’ai beau en avoir déjà vus, ces oiseaux sont toujours aussi impressionnants avec leur bec démesuré et d’un jaune bien vif qui les rend bien visibles dans les branchages dépourvus de feuilles. Après avoir essayé de les approcher sans les effaroucher, notre attention est alors captée par un nandou d’Amérique, la version sud-américaine de l’autruche en modèle réduit. Lui est plus difficile à suivre. Il n’est pas d’accord pour nous laisser venir. En le pistant, nous nous rapprochons sensiblement de la ferme avant qu’un chant éloigne à nouveau : ce tintamarre provient de trois magnifiques aras hyacinthe qui s’en donnent à cœur joie sous les frondaisons. Après les avoir immortalisés sous tous les angles, nous retournons à la fazenda pour une pause bien méritée. En l’absence de couverture nuageuse, la chaleur se fait bien sentir et de plus en plus pesante.
Finalement, la coupure se fait plus longue que prévu. Nous ne repartirons pas avant le déjeuner. Certains partent se rafraîchir sous la douche, d’autres vont s’étendre au frais sous la climatisation. Pour ma part, j’opte pour le hamac sous l’auvent, légèrement rafraîchi par le courant d’air. Et puis il faut bien s’acclimater à la météo locale. Alors autant commencer tout de suite.
Nous remontons dans le camion vers quinze heures trente. Comme nous, les oiseaux de ce matin ont dû se mettre à l’ombre. Cela reste vrai pendant l’heure nécessaire pour rejoindre la rivière du Petit Paraguay, autrement dit le Rio Paraguaizonho, à l’autre bout de la propriété. Hormis trois hocos à face nue qui présentent une coupe des plus originales, genre plumes à l’iroquoise, aperçus furtivement sur la piste loin devant le véhicule, nous devons nous contenter d’un très beau jacamar à queue rousse, dont les multiples reflets sont un délice dans les jumelles. Son cousinage avec les guêpiers africains est évident. Il se révèle très joueur en se dissimulant dans les buissons tout proches, avant de finalement voleter jusqu’à un arbre de l’autre côté du chemin, sans toutefois rester longtemps en place.
Distinguant un creux dans le paysage qui s’avance, je soupçonne que nous approchons de notre but. Effectivement, la clairière où nous débouchons sert aussi d’embarcadère, ou plutôt de berge adaptée à la montée à bord de deux grandes barques mues en silence à la force des bras de nos deux pilotes. Sur notre droite, le cours est totalement recouvert par un large tapis de jacinthes d’eau. Inutile d’espérer partir dans ce sens là. Une fois équipés des gilets de sauvetage obligatoires, nous entamons notre promenade.
Seul le bruit étouffé de nos voix perturbent ce coin de nature isolé, loin de tout. Les martin-pêcheurs se multiplient : le très gros à ventre roux et le plus petit d’Amazonie, seulement paré de vert et de blanc. Les caïmans se cantonnent aux abords immédiats des berges, seul le naseau et les yeux affleurant à la surface de l’eau. Les ibis et les courlans bruns viennent régulièrement déchirer le silence avec leur cri si particulier, si horripilant parfois. Un hoco à face nue nous laisse enfin admirer de près sa tête si étonnamment permanentée. Plusieurs râles de Cayenne trainent sur les rives. Quelques mètres plus loin, un arbre couché dans l’eau convient parfaitement à ce petit singe capucin pour descendre boire. Là, ce sont des ortalides du Chaco qui pressent le pas. Nos deux piroguiers déploient des efforts surhumains pour réussir à franchir un large tapis de jacinthes. La progression se fait presque centimètre par centimètre. La couverture végétale se fracture par plaques mais semble ne jamais vouloir s’ouvrir vraiment. Après moult efforts, nous rejoignons des eaux plus navigables. Quelques caïmans apprécient moyennement que nous leur coupions le passage. Finalement, nous retrouvons le véhicule alors que la luminosité s’est fortement réduite. Il était temps de rentrer : notre barque commençait à prendre sensiblement l’eau. Pendant tout le trajet retour, Paulo balaye les environs avec un projecteur dans l’espoir de dénicher un ou plusieurs nocturnes. Nous n’apercevons que trois engoulevents pauragues ainsi qu’un renard crabier à quelques mètres de la fazenda. Le même repasse tout près de l'auvent juste après le repas alors que nous finissons la soirée dans les hamacs. Un dîner où la bière semble s’évaporer et le flanc a de sacrés goûts de reviens-y !