Nord Tanzanie - Festival animalier (2)
Lundi 2 Octobre, lac Natron
Encore une nuit des plus fractionnées (il semblerait que je ne sois pas le seul dans ce cas) ! Sans compter que le vent n’a cessé de souffler par intermittence mais toute la nuit. Au final, le réveil se révèle une nouvelle fois inutile pour la plupart d’entre nous. Un petit-déjeuner copieux nous attend : peu de chance de mourir de faim sur ce circuit à ce rythme. Prêt parmi les premiers, je commence à faire connaissance avec mos deux guides masaïs du jour, à savoir Paulo, le plus âgé, en shuka à dominante rouge et Eliah, plus jeune, en jaune. Avec les véhicules, nous approchons du lac Natron jusqu’à une sorte de belvédère qui nous offre une première vue panoramique sur les lieux. Le vent est toujours aussi présent : il évite la sensation de chaleur (il faut néanmoins se méfier du soleil déjà bien là) mais soulève régulièrement des grains de « sable » qui viennent claquer contre nos jambes. Quand j’observe les formes prises par le sol de boue séchée, je comprends qu’il doit souvent souffler ainsi. Depuis le point de vue, nous commençons notre ballade à pied tandis que nos deux conducteurs repartent au camp avec les véhicules. La petite descente initiale est la bienvenue pour se mettre en jambes, avant que nous commencions à apercevoir une bonne dizaine de zèbres et quelques gnous, tous encore distants sur notre gauche. Quant aux flamants, ils ne représentent pour l’instant que de vastes taches roses sur l’horizon. Leur approche doit être prudente. Bien qu’il fasse bien sec, la boue est loin d’être uniformément sèche, tantôt les plaques craquent comme du verre, tantôt la surface se dérobe sous nos pas, nous transformant en patineurs malhabiles. C’est sans compter les petits ruisseaux qui irriguent cette partie du lac dont les eaux se sont retirées. Il faut bien les traverser tant bien que mal. Nos deux guides à la bienveillance indécente essaient à chaque fois de trouver le passage le plus étroit possible, autant que possible avec des pierres au milieu. Systématiquement, ils se mouillent avec leurs sandales en pneu pour nous aider à franchir ces ruisselets très vaseux. Qu’aurions nous fait sans Paulo et Eliah ? Tranquillement mais sûrement, nous rejoignons ce qui ressemble le plus à une plage. En tout cas, plus loin, ce sont les eaux chargées en sel du Natron. Plusieurs dizaines de flamants déambulent à bonne distance sans s’inquiéter de notre présence. Détail bien agréable, nous sommes les seuls sur place pour profiter de ces moments. A priori, il y aurait deux espèces, le flamant nain, plutôt rose, et le flamant « normal » plutôt blanc. Il faut étudier attentivement les photos pour les discerner. Mais néanmoins, ce sont les petits qui dominent largement. Gare à ne pas les approcher de trop près sous peine de le voir s’éloigner à grandes et vives enjambées. Après ce spectacle déjà fort agréable, Paulo nous pointe un pic rocheux à quelques centaines de mètres du bout de son bâton dont il ne se sépare jamais, comme tout masaï qui se respecte (Eliah en fait autant). C’est notre prochain objectif. Nos pas doivent rester précautionneux maintenant que nous sommes à proximité de l’eau. Qui plus est, nous sommes maintenant accompagnés par trois chiens sortis de nulle part qui ne vont plus nous lâcher, tout comme le vent d’ailleurs. Il semble même redoubler de puissance lorsque nous atteignons le sommet de cet éperon rocheux. Par moment, j’ai l’impression que des rafales pourraient nous emporter tels de simples fétus de paille. Mais quel époustouflant et superbe spectacle : de là-haut, nous bénéficions d’une vue à trois cent soixante degrés sur plusieurs centaines, voir des milliers de flamants en contrebas, sur le Lengai régnant toujours en majesté sur les lieux, les zèbres et les gnous entre nous et le village. Ce somment est étourdissant à double titre : la vue à couper le souffle et Eole à rendre fou. D’autres touristes arrivent, il est temps pour nous de faire place et redescendre sur le plancher boueux, temporairement abandonné.
