Aventure spatiale en Amazonie (6) - Changement de programme
Mardi 18 Avril, Kourou
Il pleut de manière quasi continue depuis le cœur de la nuit et cela ne semble pas vouloir cesser. Autant dire qu’en ouvrant l’œil, la motivation pour partir en forêt comme le programme le prévoit est assez réduite. Un bip du téléphone m’apporte une réponse plutôt rassurante : après s’être renseigné, Olivier vient d’annuler cette excursion à la fois dangereuse et inutile dans ce contexte de pluies diluviennes. Du coup, notre début de journée se transforme en grasse matinée. Nous n’étions pas habitués depuis notre arrivée !
Ce n’est que vers neuf heures que notre minibus vient nous récupérer pour aller prendre notre petit-déjeuner. Et voilà que les trombes d’eau reprennent de plus belle. Une fois n’est pas coutume, nous prenons notre temps. La suite du programme consiste à aller faire quelques emplettes dans les deux seules boutiques de souvenirs de Kourou, installées quasiment côte à côte. Après cela, nous partons flâner sur le marché aux légumes. Quelques dizaines de commerçants proposent les productions locales : nous y apercevons évidemment des piments, dont du végétarien (celui qui ne pique pas), mais aussi des ramboutans (les cousins « poilus » des litchis). Après ce moment « commercial », nous partons vers la pointe des Roches. Jeudi dernier, nous n’avions fait qu’y passer rapidement pour récupérer Claudie ; aujourd’hui il s’agit de s’imprégner du lieu. L’hôtel des Roches n’a décidément pas grand caractère vu de dehors : il n’a qu’une simple utilité fonctionnelle pour héberger les invités du CNES. En revanche, la pointe porte bien son nom : elle est constituée d’un promontoire rocheux sur lequel a été plantée une tour, qu’on pourrait comparer à un petit phare, mais sans lanterne. Cette construction a été baptisée Tour Dreyfus. Elle servait de sémaphore pour communiquer avec l’île Royale via un télégraphe Chappe. Désormais, seule la partie inférieure subsiste. Elle s’élève en quatre degrés, qui doivent globalement représenter deux étages, peints en blancs et cerclés de gris. Avec le plafond très bas, malgré une accalmie du côté des précipitations, nous ne distinguons que vaguement les îles du Salut au large. L’heure tourne et il faut songer à partir manger. Aujourd’hui, ce sera un restaurant créole, tenue par une maitresse-femme qui ne rigole pas. Faut que ça file droit et selon ses règles dans son établissement !
Cet après-midi, nous prenons la route vers Cayenne pour rejoindre la commune de Macouria, à peu près à mi-chemin de Kourou, soit une bonne trentaine de kilomètres. A défaut d’aller en forêt voir la faune guyanaise, Olivier a décidé de compenser en nous emmenant au zoo de Guyane, un lieu où sont recueillis les animaux récupérés. Seules des espèces locales y sont abritées. Le premier enclos accueille quelques iguanes, dont un particulièrement vert et surtout un cabiai (qu’on appelle capybara au Brésil). Enfin, nous en voyons un : au marais de Kaw, aucun n’avait pointé ne serait-ce que le bout de ses moustaches. Quelques mètres plus loin, nous pouvons enfin voir de plus près un singe hurleur, près de qui barbotent des caïmans rouges : ceux-ci ne trainaient pas à Kaw. Devant la cage des sakis, je finis par remarquer que la femelle qui nous fait face porte son petit agrippé fermement sous le ventre. La petite frimousse craquante et curieuse finit par se montrer pour voir qui vient les déranger. Quel délicieux spectacle ! On y resterait des heures mais nous devons poursuivre, nous n’avons en théorie qu’une heure et demie pour faire le tour avant la fermeture. C’est l’allée des félins qui s’annonce. J’aperçois en premier lieu un imposant jaguar. Malgré tout, son ahanement m’inquiète quant à sa santé. J’apprendrai plus tard qu’en fait il est simplement vieux et par ces « grognements » il essaie de faire venir la très jeune femelle assez peu tentée par le « vieux crouton » ! C’est en longeant leur vaste enclos que je finis par la voir. Elle apparait dans une belle livrée noire, dans laquelle j’arrive à discerner les taches caractéristiques de cette espèce. Panthère noire mais pas que. Après s’être longuement étirée et avoir fait son show sur sa « banquette », elle finit par bondir pour se diriger vers le mâle. Juste en face d’eux, je ne peux qu’apercevoir des bouts d’ocelots ; ceux-ci semblent plongés dans une profonde sieste que rien ne pourrait perturber. Il en va tout autrement avec le couple de pumas de l’autre côté de l’allée. Tous deux ne cessent d’aller et venir sans jamais se poser. Notre présence semble les intriguer voire les déranger : il semblerait que nous soyons surveillés de près, tantôt par l’un, tantôt par l’autre. Les jaguarondis voisins, petits félins soit roux soit bruns, sont tout aussi actifs. Il faut bien cela pour compenser avec les chats Margay qui, à l’image des ocelots, sont plongés dans un profond sommeil. L’agitation de leurs voisins n’y change rien.
