Splendeurs du Pantanal, fazenda Caranda (2)
Mardi 17 Septembre, fazenda Caranda
Comme hier, je me réveille avant l’heure. Il faut dire qu’en se couchant à vingt heures trente, nous avons largement le temps de nous reposer. A cinq heures, la vie n’est pas encore éveillée mais il ne faut qu’une dizaine de minutes pour que les nombreux oiseaux commencent à chanter. Les conures veuves dorment encore tandis que la buse des savanes a rejoint son perchoir sur l’ancien réservoir en grande partie détruit.
Un peu avant sept heures, nous prenons le véhicule pour une vingtaine de minutes avant d’entamer une ballade à pied dans un sous-bois. La matinée est exclusivement ornithologique, la plupart du temps pour des petits oiseaux se dissimulant aisément dans l’entrelacs de branches et de lianes. Souvent, je me contente de les mettre dans les jumelles, tel ce superbe pic de Malherbe avec sa magnifique tête rouge terminée par une crête, ou encore ce trogon couroucou aux couleurs flamboyantes, tête bleue, ventre rouge, dos vert et queue rayée de noir et de blanc. Il nous fait courir un bon moment, en vain question photos. Les aras hyacinthe sont bien plus tranquilles et faciles à repérer autant par leur taille, que leur couleur bleu nuit et aussi par leur cri puissant.
Alors que nous immortalisons un joli figuier, Anne débusque un coati roux qui détale avant que nous ayons eu le temps de dégainer. Ce n’est que le second mammifère de la matinée après le singe capucin que nous avions pu observer de loin, sautant de branche en branche. En chemin, nous tombons sur un pauvre troglodyte grivelé piégé au sol par les multiples graines de « capiçu » qui ont fini par lui créer une sorte de filet qui l’empêche de redécoller. Si pour nous, ces graines se limitent à coller aux chaussettes et aux chaussures, pour lui c’est directement accroché aux plumes, mettant sa vie en péril. Paulo parvient facilement à l’immobiliser au creux de ses mains. Puis, avec l’aide d’Anne et de Renée, ils parviennent patiemment à le débarrasser de toute cette gêne et le libérer.
La dernière demi-heure de la boucle matinale se déroule à découvert. Vu l’heure et le vent, cela commence à ressembler à une véritable fournaise. La seule mare que nous voyons est plutôt déserte. Un petit caïman ne montre que ses yeux et un caurale soleil fait la loi sur la berge. Même le caracara huppé, rapace pourtant deux fois plus gros que lui, est obligé de reculer. J’arrive aussi à entrevoir le superbe oriole à dos orange, avec sa belle parure bicolore. Vers dix heures, nous sommes de retour à la ferme pour faire une pause. Si la chaleur est toujours là, elle semble moins intense qu’hier. Un cerf s’approche tout près de la clôture puis ce sont trois nandous d’Amérique qui approchent des corrals. Je profite de ce quartier libre pour flâner autour des bâtiments et faire quelques clichés de la vie quotidienne.
A quinze heures trente, nous repartons en ballade avec le camion. La première halte a lieu à quelques centaines de mètres à peine. Une jolie tache orange a attiré notre œil. C’est un nouvel oriole qui va nous occuper pendant de longues minutes. Après avoir essayé de l’approcher sans trop de succès de ce côté de la clôture, nous finissons par passer entre les fils métalliques avec Olivier pour passer dans la parcelle voisine. Patiemment, j’arrive même à l’approcher à seulement quelques mètres et profiter ainsi de sa beauté parfaite. A ce rythme, nous allons avoir du mal à atteindre l’objectif de l’après-midi. Un peu plus loin, nous tombons sur un ouistiti un peu incongru à découvert, à même le sol. Ici et là, nous apercevons de petits caïmans bien loin de tout point d’eau. Nous passons de parcelle en parcelle, franchissant divers portails où se masse le bétail, jusqu’à atteindre les abords d’un étang dissimulé derrière une sorte d’épais mur végétal.
