Chaleureux Paraguay (5)

Publié le par Jérôme Voyageur

Jeudi 9 Mai, La Colmena

 

Réveil matinal à l’hacienda L&M. Enfin, selon le coq et les oiseaux chanteurs, cela semble être réveil à toute heure de la nuit. Etonnant ! Ces volatiles semblent ne jamais dormir. Je devance un peu l’appel du petit-déjeuner pour observer la nature s’éveiller autour des étangs. Je retrouve peu ou prou les mêmes espèces qu’hier soir quoi que dans un silence relatif. Comptons sur les paons pour pousser leurs cris stridents et briser cette ambiance paisible, à moitié endormie. Pendant ce temps, Mario et son équipe finissent de nous préparer un petit-déjeuner des plus copieux, mêlant chaud et froid, sucré et salé, essentiellement des denrées produites sur l’hacienda. Les fruits sont un réel délice. Slurp.

Une fois le ventre plein, nous partons avec le bus pour environ une heure de trajet. Comme souvent dans ce pays, sans carte sous les yeux, il est difficile de se faire une idée des distances parcourues, encore plus ce matin où la route laisse très vite place à une piste, bien lavée par les récentes précipitations. La météo n’est pas des meilleures avec un ciel bien chargé mais a priori sans risque d’ondée. A peu près à mi-parcours, alors que la largeur du passage s’amenuise, nous commençons à croiser de gros camions chargés jusqu’à la gueule de tronçons de canne à sucre fraichement récoltée, à destination de la sucrerie nationale. Plus nous avançons, plus ils se font nombreux, stationnés les uns derrière les autres à proximité des champs en cours de récolte. Il faut dire que notre objectif se situe au cœur d’une immense exploitation sucrière. J’aperçois même ce qui ressemble à une moissonneuse spécialisée. Enfin, nous atteignons l’aire de stationnement du Salto cristal. Evidemment, nous y sommes les seuls visiteurs comme à peu près partout jusque là. Le « gardien » des lieux va nous servir de guide jusqu’à la cascade. L’approche commence par une longue série de marches carrément irrégulières sur un dénivelé d’une centaine de mètres : impossible de prendre un rythme et de s’y tenir, il faut s’adapter à chaque variation de hauteur. Pour une mise en bouche matinale, cela commence fort. Une fois à proximité de l’eau, le chemin progresse en pente douce sur les rochers parfois humides, parfois recouverts d’un fin film d’eau. Là où les passages auraient été trop acrobatiques, de courts escaliers en bois ont été installés pour faciliter la progression. Un bruit d’eau plus sourd me laisse penser que nous approchons du but. Erreur, ce n’est qu’une cascade secondaire qui nous fait face sur la rive opposée, néanmoins haute de dix à vingt mètres. Là n’est pas notre objectif alors, après quelques photos, nous continuons à remonter le cours « sautant » de rocher en rocher avec la plus grande précaution possible. Il serait béta de se blesser si tôt dans le séjour. Nouveau bruit significatif : cette fois, il est synonyme de l’arrivée. Le Salto Cristal se révèle enfin à nos yeux, déployant ses flots en une cataracte d’une quarantaine de mètres de haut, serti d’un écrin de végétation luxuriante et une piscine naturelle en guise de réceptacle, mais d’eau bien fraiche, ce qui ne freinera néanmoins pas l’une d’entre nous. Une fois sur place, le plus compliqué s’avère de repérer et d’atteindre un bon endroit pour faire le meilleur cliché, tout cela sur un chaos rocheux avec des branches qui barrent ici et là la prise de vue. Tant bien que mal, nous parvenons à nos fins. Mais lorsqu’il s’agit de changer de berge pour immortaliser l’endroit sous un autre angle, notre escorte locale est incontournable, ne serait-ce que pour franchir les passages les plus larges au milieu du cours, sans compter la pression non négligeable du courant sur les jambes. Dans cette situation, le choix des sandales et du bermuda se confirme comme étant la meilleure option : aucune appréhension de se mouiller. Nous sommes ainsi trois « courageux » rejoindre la rive droite, tandis qu’Irène barbote sous la stricte surveillance de notre guide. Lorsqu’il s’agit de rebrousser chemin, celui-ci n’est plus là pour nous apporter son soutien, occupé qu’il est avec une autre coéquipière. Christine et moi devons nous débrouiller tous seuls en nous aidant mutuellement pour franchir le passage le plus périlleux sans déraper ni tomber. Heureusement, Patrice nous apporte son aide en nous tendant une pagaie sortie de je ne sais où. Le hasard des trouvailles improbables fait bien les choses. Pour le chemin du retour, je laisse l’intégralité du groupe partir devant afin de pouvoir réaliser des clichés sans personne dans le champ. Ce n’est qu’au pied des escaliers que je les rattrape et les dépasse. Vu le dénivelé, chacun remonte à son rythme. Et la longue pause que nous nous octroyons au sommet est des plus régénératrices. Au cours des premières minutes, je fais connaissance avec un chat visiblement en mal de câlins. Il ne s’éloigne jamais beaucoup et ne dédaigne pas les caresses. Une fois rassemblés, nous profitons de ce moment de convivialité pour boire un cocido.

