Voyage dans le temps sur les côteaux du Girou
Verfeil, 30 Juillet 2020
Me voici embarqué en dernière minute pour une déambulation nocturne. Bien nous en a pris de préférer la visite de 21h à celle de 19h30. Il fait encore bien chaud, le mercure culmine encore à plus de 30° alors que l'astre solaire vient de se coucher en faisant rougeoyer le côteau vers Bonrepos. En plein coeur de cet été si particulier les participants arrivent par grappe sur le boulodrome juste à côté de l'église, chacune tenant ses distances par rapport aux autres, Covid oblige. Tous sont venus pour cette visite théâtrale intitulée "Verfeil remonte le temps".
Alors que les bavardages vont bon train ici et là, nous sommes tous surpris par un bruit de pétarade et un nuage de fumée qui s'échappe de la seule porte percée dans la façade qui nous fait face. Si ce n'était que ça ... Un hurluberlu surgit des limbes avec ses lunettes en cul de bouteille, sa coupe de cheveux digne de celle de Tryphon Tournesol, sa blouse blanche sur des jambes nues mais cerclées de porte-chaussettes, se lamentant de l'échec de son expérience. Voici Cyprien le savant fou doté d'une élocution assez spéciale, probablement une bonne poignée de cheveux sur la langue. JE me retrouve bien malgré moi emporté dans son délire pour l'aider à rapprocher son tableau noir du groupe de spectateurs. Le spectacle commence avec une scène délirante de calculs mathématiques, enfin tout juste un vernis. Seul un mathématicien aussi loufoque que Cyprien y retrouverait ces petits. Tout ceci est prétexte à réussir à faire fonctionner la machine à remonter le temps. Silence .... et soudain remontant de la promenade approchent un couple en tenue médiévale avec leur petit fille et un âne. Le voyage a commencé .... nous sommes au 8ème siècle, époque à laquelle l'édification du premier "castel" sur les hauteurs de Verfeil ("Brufel" en patois local) a débuté.
A la fin de chaque tableau, Cyprien tourne la manivelle de sa machine infernale et le temps défile .... mais pas sous nos yeux. A nouvelle année, nouveau personnage qui surgit de la nuit, souvent dans notre dos et que nous sommes invités à suivre, notre savant fou se chargeant de pousser sa machine tout en nous contant l'histoire du village. Ce nouveau bond dans le temps nous a conduit physiquement devant l'église et virtuellement au 12ème siècle lorsque Bernard de Clairvaux vient tenter de remettre les cathares locaux dans le droit chemin de la Sainte Eglise. C'est l'occasion pour moi d'apprendre la légende du figuier accroché sur une terre aride, devenu emblème de la ville après que le futur saint est "maudit" les "parfaits" qui ne voulaient pas entendre raison d'un " Verfeil ....cité de la verte feuille... que Dieu te dessèche ". L'histoire raconte que pendant sept il ne tomba plus une goutte d'eau, les sécheresses succédant aux sécheresses. Et ce sera un figuier qui sera le premier à reverdir sur cette terre devenue désolée. L'impact de cette scène est encore plus renforcée par les immenses ombres des comédiens qui se projettent sur le choeur de briques rouges de l'église Saint Blaise.
Quelques dizaines de mètres plus loin, nous nous transportons au coeur du château, du moins ce qu'il en reste, au 15ème siècle alors que se tiennent les premiers pourparlers qui déboucheront au niveau national sur l'édit de Nantes, pacifiant provisoirement les guerres de religion. Sous couvert d'humour mêlant expressions en vieux français ou en patois local, nous continuons à feuilleter les pages d'un imposant et, pour ma part insoupçonné, livre d'histoire.
Et la flânerie continue avec un nouveau bond de quelques siècles pour nous retrouver plongés, au bas de la place Espa, dans un foire d'époque. C'est l'occasion de rappeler le passé pastellier du pays de Cocagne, tout autant que les prémices du commerce du millet d'Espagne, le maïs. A priori, la révolution consiste à soudainement se mettre à peser ces grains pour les vendre sur les foires du pays Lauragais.
