Aventure spatiale en Amazonie (3) - Immersion dans la réserve naturelle de Kaw
A notre tour nous remontons dans notre minibus pour retourner à la villa. Nous avons quelques dizaines de minutes pour préparer un sac léger avant de partir pour le marais de Kaw, une des plus vastes réserves naturelles de France. Ce sera donc sans hésitation le sac étanche et le minimum syndical pour la nuit, sans oublier tout l’appareillage photo et jumelles au cas où nous aurions quelques occasions d’observer l’avifaune. Et c’est parti pour deux bonnes heures de trajet, d’abord la route goudronnée reliant Kourou à Cayenne, la RN1, puis rapidement au sud de la préfecture, peu après le village de Roura, une piste rougeâtre. Si les premiers kilomètres se révèlent bien lisses, grâce à une réfection récente, ce n’est pas le cas pour les derniers kilomètres. Les nids de poules sont multiples obligeant une progression au ralenti, d’autant plus que le véhicule peine à chaque côte même la plus insignifiante. Par endroits, la végétation bien humide se nimbe de nappes de brumes ouatées. Nous pourrions presque tourner une reprise de gorilles dans la brume. Non sans mal, nous atteignons au bout de la piste le « dégrad » de Kaw. C’est ainsi qu’on appelle en Guyane les débarcadères. Un petit cimetière bien clairsemé surplombe le parking et le ponton. Quant au village de Kaw, il est situé à plusieurs kilomètres de là : du fait de sa construction sur du sable, son cimetière a dû être excentré. Une pirogue verte, longue et effilée, nous attend ainsi que trois autres groupes : nous serons donc vingt à bord, en plus du pilote. Nous partons à l’opposé du village en direction de l’amont. Le moteur est maintenu au ralenti pour nous laisser le temps de découvrir les alentours et d’écouter les premières explications d’un pilote-guide pour le moins déroutant, tout du moins hors normes. Ses commentaires se révèlent parfois détonants, à tel point qu’il me faut un certain moment avant de conclure qu’il sait effectivement de quoi il parle. Au fil de l’eau, nous apercevons de multiples jacanas noirs, quelques aigrettes plutôt au milieu des prairies, un héron Cocoï, quelques Anhingas d’Amérique et divers anis à bec lisse, pas les oiseaux les plus « sexys » avec leur plumage intégralement noir. En y réfléchissant, je retrouve ici les mêmes espèces qu’au sud du Brésil dans le Pantanal, presque trois ans plus tôt. Je suis surpris de découvrir sur la droite une ferme et un imposant troupeau de zébus au milieu de nulle part. Soudain, je vois arriver des banquettes derrière moi, une bouteille de Belle Cabresse, du sirop de canne et des verres. Ca commence fort cette immersion dans la nature guyanaise. Costaud le ti-punch ! Lorsque nous passons devant le carbet flottant baptisé Morpho, nous ne regrettons pas de ne pas y passer la nuit tant il est étroit pour ne pas dire microscopique. Nous ne sommes pas mécontents que le choix de l’hébergement ait changé depuis le voyage de septembre. Cette fois ce sera le Jal : largement plus imposant et vaste, pouvant accueillir en théorie jusqu’à une quarantaine de passagers. Contrairement à l’autre, ce carbet flottant reste amarré : les déplacements ne se font que dans la coque alu. Une dizaine de chauve-souris apparaissent sur la paroi en bois qui se présente à nous. A bord, nous retrouvons la femme de notre guide, une amérindienne d’origine kalina tandis que Ricky, notre pilote, est surinamien. Nous apprendrons le lendemain que tous les deux sont en fait tourangeaux (quel grand écart entre la Touraine et ce coin isolé de Guyane !). Nous prenons « possession » de nos hamacs au premier étage, avec vue sur le marais. Olivier nous explique comment nous y installer et dormir au mieux, ce que nous nous empressons d’expérimenter pour être au point ce soir. Derrière nous, sur l’arrière du carbet et au deuxième étage, ce sont des vrais lits qui accueillent les passagers. Nous ne trainons pas longtemps : un apéro en bonne et due forme nous attend sur le pont principal. Ricky nous met au défi tous autant que nous sommes de finir le cubitainer de rhum avant de repartir ;-) Nous commençons à faire connaissance avec les autres passagers : un trio de filles et un couple avec son fils. Quant au repas, nous le prenons tous ensembles autour de la longue table dressée pour l’occasion.