Salto CristalSalto CristalSalto Cristal
Salto CristalSalto CristalSalto Cristal
Salto CristalSalto CristalSalto Cristal

Salto Cristal

"faune féline" sur les hauteurs du salto Cristal"faune féline" sur les hauteurs du salto Cristal"faune féline" sur les hauteurs du salto Cristal

"faune féline" sur les hauteurs du salto Cristal

Il est alors temps de retourner à l’hacienda où Rico nous a préparé un plat typiquement paraguayen, une soupe liquide à base de poulet de la basse-cour et de boulettes de mais, et une soupe de mais sèche (cela pourrait ressembler à une sorte de polenta). Pour ma part, je décide de tremper la seconde dans la première, façon croûtons et elles se marient très bien. En revanche, le dessert fromage-miel de canne à sucre est lui beaucoup moins heureux. Je ne m’y ferai pas reprendre une autre fois.

Après un café, je saisis mon super-téléobjectif, son monopode et je pars m’isoler à divers endroits de la propriété, essentiellement autour des deux étangs. Ainsi, je parviens à mettre en boite les diverses espèces qui ont élu domicile ici : la petite dizaine de nandous, les jacanas des deux sexes par dizaines, tout comme les gallinules poule-d’eau et quelques couples de vanneaux. En revanche, malgré les indications du toujours attentionné Mario, il m’est impossible d’apercevoir les fourniers roux ; je dois me contenter de leurs nids, sortes de fours d’argile rouge posés sur les branches les plus grosses et les moins inclinées. Sans indication, on pourrait penser que quelqu’un a déposé là des pots en terre.

Vers quinze heures, nous nous regroupons sous la grande terrasse centrale pour suivre nos hôtes, en l’occurrence l’incontournable Mario, et Rico qui vient de troquer sa casquette de cuisinier pour celle d’agriculteur, au cœur de leur jardin. Aucune comparaison avec ce que nous pourrions imaginer en France. Sur cette parcelle, tout pousse de manière désordonnée y compris les herbes sauvages mais on y trouve tout ce qui a déjà fini sur notre table, à savoir des pieds d’ananas, du manioc (dont Patrice et Philippe contribuent à l’arrache de deux rhizomes), papayers, arbres à fruits de la passion, mandariniers et j’en oublie.

Après cet interlude agricole, un peu court finalement, notre hôte propose aux volontaires de monter à bord de son véhicule tout-terrain pour contourner les étangs et espérer voir d’autres oiseaux de l’autre côté. Peine perdue. Malgré deux tentatives au bord de deux plans d’eau différents, nous n’en apercevons guère plus ; si ce n’est un ibis lointain, bien décidé à dormir, dissimulant ainsi son bec dans les plumes sombres de son dos et un massif canard sauvage que nous ne parvenons pas à identifier. Inutile d’insister bien longtemps alors que le jour décline nettement. Sur le chemin du retour, nous demandons à Mario s’il peut faire un détour de quelques … centaines de mètres jusqu’à l’épicerie voisine (que nous ne soupçonnions pas si proche que cela) pour réapprovisionner notre stock pour l’apéritif. De retour à l’hacienda, je profite jusqu’à la limite de la luminosité acceptable pour faire encore et encore des photos de la faune ornithologique. C’est donc attiré par le piaillement des vanneaux que je me dirige vers la bande de terre entre les deux étangs. Il semblerait que ce soit le territoire d’un couple de « tero tero ». Etant particulièrement possessifs, toute intrusion entraine réaction de leur part, à minima de multiples cris stridents. Mais si cela ne suffit pas, ils montent le curseur jusqu’à l’action physique, quel que soit l’envahisseur. Les nandous qui passent leurs nuits non loin de là déambulent presque immanquablement devant les vanneaux. Et ceux-ci me surprennent en se lançant carrément à l’assaut, réalisant tour à tour des piqués jusque dans le plumage du gros volatile pour lui faire mal et le faire déguerpir. Force est de constater que cela fonctionne après seulement quelques attaques. Suite à cet épisode, je me pose longuement dans les canapés installés sur la grande terrasse à discuter de tout et de rien avec Nathalia et d’autres.