Direction la rue Vauraise et la période révolutionnaire pour le bond temporel suivant. Un gentilhomme fardé de blanc, tant et si bien qu'on pourrait le croire malade, et affublé d'une volumineuse perruque blanche et bouclée, toque à une porte d'où finit par sortir sa mie, toute en beauté avec sa belle perruque tout aussi immaculée et son élégante robe rouge. En ces dernières années de la Révolution Française, il peut encore rouler des têtes, telle celle de la descendante de Riquet, génial inventeur du canal du Midi. Mais revenons au sieur Antoine Marie Baptistat puisque c'est de lui qu'il s'agit. Sa douce et tendre s'inquiète pour son intégrité physique alors qu'il a le projet avec quinze autres citoyens du village de participer aux enchères du lendemain afin de racheter le château et de lui éviter la démolition. C'est ainsi qu'encore aujourd'hui, l'édifice est toujours sur pieds, et toujours partagés en seize lots.
Continuant en déambuler dans le rue Vauraise, nous passons sous l'imposante porte éponyme pour déboucher devant la halle-mairie-école- .... au 19ème siècle. Ici, deux gentes dames nous content l'histoire du bâtiment qui nous fait face. Sorti de l'imagination d'un conseiller communal, il avait (et il a toujours en partie) la particularité d'être multi-fonctions. Sous le même toit, on pouvait une grande halle servant pour les échanges commerciaux, à l'étage la mairie, l'école et le logement de l’instituteur. A l'époque, le visionnaire citoyen dut affronter des vents contraires, investir de ses propres deniers sans jamais n'être jamais totalement remboursé. C'est son fils qui passera à la postérité en donnant son nom à une des placettes. Après la scènette, nous sommes invités à rentrer dans la halle où sont encore bien visibles les mesures qui permettaient de faire le commerce de grains.
Après cette unique visite intérieure, une dernière visiteuse débarque alors que nous sommes revenus sur le parvis de l'église. Nous venons de revenir au 20ème siècle. Plus précisément en 1925. Dans ces pas, nous remontons le long du château par une étroite ruelle qui nous ramène jusqu'à l'église avant que nous rejoignions la promenade juste au pied du clocher. L'année passée, le clocher s'est écroulé, un notaire est là avec la secrétaire de mairie pour décider des travaux à mener pour remettre en état l'édifice .... à moindre coût. A croire que le maire de l'époque était auvergnat ;-) De fait, le clocher ne retrouvera jamais ses quarante mètres de haut. Il reste néanmoins très visible à des kilomètres à la ronde, ainsi campé au sommet de la colline du village.
La ronde humoristico-historique se termine là où elle avait commencé, dans une dernière pétarade et un ultime panache de fumée. Tous les comédiens amateurs convergent devant nous pour recevoir des applaudissements et des félicitations bien mérités. Quelle riche idée pour faire vivre le village pendant la pause estivale, que de mêler la petite histoire, la moyenne histoire régionale et la grande histoire!
Un grand bravo à David (qui retrouve une voix normale lorsqu'il s'extirpe du corps de Cyprien) et à toute son équipe. Comme le conclut si bien Cyprien, malgré les touches d'humour, tout est vrai, hormis les élucubrations du savant fou.
Alors si vous passez dans le coin en août et qu'il reste encore quelques places, il ne faut surtout pas hésiter.
Ajout du 6 Août 2020:
Cet été, David propose une seconde déambulation nocturne, toujours dans les ruelles de Verfeil, intitulée "La visite nostalgique de Papi Ernest". Cette fois il y incarne Papi Ernest, une parfaite réplique des "anciens" du coin, l'accent, les expressions, tout y est. Contrairement à la première ballade, il y est seul et nous conte l'histoire locale de 1924 jusqu'aux années 1960, d'anecdote en anecdote, tristes, graves ou plus souriantes. Quoi qu'il en soit, il est tout aussi captivant dans ce personnage-là. Le vrai but est de transmettre cette histoire locale, ces valeurs, quelque part ce patrimoine.