Chaleureux Paraguay (10)
Mercredi 15 Mai, Hernanderias
Tout avait bien commencé ce matin. Nous avions quitté l’hôtel à l’heure pile. Cinq cent mètres plus loin, Aldo est contraint de stopper à hauteur du poste de garde principal, freiné dans son élan par un câble. Sur le coup, je ne comprends pas du tout ce qui se passe. Il me faut quelques minutes avant de saisir toute la situation. Elle devient d’autant plus claire lorsque nous descendons du véhicule et que nous voyons les dégâts. Avec les installations électriques anarchiques de cette ville, un fil devait être moins tendu que les autres et s’est coincé dans le bloc de climatisation sur le toit de notre bus. Un peu plus et nous arrachions l’enseigne du restaurant quelques mètres derrière nous. Hasard ou coïncidence, tout cela se déroule là où nous étions hier en fin d’après-midi. Nous voici désormais condamnés à attendre l’arrivée des électriciens qui règlent le souci simplement en tirant sèchement sur le câble. Dans l’histoire, nous avons perdu une trentaine de minutes. Au moment de repartir, Aldo semble rouler plus vite pour essayer de rattraper quelques minutes. Difficile de dire s’il y réussit ou non. La proximité de la frontière se remarque avec l’augmentation du trafic routier et la multiplication des changeurs d’argent à la sauvette au milieu de l’avenue. Parvenus au poste paraguayen, nous commençons par dépasser les guérites pour stationner avant de revenir sur nos pas jusqu’au guichet de l’immigration pour faire tamponner notre passeport. Les formalités sont rapides à l’inverse de la circulation pour franchir le pont international au-dessus du Parana. Elle est bien dense mais cela pourrait être bien pire un jour normal, c'est-à-dire pas férié. Tant bien que mal, nous rejoignons la berge brésilienne et son poste de contrôle où le même manège dénué de logique se reproduit : il suffit de suivre Aldo qui semble évoluer comme un poisson dans l’eau dans ce vaste et illogique complexe frontalier.
Munis de notre deuxième tampon, nous sommes en règle, prêts à poursuivre dans Foz de Iguaçu. Contrairement à ce que j’imaginais, il faut rouler un bon moment avant de d’atteindre l’entrée du parc national des chutes d’Iguazu, sur la rive brésilienne. Je me languis d’attendre tandis que cela palabre, bien trop longuement à mon goût, sur l’opportunité de réserver telle ou telle activité, avant même d’entrer. Quelle bizarre organisation ! Enfin, nous montons à bord d’une navette qui met bien une vingtaine de minutes pour parcourir le trajet jusqu’à l’extrémité de la route, au niveau de l’aire de restauration, juste en amont des premières cataractes. Pour l’instant, nous n’en avons qu’une très partielle vue comme si on levait le coin d’un voile sur l’envers du décor. Ici, on sent que l’organisation est rôdée à l’accueil des foules. Autant dire qu’en cette journée d’affluence très modérée, cela se déroule sans retard, pas besoin d’attendre bien longtemps pour se servir au buffet, ou pour régler son addition avant de sortir. Le trio des « bateaux » nous quitte en premier de même qu’Henri qui part de son côté dans la foulée. Nous restons quatre à nous mettre en route tranquillement vers le sentier des chutes qui débute par un ascenseur un tantinet exigu. Jusque là je suis un poil surpris par l’absence relative de bruit alors que nous sommes à quelques dizaines de mètres des premiers remous. Il est vrai que j’aï tendance à comparer avec les chutes Victoria. Mais peut être que c’est le calme avant la tempête.
Dès l’ouverture des portes, le fracas se fait entendre. Il faut dire que cette première terrasse est implantée à proximité d’une intense cascade, baptisée Salto Floriano. Le débit est particulièrement impressionnant. Evidemment, plus on se rapproche du parapet, plus on reçoit des embruns. Un escalier de plus et nous nous retrouvons à la plateforme la plus basse qui soit dans cette zone. L’ambiance est déjà bien bien humide … De ce niveau, nous commençons déjà à être plus « écrasés » par les flots. C’est du moins l’impression que j’ai.