Après ces agapes, nous reprenons nos appareils de prise de vue ainsi que les frontales pour remonter à bord de la pirogue pour une virée nocturne à la recherche des caïmans noirs. Pour plus d’efficacité, Ricky nous demande expressément d’éteindre toutes nos lumières ; lui seul manie un puissant projecteur manuel. Par moments, il file même à pleine vitesse sans le moindre éclairage. Il faut dire que la nuit est loin d’être noire : après quelques minutes d’acclimatation, mes yeux s’habituent au milieu à tel point que je distingue assez bien le lit du fleuve et les berges. Etonnant ! Mais le plus impressionnant reste la capacité de notre pilote ; malgré la vitesse, il réussit à repérer à coup sûr les caïmans qui pointent seulement leurs yeux à la surface. Nos vingt paires d’yeux n’y suffisent pas pour atteindre ce niveau. Il nous faut être à proximité pour les apercevoir. Et encore, ce n’est pas toujours suffisant. Limite il faut avoir le nez juste au-dessus pour les distinguer. Heureusement qu’il ne s’agit que de petits spécimens de moins d’un mètre. Cette sortie nocturne est aussi l’occasion de profiter du superbe ciel étoilé qui nous est offert. Miraculeusement les nuages semblent s’être dissipés et toute pollution lumineuse est absente ici, loin de tout. Il ne manquerait plus que la Voie Lactée pour offrir une parfaite voûte céleste. Sur ces paisibles sensations, comme seuls au monde, nous retournons vers notre carbet pour passer une bonne nuit de sommeil. Grâce à l’entrainement, nous parvenons sans réelle difficulté à nous installer dans nos hamacs. C’était sans compter sur l’esprit taquin d’Olivier qui attend que nous soyons couchés pour commencer à nous faire osciller. Tel un pendule, les uns après les autres, nous commençons à balancer. Il ne reste plus qu’à trouver le moyen le plus simple pour freiner ce mouvement sans descendre. Heureusement que le plancher est tout proche. Une main au sol finit par résoudre le problème. Bouchons d’oreilles indispensables avec une telle promiscuité : il n’y a guère qu’une cinquantaine de centimètres entre chaque hamac. Etonnamment, je trouve le sommeil assez vite dans ce couchage peu ordinaire, peut être grâce au conseil d’Olivier consistant à s’étendre en diagonale dans la toile.
Samedi 15 avril, Kaw
Réveillé tôt, comme tous les jours depuis mon arrivée en Guyane, j’abandonne mon hamac dans le plus grand silence possible alors que l’aube se lève à peine. Je descends les marches pour rejoindre le pont principal, plus exactement les pontons avant et latéral pour profiter seul de ce moment de pure sérénité, pas d’autre son que celui des quelques oiseaux les plus matinaux. Le ciel est couvert … d’épais nuages blancs s’accrochent aux collines alentour tandis que des formations plus cotonneuses et éthérées nimbent les prairies qui me font face. Un soupçon de chaleur serait le bienvenu pour dissiper cette humidité matinale. Quelques jacanas noirs, cormorans et canards commencent à se montrer. Tout comme certains de mes « coéquipiers » qui émergent tranquillement de leur paisible nuit. Sur les coups de huit heures, tout ce petit monde est présent autour de la table pour prendre un copieux petit-déjeuner. Une fois le ventre plein, nous pouvons rejoindre la pirogue. Vu la météo, j’opte pour le sac étanche sans oublier la cape de pluie qui nous a été offerte à Toucan par Arianespace : le ciel semble bien menaçant avec ses nuages prêts à se crever à tout instant pour lâcher sur nous de véritables seaux d’eau. Mieux vaut prévenir que guérir. Ce matin, nous partons explorer le fleuve en amont du carbet. Au fur et à mesure de la progression, le cours se fait de plus en plus étroit, engoncé entre deux parois végétales parfois bien denses.
