Splendeurs du Pantanal, Mutum Expedições (8)
A quatorze heures trente cinq, nous remontons à bord de notre barque la tête pleine d’espoir. A peine au milieu de la rivière, nous sentons Chico pousser son moteur. Et pour cause ! Olivier nous dit qu’un jaguar serait visible en bordure du canal Noir. Cela tombe bien, nous en sommes tout proche depuis notre déplacement de la mi-journée. Comparé aux dizaines et dizaines de kilomètres de ce matin, il ne nous faut que cinq grosses minutes pour repérer la poignée d’embarcations arrêtées dans la première portion du chenal. Pendant un moment, nous ne sommes que quatre ou cinq embarcations. Un calme bienvenu et inattendu après notre première expérience d’hier. Le contraste est saisissant. Nous réussissons à nous positionner sans encombre face au tronc couché qui sert à la sieste de cette nouvelle femelle. Elle nous gratifie de tous les comportements classiques du chat fatigué et accablé. Les canots qui commencent à s’accumuler autour de nous ne suffisent pas à la perturber. Elle va même s’avancer jusqu’à la fourche de cet arbre mort puis s’y écrouler littéralement avant d’en écraser pendant un bon moment. Tandis qu’elle est à peu près à l’ombre, nous commençons à griller en face. Elle finit par se relever pour se retourner et s’avachir à nouveau sur le tronc, les quatre pattes dans le vide, en nous montrant son postérieur. Au bout d’une heure, elle se redresse définitivement pour disparaître dans l’épais sous-bois qui se trouve juste derrière sur la berge. En quelques secondes, sa panoplie tachetée lui offre un parfait camouflage. Si la plupart des barques repartent vers la Cuiaba, nous préférons rester encore quelques minutes dans ce coin bien généreux avec nous depuis le premier jour.
Bien nous en a pris ! La barque près de nous démarre plein gaz vers l’amont. Ni une ni deux, Chico lui emboite le sillage. Cela tient presque de la course entre trois embarcations. Plus rien ne compte sur les berges. Même un jaguar soudain passerait sûrement inaperçu. Quelques minutes de ce rythme infernal suffisent pour atteindre une seconde femelle jaguar, cette fois sur la rive gauche. Elle évolue le long du canal, tantôt sur le haut des berges, au mieux à découvert, sinon dans la relative ombre du sous-bois, tantôt au bord de l’eau, à chaque fois que c’est possible. Le plus compliqué consiste à deviner sa progression lorsqu’elle s’enfonce au milieu de la végétation aquatique en quête de proies. Il faut pour cela observer les tiges et les feuilles qui bougent anormalement, et, si possible, tendre l’oreille pour localiser les craquements qu’elle produit. Plusieurs fois, elle nous surprend en réapparaissant bien plus loin que nous l’imaginions. Et le manège continue ! Suivi par le ballet des bateaux qui essaient de suivre le mouvement, parfois dans un chaos indescriptible.
A un moment donné, Paulo décide d’anticiper en nous sortant de la cohue pour attendre la féline à plusieurs centaines de mètres. Mais certains abrutis nous gâchent le plaisir en venant se placer devant nous au moment où elle approche. Il y a des c….. qui se perdent parfois … Nous repartons alors plus loin encore. Et là, surprise ! Une troisième femelle jaguar apparait sous nos yeux. Elle remonte la rive en direction de la précédente. Comme elle, nous remontons à nouveau le cours. La distance les séparant se réduit de plus en plus. Nous les devinons plus que nous les voyons réellement. Quelques taches derrière la végétation pour celle de gauche, un bout de queue qui fouette l’air pour celle de droite. Une puissante série de ronronnements se fait entendre. Mais que dire du rugissement qui retentit juste après, probablement au moment où elles se sont croisées. Avec les craquements, nous soupçonnons que cela a dû être musclé. Le calme revient quand qu’elles s’éloignent légèrement, chacune poursuivant son chemin bien à l’abri de la végétation. Désormais, nous suivons seulement la trace des hautes herbes qui ondulent sur le passage de celle de droite. Petit à petit, les bateaux partent. Grâce à la proximité de notre navire accosté non loin de l’embouchure du canal Noir, nous pouvons rester sur place jusqu’au dernier moment. Un pur plaisir de se retrouver enfin seuls dans la pénombre naissante profitant une dernière fois de cette femelle dont nous supposons qu’elle doit avoir un petit dans les parages à voir ses tétines gonflées.
Quel après-midi extra ! Trois observations de jaguars, d’une heure chacune. Cela méritait bien une nouvelle caïpi en guise d’apéro sur le pont supérieur.