Commence alors réellement le sentier (ou plutôt devrais je écrire le chemin bétonné). Quelques centaines de mètres plus loin débute une longue passerelle métallique jetée au dessus des flots déchainés et chargés d’alluvions. Elle dessert successivement deux plateformes, la première vers l’aval qui permet de surplomber le salto Santa Maria, collectant les eaux vues plus haut avant de les déverser dans le lit du fleuve, et la seconde qui s’avance vers la gorge du Diable, réceptacle plus que bouillonnant des saltos Union, Mitre et Belgrano. Celle-ci se devine plus qu’elle ne se discerne tant les embruns sont denses et démesurés : en somme, un épais brouillard. Ici, la cape de pluie est indispensable et gare aux appareils photos qui n’apprécient que moyennement tant d’humidité. Malgré tous nos efforts et nos précautions, nous finissons tous avec les pantalons allègrement trempés. Cela séchera bien un jour … ou pas. A posteriori, je constate que c’est sur le tronçon entre les deux plateformes que j’ai été le plus « douché ». En reprenant la progression sur le chemin principal, moins humide et légèrement moins embrumé, je découvre de multiples chutes moins importantes sur la falaise juste en face, dont les saltos Rivadavia et Tres Mosqueteros, le premier se déversant dans le second.
En fait c’est comme s’il arrivait de l’eau de tous les côtés de la large faille que nous sommes en train de longer. Un coup d’œil sur un plan confirme cette impression : au-delà de la gorge du Diable, le cours de l’Iguazu s’étale largement à l’est, côté argentin avant de venir se déverser sur toute la longueur. En conséquence de toute cette humidité, la végétation est luxuriante, grasse et épaisse. Difficile d’y apercevoir la moindre faune. Malgré les panneaux d’interdiction de les nourrir, je ne vois pas le moindre museau de coati. Le chemin monte et descend au gré de l’escarpement de la rive brésilienne, tantôt quelques marches, tantôt des plans inclinés. Au fur et à mesure de la progression, je sens que mon pantalon commence à s’assécher. Il faut dire qu’en cheminant ainsi vers l’aval, nous prenons quelques distances avec les embruns. Je découvre aussi la particularité peut être unique des chutes d’Iguazu. Elles sont effectivement plurielles. A chaque pas, j’aperçois de nouvelles cataractes sur l’autre rive. Une large chute se déploie sur deux niveaux à proximité de l’hôtel Sheraton, côté argentin, dont la situation et l’architecture auraient mérité plus ample réflexion pour éviter de gâcher autant ce cadre naturel aussi exceptionnel. Hormis ce détail incontournable, j’en prends plein les yeux à chaque mirador, à chaque trouée dans la végétation. C’est un spectacle sans cesse renouvelé. Les chutes sont tellement imposantes et étendues que je peine à imaginer la quantité d’eau déversée à chaque instant. Etourdissant !