Après les incontournables jacanas qui se font entendre au bord de l’eau, ce sont d’abord et surtout les anis à bec lisse (« zozos diables » pour les guyanais) qui se montrent. Ces oiseaux noirs vont souvent par deux, perchés sur les arbustes plantés sur les rives. Ici et là, de nombreux nids, ronds ou allongés, témoignent d’une intense vie ornithologique. Néanmoins, il semble pour la plupart abandonnés en ce moment. La quantité d’épiphytes témoigne là aussi d’une végétation des plus luxuriantes grâce à une humidité importante, sans parler de la quantité de mousse qui pare les branches autour de nous. Après plusieurs apparitions d’anhingas et d’anis, nous apercevons enfin un nouveau spécimen, du moins pour ce voyage, en l’occurrence un onoré rayé, qui se laisse photographier assez longuement. Son gros bec noir parait toujours aussi disproportionné par rapport à la taille de l’oiseau. Quelques centaines de mètres plus loin, il nous faut plus d’efforts pour apercevoir ce couple d’hoazins huppés. Dans un premier temps, c’est une puis deux formes sombres qui apparaissent à travers le feuillage. De là à identifier une espèce, il y a un pas. Plusieurs manœuvres de la pirogue sont nécessaires avant d’apercevoir enfin une tête : un œil énorme, et surtout un volatile complètement ébouriffé. Cette espèce présente la caractéristique rare de n’être qu’herbivore.
Quelques mètres plus loin, de l’autre côté du « fleuve », c’est un énorme lézard aquatique qui se tient à cheval sur un bois flottant. Hormis le bout de sa queue et de ses griffes, il est au sec, enfin tant qu’il ne pleut pas … Lui aussi se révèle bien conciliant avec nos objectifs. Nous en profitons donc longuement. Son voisin sur l’autre rive ne risque pas de s’échapper : cette boule de poils sombres calée dans un arbre bien déplumé est un paresseux. Il confirme bien son nom avec des mouvements minimalistes pour ne pas dire inexistants. Le second couple d’hoazins se révèle plus simple à identifier malgré la distance. Il faut dire que le feuillage est moins dense à cet endroit-là et nous venons d’en observer deux spécimens. Encore plus loin, c’est un héron strié qui se montre. En résumant, ce serait un cousin proche de l’onoré dont seules les couleurs du plumage changeraient : principalement du blanc, du noir et du gris pour le héron, là où l’onoré est principalement brun. Après ces diverses observations, nous sommes rattrapés par les éléments. Des gouttes commencent à tomber. C’est le signal qu’il faut se couvrir rapidement et mettre à l’abri l’appareil photo. Indispensable quand l’averse tourne rapidement à une pluie lourde et épaisse. Il ne faut d’ailleurs pas longtemps avant que Ricky décide de faire demi-tour. Contrairement à nous, il affronte les précipitations sans se couvrir. Autant dire qu’il est vite trempé jusqu’aux os mais toujours avec son large sourire et ses blagues. Le fond de la pirogue commence à se remplir : étant installé à l’arrière, juste devant le pilote, j’ai les pieds noyés dès que la vitesse augmente faisant automatiquement se lever l’embarcation. Il faut donc que je me méfie à la fois de l’eau qui tombe du ciel et de celle qui déferle dans la coque. Pas simple. J’espère que le sac étanche l’est réellement. Pour savoir, il me faut attendre le retour au carbet. Comme souvent en Guyane, la pluie s’arrête tout aussi vite qu’elle a commencé. Les capes de pluie sont vite retirées : nous sommes déjà presqu’aussi mouillés à l’intérieur qu’à l’extérieur. Heureusement que le fond de l’air est plus que doux. Sur le « chemin » du retour, nous refaisons une visite au premier couple d’hoazins. Monsieur semble indisposé par notre présence et tente de protéger sa conjointe en gonflant au maximum son plumage … Nous dépassons le carbet avant de poursuivre vers le dégrad. Dans cette partie, le paysage est beaucoup plus ouvert, de vastes prairies bordées de seulement quelques arbustes succédant aux murs végétaux. Ainsi nous retrouvons les jacanas, quelques aigrettes, une ou deux moucherolles à tête blanche. Encore une fois, notre pilote nous désarçonne en nous expliquant qu’il y aurait deux singes hurleurs à plusieurs centaines de mètres au sommet d’un arbre. Malgré les jumelles, nous avons du mal à confirmer. Il faut que j’arrive à repérer la zone et la pointer avec mon six cent millimètres pour enfin repérer les deux boules rousses qui confirment ses dires. Mais comment fait-il ? De jour ou de nuit, il repère tout. C’est tout bonnement stupéfiant : il faut le voir pour le croire. Comparativement, la tortue-caïman est trop facile à repérer avec sa tête imposante qui dépasse de la surface. Sur ces dernières observations, nous retournons au carbet où nous attendent les chauves-souris toujours collées à leur paroi, à se demander si elles sont bien vivantes. Chacun part s’occuper dans son coin. Tao, le fils du couple s’essaie à la pêche, un simple hameçon lesté d’un bout d’emmental suffit à remonter un poisson en quelques secondes. Le premier se révèle être un cousin du piranha avec quelques dents bien agressives pour qui ne se méfierait pas. Il est temps de rassembler nos quelques affaires en prévision du retour qui intervient après la pause déjeuner. Dernier moment de convivialité alors que les échanges entre nous se sont multipliés en l’espace de quelques heures. La navigation du retour se révèle plus calme. Nous retrouvons le Morpho accosté au dégrad : il est toujours aussi microscopique.