Il suffit de refaire le même chemin dans l’autre sens. Plus facile à dire qu’à faire. Au moment de traverser le plus large des ruisseaux et malgré l’aide attentionnée de nos guides, alors que je pensais avoir fait le plus dur, mon pied droit se dérobe sur une plaque de boue solide seulement en surface. Impossible de rattraper le coup d’autant plus que j’essaie de préserver autant que faire ce peut mon appareil photo et son maxi téléobjectif. Ce qui devait arriver arriva. Je finis une fesse engluée, de même que les jarrets et une partie de l’appareil. Plus de peur que de mal. Il suffit d’attendre que cela sèche pour enlever cette boue collée. A partir de là, je fais encore plus attention à mes pas, au moins jusqu’à ce que nous rejoignions un sol totalement sec et solide. Cela correspond peu ou prou à la zone où paissent paisiblement une grosse dizaine de zèbres. Je suis étonné par leur peu de crainte : ils se laissent approcher relativement près sans cavaler. Au loin, en lisière de forêt d’acacias, nous distinguons un important groupe de girafes, dont certains girafons, facile à repérer même sans objectif tant ils dépassent à peine de la végétation contrairement à leurs ainés. Elles sont trop lointaines pour que nous ayons le temps de les rejoindre avant qu’elles n’aient quitté le coin de leur pas lent et élégant. Elles semblent défiler en lisière des arbres. Par chance, nous tombons sur une retardataire restée au milieu des acacias. Sa robe me semble particulièrement sombre.
Avec la forêt aux « dards effilés », nous retrouvons la civilisation. La faune sauvage laisse place au bétail, soit des vaches, soit des chèvres, parfois équipées de sonnailles de fortune issues d’éléments de récupération. Bien évidemment, il y a toujours un gardien avec, d’âge très variable. Derrière la végétation, nous abordons le village qui est resté traditionnel avec les huttes rondes, les bomas ceinturés d’un empilement de morceaux de bois hérissés de piquants, … Si la visite devient plus vivante, elle devient aussi plus hostile tant la chaleur se fait de plus en plus accablante, sensation renforcée par le sol sableux qui se déroule désormais sous nos pas. Des pauses régulières s’imposent sous l’ombre bienfaisante des plus gros acacias. Paulo ne s’y trompe pas et prend ainsi soin de nous. Plus nous avançons, plus j’ai le sentiment que nous n’allons jamais arriver. Etrange sensation ! A hauteur de l’école, nous croisons les enfants en train de quitter leurs classes tandis que le marché est totalement désert (il aurait fallu passer demain !). Après l’ombre relative des ruelles que nous venons de parcourir, la rue principale entièrement exposée aux assauts du soleil est un véritable supplice, renforcé par la présence un poil collante de quelques gamins. Enfin, nous atteignons le couvert des arbres qui ont poussé le long du ruisseau qui court devant le camp. Nous allons pouvoir nous poser. Mais avant le repos, il faut que je commence par nettoyer tout ce que je peux. Le trajet a amplement suffi pour sécher toute la boue que j’avais ramassée. Finalement, je m’en sors plutôt bien. Tout fonctionne bien et les traces ont presque disparu. Cette pause de quelques heures est plus que bienvenue et la bière toujours aussi rafraichissante. Après l’effort, le réconfort. Quant au repas aux accents italiens, il se révèle revigorant. Limite, il faudrait une petite sieste. Sauf qu’un peu avant quatorze heures, nos deux compères masaïs sont déjà de retour pour la deuxième partie des réjouissances.