Arrivés à la dernière terrasse du sentier, juste en contrebas de l’hôtel « Los Cataratas », lui aussi immanquable avec sa parure rose pâle mais, au moins, présentant une architecture plus authentique, je me retrouve seul avec Nathalia tandis que nos deux compagnons poursuivent vers leur activité en empruntant la navette. En ce qui nous concerne, nous restons un bon moment sur place à profiter du panorama sur le plus beau secteur argentin, ainsi que sur les bateaux qui remontent le cours d’eau pour donner des sensations fortes à leurs passagers en approchant des chutes au plus près. A un moment donné, les circonvolutions de ce qui pourrait ressembler à une dizaine de rapaces au-dessus des flots me laissent imaginer qu’une embarcation se serait renversée. Esprit tordu ? Un peu, je reconnais. Et puis voilà que des mouvements dans le feuillage de l’arbre au-dessus de nos têtes attirent mon attention. Avec la grisaille, la luminosité est telle que je ne distingue dans un premier temps que quelques vagues formes. Mais, intrigué, j’essaie d’ajuster le regard et de trouver le bon angle pour percer ce mystère. Euréka ! Un petit toucan, l’araçari à oreillons roux, semble se délecter des nombreux fruits et notre présence ne semble pas le déranger le moins du monde. Bien au contraire, ils finissent par être six à picorer allègrement, tout cela pour notre plus grand plaisir.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Qui plus est, Nathalia voudrait voir des coatis. Nous rebroussons chemin par le même sentier. Nous avons beau regarder de tous côtés, impossible d’en apercevoir ne serait ce qu’un. A défaut, je refais quelques clichés, persuadé que je tombe sur de nouveaux angles de vue (encore que cela reste à prouver ; je vérifierai en rentrant en France). Périodiquement, nous sommes arrosés par une fine pluie qui ne dure pas. Cape ou pas cape ? « That is the question ». Bon gré mal gré, nous rejoignons le pied de la première série de chutes toujours aussi tumultueuses. Lorsque Nathalia me demande s’il y a une alternative à l’ascenseur, je lui réponds immédiatement que j’ai aperçu un escalier qui sera parfait pour rejoindre le sommet. Nous repassons devant la statue de Santos Dumont dont j’apprends qu’en plus d’avoir été un pionnier de l’aviation, il œuvra à la préservation du parc des chutes d’Iguazu.
Plus que quelques pas nous séparent de la navette du retour. Au passage, je remarque l’espace de restauration quasi désert, tout comme la poignée de boutiques qui s’y trouvent. La première nous file sous le nez : elle finit de se remplir juste devant nous. Du coup, nous sommes les premiers à monter dans la suivante. C’est l’embarras du choix pour choisir sa place ! Cette liaison routière est aussi longue qu’à l’aller. A la station desservant le ponton des bateaux, nous récupérons les cinq qui avaient opté pour des activités dans ce secteur. C’est ce qu’on appelle de la synchronisation. De retour au centre des visiteurs à l’entrée du parc, nous retrouvons notre dernier acolyte. Par miracle, sur lequel je n’aurais pas misé, nous sommes tous regroupés avant l’heure. Qui l’aurait cru ? Ni une ni deux, nous rejoignons Aldo qui est déjà là devant le bâtiment avec son bus moteur tournant.
Avant que le jour ne décline de trop (pour la luminosité, c’est raté depuis le milieu de matinée), nous rejoignons le « Hito Tres Fronteras » , en français la marque des trois frontières. En effet, près de la ville de Foz de Iguaçu ;, trois pays se font face, séparés respectivement par le Rio Iguaçu et le Rio Parana. Au-delà d’une borne matérialisée par un obélisque « auriverde » planté au milieu d’une fontaine, le lieu est surtout un pôle d’attraction touristique mixant commerces, restauration et même un spectacle musical illustrant l’histoire de la région. Mais avant tout, je rejoins directement le parapet avant que la nuit ne vienne mettre un terme à mes velléités de photographies. A peu près en face se dresse un autre obélisque, celui-ci « albiceleste », du côté argentin avec le même type d’animation et sur la droite, un troisième, tricolore (du rouge, du blanc, et du bleu) sur le territoire paraguayen, mais sans la moindre effervescence. En contrebas, je découvre nettement le mélange des eaux, l’Iguazu plutôt boueux venant troubler le Parana plutôt bleuté. Après avoir profité des dernières lueurs de la journée, nous décidons de nous offrir un petit apéro pour fêter cette journée et suivre à distance le début du spectacle.
Il n’est pas question de nous attarder vu qu’il faut repasser la frontière. A près de dix neuf heures, ce n’est pas la grande foule mais la même absence de clarté pour dénicher le guichet adéquat. Vive Aldo ! Retour au Paraguay et à l’hôtel … où nous ne soupçonnions pas une si longue soirée. Bien nous a pris de rejoindre la salle de restaurant dès notre arrivée. Le service est particulièrement lent, sans compter deux viandes renvoyées car beaucoup trop cuites et la commande des desserts et cafés non communiquées d’un serveur à l’autre. Trois heures après nous être attablés, nous remontons enfin dans nos chambres.