Après cette portion félinesque, nous nous enfonçons à travers un bout de forêt tropicale. Loin de remplacer l’expérience que nous aurions dû vivre, cela nous donne néanmoins un avant-goût, éventuellement de quoi susciter l’envie de revenir à la bonne saison pour en profiter. Toujours est-il que la végétation y est particulièrement luxuriante, dense et variée. Accessoirement, elle nous servirait presque d’abri contre les intempéries … lesquelles se font miraculeusement rares depuis que nous sommes arrivés sur les lieux. Cela tombe bien, j’aurais été bien embêté avec mon super-téléobjectif qui n’aime pas vraiment l’humidité. Je retrouve la faune par le biais d’un enclos où se dissimule un tapir : pour être exact, il s’est couché assez loin du grillage, comme quasi caché. Je continue sans m’attarder de même qu’au niveau de la mare dont l’eau couleur de terre ne permet pas de deviner la présence de la moindre tortue. En revanche, à la sortie de la passerelle en bois, je n’ai aucune difficulté à voir quelques-uns des pécaris, de lointains cousins des sangliers. Par le plus grand des hasards, un colibri passe furtivement à côté de moi tandis que je jette un oeil aux cochons sauvages. Il fallait des réflexes pour réussir à le mettre dans le cadre malgré sa vitesse de déplacement. Par comparaison, il est beaucoup plus simple de suivre les atèles bien agités aussi, sautant de branches en branches, avant de filer en courant, mimant presque le comportement des hommes lorsque le soigneur approche de leur enclos. Malgré leur hyperactivité, je leur préfère leurs petits voisins au petit visage fin et craquant : je parle des saïmiris. Comment résister à leur frimousse ? Limite, on pourrait les confondre avec des peluches.
Je n’en dirais pas autant pour les voisins : le deuxième enclos de tapirs est largement plus « peuplé » et ces spécimens-là sont moins apathiques, nous permettant de les voir de près. Rien à voir avec leur congénère isolé dans un précédent enclos. Quelle surprise devant le dernier enclos consacré aux primates ! Je n’avais jamais entendu parler du tamarin empereur. Difficile désormais de l’oublier. Tous portent de jolies bacchantes blanches, mâles et femelles. Sauf les petits ! D’ailleurs, je peux le vérifier très vite : deux petites boules de poils sont agrippées sur le dos de la femelle ! Avec un peu de patience, je finis par distinguer leur visage : ils ont déjà les prémices de moustaches blanches qui commencent à se développer.
La dernière section du zoo est consacrée aux oiseaux. Si les différentes cages ne permettent pas de bien les voir avec cette grisaille prégnante, il en va différemment dans la volière. D’autant plus qu’en ce moment, une grosse dizaine d’ibis rouges y nichent. Ils sont magnifiques dans leur livrée uniforme. Notre présence juste en dessous d’eux ne semble pas les déranger le moins du monde. Il faut juste que nous prenions garde à ne pas recevoir des fientes dessus. Un coup d’œil à la montre me rappelle que nous avons dépassé l’heure limite. Il est temps de rejoindre la boutique-accueil avant de nous remettre en route vers Kourou pour notre dernière soirée. Cette fois, il n’y a plus de doute. Au programme, apéro dans une des chambres de l’hôtel avant de finir dans un restaurant chinois : étonnante patronne qui lorsqu’elle doit expliquer ce qu’il y a dans un plat vous embrouille encore plus qu’avant la question !