Voguons au pays du Vert Galant
Nérac, Août 2020
Il y a tout juste une semaine nous concluions une grosse semaine de vacances par une croisière. Pas de celles sur ces énormes navires océaniques. Non, juste une ballade fluviale sur la Baïse, la rivière qui baigne la ville de Nérac, à bord d'une gabarre, dont le nom ne pouvait être autre que Prince Henry.nous sommes, faut il le rappeler, dans la ville maternelle d'Henri (Jeanne d'Albret, reine de Navarre), en contrebas de son château, enfin de ce qu'il en reste. De beaux restes, je reconnais.
Direction le port, à hauteur du parking de la médiathèque. Trois départs sont planifiés chaque jour, auquel s'ajoute un quatrième départ spécial repas à bord, deux fois par semaine (pour ce qui est du programme estival; au printemps et à l'automne, le planning est allégé).. En cette année si étrange où la Covid a largement perturbé nos habitudes, l'affluence pour ce genre d'animation semble avoir bien augmenté. Il vaut mieux éviter d'arriver au dernier moment sous peine de rester à quai faute de place, d'autant plus que la "capitainerie" ne vend pas de billet à l'avance. Sans oublier que pour assurer une certaine distanciation à bord, la capacité a été réduite de 75 à 50 places, principalement à l'intérieur plus quelques unes dehors à la proue. Masque obligatoire avant de mettre un pied sur la passerelle. Bien évidemment.
C'est parti pour une heure de promenade vers l'amont. Tout au long de la navigation, une guide nous fait découvrir l'histoire des lieux que nous dépassons. Après avoir découvert ces lieux depuis les rives, souvent sous couvert des grands arbres aux feuillages épais, nous les voyons défiler devant nos yeux sous un angle bien différent. D'autant plus que vu de la rivière, nous avons l'impression de fendre une dense végétation. Il semblerait que certains parlent de "Petite Amazonie". C'est peut être un peu fort, mais cela illustre bien le côté imposant et presque envahissant de la verdure.
Mais avant cela, juste après être passés sous le pont Neuf, bien haut perché, nous commençons par longer sur notre droite ce qu'il reste des remparts de la ville depuis que Louis XIII les a fait combler, au moment où la cité perdait de son rayonnement. Quelques dizaines de mètres plus loin, j'apprends que ce petit monument que j'avais toujours imaginé un ancien puits en pierre surmonté d'une coupole minérale se révèle être une tortuguière. Encore une trace du fameux prince Henri IV. Non content d'avoir eu pour couffin une coquille de tortue au château de Pau, il en avait fait élevé dans sa capitale d'Albret.
Par comparaison, le bâtiment des bains du Roi est bien moins surprenant, visible qu'il est, en se promenant sur la rive gauche. Du parc de La Garenne qui se déroule ou plutôt devrais-je dire qui se dissimule sur notre gauche sur presque un kilomètre, on n'aperçoit seulement quelques-unes des fontaines, on doit imaginer le théâtre de plein air qu'on nous décrit et on distingue partiellement le chalet et son kiosque avant de passer sous la passerelle.
Alors que nous approchons de l'extrémité sud de ce poumon vert en coeur de ville, je vais enfin savoir comment s'organise la rivière à cet endroit précis. En effet, depuis un bon moment déjà, je passe près du moulin de Nazareth alimenté en eau grâce à une chaussée qui barre le cours principal. Ainsi, je me doutais bien qu'il devait y avoir une dérivation quelque part, mais impossible de la deviner depuis la rive droite. Après avoir légèrement avancé la gabarre dans le cours principal pour nous laisser profiter du moulin certes bien dégradé par le temps (un réhabilitation semble en cours depuis quelque mois pour produire de l'hydroélectricité, à défaut d'une restauration), nous nous rapprochons d'un étroit chenal parfaitement dissimulé derrière un mur de végétation. J'aperçois les deux portes d'une écluse. C'est donc un petit canal qui permet de poursuivre la progression vers l'amont. Mais avant de s'approcher de l'écluse, il faut débarquer le seul homme d'équipage (et oui, la capitaine et la guide sont des femmes) sur le ponton en avant de l'écluse pour qu'il puisse aller chasser l'eau du sas sans que le bateau ne soit trop secoué. Quand les niveaux sont équilibrés, les portes s'ouvrent vers l'intérieur. C'est à ce moment-là que nous constatons que le passage est bien étroit. En réalité, le navire dispose tout juste de dix centimètres de jeu dans l'écluse. Autant dire qu'il faut à tout prix éviter de laisser trainer quoi que ce soit en dehors du bastingage, sous peine d'amputation immédiate.
Lorsque les portes se referment dans notre dos, nous constatons petit-à-petit la lente montée du niveau, jusqu'à atteindre l'équilibre pour que la seconde paire de portes puisse s'ouvrir pour nous libérer de ce bien étroit passage. Nous pouvons alors continuer en contrebas du quartier dit de Nazareth. Manque d'originalité ou pas, tout est baptisé ainsi dans le coin. Difficile de se tromper! Toujours sur notre gauche, nous distinguons une sorte de tour en ruine: c'est tout ce qu'il reste de l'ancienne commanderie templière qui s'élevait jadis sur cette hauteur qui dominait la rivière. D'ailleurs, cette appellation viendrait justement de l'occupation par les chevaliers de Terre Sainte.
Le dernier tronçon est consacré à divers explications sur les productions agricoles locales mais si on n'en aperçoit quasiment aucune à proximité immédiate du cours d'eau. Toujours cette végétation bien dense. La guide doit même mettre en garde les passagers installés à l'avant de reculer. Etant donné la largeur réduite de la Baïse à cet endroit, la proue va devoir s'enfoncer dans les ronces pour pouvoir tourner. Quelques gamins ne perdent pas le nord et en profitent pour picorer quelques mûres à portée de main, bien noires, et sûrement juteuses. Commence alors la navigation retour. En redescendant vers l'aval, nous avons toute latitude pour bien apercevoir la maison de l'éclusier. La marque de crue gravée sur une des pierres d'angle parait démesurément haute. Que d'eau, que d'eau! Comme avait dit un certain Mac Mahon, lors de la dernière grande crue de la Garonne! La vidange de l'écluse est beaucoup plus rapide que son remplissage. Il ne faut que quelques minutes pour reprendre notre chemin. La guide profite de notre retour près de la Garenne pour nous décrire les multiples fontaines et les histoires qui y sont associées. Mais il n'est pas forcément aisé de toutes les apercevoir correctement depuis le bateau. Une promenade piétonne s'impose en complément.
L'approche du Pont Vieux, qui porte bien son nom avec son architecture des plus anciennes marque la fin de la promenade. Avant un dernier demi-tour pour venir accoster, notre guide nous rappelle le passé de cette portion de la ville, entre les deux ponts. Jusqu'à huit tanneries s'y sont agglutinées. On peine à imaginer les odeurs qui devaient envahir la ville basse. Aujourdhui, cette activité a totalement disparu mais on peut encore apercevoir une ancienne tannerie, au sommet de laquelle on distingue les greniers qui permettaient de faire sécher les peaux au grand air.
Si le coeur vous en dit, vous pouvez acheter à la capitainerie quelques-uns des produits locaux, surtout liquides il faut reconnaitre, voir même d'en siroter sur la terrasse en surplomb de l'eau, entre autres une particularité locale, la Mystic, une bière à base de chanvre, en lieu et place du houblon. Finir la journée dans ce cadre est loin d'être désagréable.