Après cette nuit à bord, nous ne regrettons aucunement le choix du Jal ! Notre chauffeur n’étant pas encore arrivé, nous attendons tous ensembles son arrivée, quand bien même les autres disposent de leurs véhicules. Il finit par arriver peu après fier d’avoir tenu sa promesse faite aux filles la veille : ramener du planteur. C’est donc sur un verre de l’amitié et quelques photos de groupe que nous nous quittons. Au même moment, une flaque noire et grandissante apparait sous le véhicule : fuite d’huile massive. Un véhicule de remplacement est appelé (par chance, il y a du réseau à cet endroit précis sinon nous y serions encore). Malgré tout, il n’est pas prévu d’attendre son arrivée. Une fois le niveau d’huile refait, nous partons sur la piste. Etonnamment, malgré les problèmes d’huile, notre véhicule semble progresser normalement. Bizarre, bizarre. A peu près à mi-chemin, nous croisons le minibus de secours : transfert de chauffeur et nous continuons le trajet de concert. Olivier nous propose de faire une halte au village de Roura, au sortir de la piste. En surplomb du fleuve Oyak (qu’on appelle aussi Comté ou Mahury ou Orapu selon les tronçons, ça simplifie les choses …), nous stoppons devant l’église Saint-Dominique, typique de l’architecture religieuse créole, à savoir des persiennes aux fenêtres, un toit de tôle et un intérieur des plus austères. C’est sur la pelouse voisine que nous découvrons et entendons pour la première fois une picolette par le biais d’un facetime de notre chauffeur avec son frère. La Guyane présente cette particularité d’organiser des concours de chants d’oiseaux, les picolettes. Etonnant quand on y fait attention de voir tous ces gars, souvent costauds, promener à longueur de journée une cage avec leur petit oiseau chanteur à l’intérieur. Dès lors, nous allons y être bien plus attentifs jusqu’à la fin du séjour. Après cette petite pause, enfin sous le soleil, nous devons repartir vers Kourou à plus d’une heure de route. Juste avant d’embarquer, nous remarquons la présence de quelques caciques cul-jaune dans l’arbre qui nous surplombe. Ces nids n’étaient donc pas désertés.
La soirée confirme le côté « chaotique » de la journée quand Olivier découvre que le restaurant qu’il avait repéré décide de ne pas prendre les cartes bancaires ni d’émettre la moindre facture. Voilà qui sent la magouille à plein nez. Heureusement qu’il a vérifié avant. Il décide donc d’appeler un autre établissement : l’interlocuteur a des réponses étranges. Tellement étonnantes que lorsque nous arrivons sur place, on nous explique qu’il n’est pas possible de manger à cet endroit. Décidément, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas ! Enfin, il nous dégote une vraie et bonne adresse « Les grillades ». Petit détail qui échappe aux métropolitains, les piments déposés dans les assiettes ne sont là que pour la décoration. Certains l’ont vérifié à leurs dépends. Quelle tête ils ont fait après avoir croqué… Le lendemain, nous apprendrons d’une guyanaise qu’il ne faut surtout pas toucher à ceux-là !