Paulo nous demande d’être bien silencieux, ce qui a le don de m’intriguer pour la suite. Quelques dizaines de mètres plus loin, aux abords de l’eau, nous en comprenons la raison. Les berges sont littéralement recouvertes de caïmans, quasiment sur tout le pourtour, sans compter les dizaines de paires d’yeux au milieu de l’étang. Nous avons le sentiment d’être surveillés de près. Les corps s’enchevêtrent dans tous les sens. Toutes les tailles sont représentées. Je pense qu’on pourrait presque faire le tour sans toucher le sol, en ne posant nous chaussures que sur les dos. Dans la « prairie » qui s’étend de l’autre côté, trois truies et leurs dizaines de marcassins se nourrissent nonchalamment sans même se soucier des reptiles tout proches. Sur une petite plage à notre droite, ce sont quelques capybaras bien timides qui restent dans l’ombre de la lisière. En revanche, les deux coatis roux sont plus joueurs. Pendant un bon moment, nous n’apercevons que leurs queues rayées, dressées telles des antennes. Ce n’est qu’une bonne heure plus tard que nous les apercevons enfin à découvert traversant la plaine alors que la lumière a largement décliné. Dernier signe de vie à vrai dire. Entre temps, alors que nous sommes quelques-uns à avoir progressé de quelques mètres sur la droite, nous distinguons dans notre dos un capucin dissimulé dans un arbre. La nuit finit par nous envelopper mais Paulo ne donne toujours pas le signe du départ. J’imagine qu’il espère nous faire découvrir une espèce nocturne. En vain. Nous retournons donc à la fazenda pour déguster notre première caïpirinha.
Mercredi 18 Septembre, fazenda Caranda
Nouveau départ un peu avant sept heures. Nous roulons bien … cent mètres pour une première halte destiné à observer un minuscule gobemouche. Je préfère m’attarder sur les premiers capybaras du matin. Nous avançons d’une cinquantaine de mètres jusqu’à nous retrouver en surplomb de la mare voisine de la ferme. C’est un petit festival entre onoré rayé, jacanas noirs, le petit héron strié et même un joli couple de pics passerins très coopératifs. Il s’approche si près que nous restons là de longues minutes. Un peu plus loin, Catherine nous déniche un nandou mâle aplati sur le sol. Occupé à couver les œufs, il aurait presque pu passer inaperçu.
Quelques kilomètres plus loin, nous mettons pied à terre. Cette ballade nous donne assez peu d’opportunités ornithologiques. En revanche, je me régale avec le grand angle. Ici, cela a dû être la guerre en palmiers et figuiers étrangleurs. Et ces derniers l’ont largement emporté, ce qui nous offre des structures végétales des plus originales. L’apparition du grisin du Mato Grosso, endémique au Pantanal, nous retient un long moment tant il s’évertue à se dissimuler derrière le feuillage ou les branches entremêlées. En comparaison, le jacamar à queue rousse nous requiert bien moins de patience. C’est le moment que choisit un agouti pour filer discrètement mais avec une extrême célérité derrière les buissons. Autant dire que rares ont ceux qui ont pu l’observer même furtivement. Au sortir des derniers bosquets, nous abordons la dernière portion de la promenade à découvert, sur un terrain particulièrement irrégulier. Le sol est constitué d’une multitude de mottes de terre bien dures qui se sont formés lors de la dernière saison des pluies. Entre la démarche malaisée et la chaleur qui monte irrémédiablement, le parcours se fait de plus en plus pesant. Parti malgré tout à l’avant du groupe, incapable de marcher doucement, je ne me rends pas compte de suite que quelqu'un vient de chuter à l'arrière. Tout le monde se rassemble tandis que Patrick et Anne s’en occupent déjà. Notre guide part en courant chercher le camion pour le faire approcher au plus près. Heureusement que nous avions une médecin avec nous qui savait pratiquer les premiers soins. Nous rentrons en urgence à la ferme où les soins se poursuivent. L’ambiance est tout de suite beaucoup plus fraiche jusqu’à ce qu’Anne nous rassure. Plus impressionnant que vraiment grave. Nous reprenons une activité normale, à savoir buller et nous tenir à l’ombre. Il faut néanmoins songer à refaire les sacs. Le soleil pesant freine vite mes ardeurs d’exploration photo. Dès la fin du repas, toujours aussi bon (mention spéciale au hachis de poulet), nous remontons à bord du camion pour quitter définitivement cet hébergement des plus authentiques et des plus chaleureux.