Avec le véhicule de Manu et accompagnés par Eliah, nous prenons les devants sans attendre l’autre moitié du groupe. Contrairement à ce que j’imaginais, il ne nous dépose pas au niveau du gué, que nous avions déjà franchi en arrivant, mais quelques kilomètres plus loin sur les hauteurs, non sans avoir traversé un épais nuage de poussière. A peine débarqués, nous partons immédiatement dans le sable chaud et mou en compagnie d’Eliah. Manu, quant à lui s’installe à l’ombre en attendant notre retour. Heureusement que le chemin se transforme vite en une sente empierrée, voire même bétonnée par endroits, et même des marches lorsque nous rejoignons le cours de la rivière. Il faut imaginer un canyon plutôt encaissé qui se resserre au fil de notre progression. Certaines falaises formées de faisceaux d’immenses colonnes rocheuses ne laissent aucun doute sur l’origine volcanique du massif. De nombreux tuyaux noirs, parfois percés, attirent notre attention. Eliah nous explique que ce sont toutes les prises d’eau des lodges et autres camps situés en contrebas. Après une bonne moitié du parcours, le chemin « carrossable » laisse place à quelque chose de plus acrobatique mais toujours sous l’œil et le bras bienveillant de notre guide. Arrivent aussi les passages aquatiques où il faut se mettre à l’eau, soit pour traverser le lit, soit pour le remonter quand aucun passage n’est possible autrement. Si l’eau est loin d’être froide, elle est par endroits puissante avec un courant qui freine notre avancée. Il faut avoir le pied ferme sur le fond sablonneux. Une première cascade se présente mais elle n’est pas l’objet de notre venue, tout juste une petite mise en bouche. Nous devons encore remonter le cours de la rivière pour rejoindre la chute principale. L’abondance d’eau fait que la végétation au-dessus de nos têtes est particulièrement luxuriante. Les plantes rabougries adaptées à des environnements rudes sont remplacées par de grands arbres verdoyants et des palmiers, créant un contraste saisissant. Ni une, ni deux, nous nous débarrassons de ce que nous avons sur le dos pour ne garder que les maillots de bain et nous nous jetons à l’eau. Cette baignade est un pur régal après le cagnard de la montée (sans oublier celui de la fin de matinée). Je me contente de la première vasque, le passage pour aller plus loin ne me paraissant pas des plus sûrs au moment où je m’y présente. Après en avoir bien profité, il faut faire place aux groupes qui arrivent derrière nous. Surtout, les portions de falaises pour se poser sont plutôt limitées. Comme je le craignais, la descente de la partie escarpée se révèle des plus périlleuses, en partie parce que les roches qui servent de prises sont désormais humides donc glissantes, suite aux divers passages. Cahin-caha, nous parvenons entiers au chemin à proprement parler. Je me tiens en arrière pour faire quelques clichés ; du coup, je me retrouve avec Eliah qui veille sur moi, pensant que je suis fatigué. Tout le bénéfice du bain se perd à mesure que nous redescendons, le summum étant la dernière montée dans le sable bouillant et « rayonnant ». Tout ceci explique pourquoi nous ne tardons pas à squatter la piscine à peine arrivés au camp, non sans avoir chaleureusement remercié nos deux anges gardiens pour autant de bienveillance à notre égard. Tant qu’à se faire plaisir, nous nous faisons servir nos rafraichissements directement au bord du bassin. C’est ce que je baptise rapidement la double hydratation, interne et externe. Une heure plus tard, la serveuse nous apporte même un saladier de pop-corn. Cette piscine est devenue l’espace d’une fin d’après-midi le salon où on cause. La suite se déroule au ralenti jusqu’au dîner toujours aussi roboratif. Avant de me coucher, j’essaie de profiter quelques minutes de la Voie Lactée qui, en l’absence de nuages, apparait très bien au-dessus de la clairière où sont montées nos tentes. Cela reste pour moi un instant toujours aussi magique dont je ne me lasse pas.