Après une bonne douche, nous changeons de lieu pour prendre le dit apéro. Nous délaissons la véranda pour un coin à l’écart spécialement aménagé pour faire un feu de l’autre côté du premier étang. Les frontales se révèlent utiles pour la première fois du séjour, surtout si on veut éviter de finir dans l’eau ou embourbé. Tandis que nous nous y rendons à pied, l’incontournable maître des lieux nous apporte le nécessaire avec son véhicule : bouteilles, verres, jus de fruit et de quoi picorer, dont un plateau de fromages faits par un collègue à lui. Le feu a été allumé avant notre arrivée de même que la guirlande lumineuse qui orne le simili-kiosque sans toit. Une enceinte audio permet de créer un fond musical et l’ambiance monte crescendo entre discussions sérieuses et franches rigolades (entre autres au moment de la valse fromagère). Comme des gamins, nous prenons notre petit plaisir sur les balancelles, tantôt avec Nathalia, tantôt avec Ann-Kristina. Le jeu consiste aussi à tenter d’esquiver la fumée : c’est peine perdue tant le vent, quoi que léger, semble capricieux et tournoyant. Ce moment de convivialité s’étend en longueur en attendant que le repas soit cuit.et dire que nous avons tenté de négocier l’heure du dîner « à la baisse ». Bonne blague ! Peu après vingt heures, nous retournons à la terrasse (avec nos lucioles sur le front) où Rico nous propose quelques « échantillons » du repas en guise d’amuses-bouche. Enfin arrive le service de l’asado. Un pur délice qui méritait amplement cette attente. Le bœuf est tendre à souhait, les saucisses goûteuses à s’en lécher les babines. Un repas qui se déguste et qui s’étire en longueur jusqu’à refaire le monde à petit comité.

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Dans l'hacienda L&M

Parc national d'Ybycui, entrée de la Rosada

Vendredi 10 Mai, La Colmena


La basse-cour a été tout aussi cancaneuse que la nuit précédente. Ce matin, nous quittons définitivement ce cadre champêtre et particulièrement convivial pour de nouvelles expériences. Après un petit-déjeuner encore copieux et varié, nous prenons la piste qui doit nous conduire jusqu’au parc national d’Ybycui, à une quarantaine de kilomètres au sud, toujours dans le département de Paraguari. Sur place nous retrouvons, comme prévu, Alfredo qui est toujours aussi jovial. Dans ces pas, nous commençons la visite de la Rosada, une ancienne forge qui fut une des plus importantes d’Amérique du Sud avant d’être dévastée lors de la guerre de la Triple Alliance. De fait, cette période tragique en a fait désormais un lieu de mémoire des massacres perpétrés en plus du patrimoine historico-industriel. Quelques bâtiments ont été reconstruits dont celui des cellules des prisonniers autrefois employés à la forge. Ce dernier fait désormais office de petit musée où ont été rassemblés une série d’objets ou morceaux de machines qui ont pu être conservés ainsi qu’une reproduction d’un canon chrétien, ainsi baptisé du fait de l’origine de son métal, des cloches du pays, lorsque la matière première est venue à manquer pendant le conflit. Plus que l’intérieur, je préfère me poser sous les avant-toits où des dizaines et des dizaines de papillons de toutes tailles, de tous motifs et de toutes couleurs volètent et viennent se poser sans crainte de ma présence. Jamais je n’avais réussi à en observer autant en liberté et de si près. On pourrait presque parler de paradis des lépidoptères dans tout ce secteur du parc. La garde du parc nous explique que la qualité et l’humidité du sol expliquent grandement ce phénomène dont je me délecte. Nous poursuivons notre visite en direction du barrage qui permettait de canaliser l’eau de la rivière et de la détourner vers la forge. Là encore apparaissent de véritables assemblées de papillons regroupés par espèces. Les orangés, des temenis laothoe, semblent former de véritables grappes grouillantes, palpitantes. Etonnante mais passionnante expérience que je prolongerais volontiers ! Mais il est déjà temps de revenir sur nos pas pour rejoindre la forge en partie restaurée, en partie conservée en ruine. Nous pouvons y distinguer la grande roue à aubes ainsi que la rampe qui permettait d’acheminer le minerai dans la partie supérieure de l’atelier. Pour le reste, c’est bien plus difficile d’imaginer quelles opérations pouvaient être réalisées.

Fonderie La RosadaFonderie La RosadaFonderie La Rosada
Fonderie La RosadaFonderie La RosadaFonderie La Rosada
Fonderie La RosadaFonderie La RosadaFonderie La Rosada

Fonderie La Rosada

Profusion de papillons à La RosadaProfusion de papillons à La RosadaProfusion de papillons à La Rosada
Profusion de papillons à La RosadaProfusion de papillons à La RosadaProfusion de papillons à La Rosada
Profusion de papillons à La RosadaProfusion de papillons à La RosadaProfusion de papillons à La Rosada

Profusion de papillons à La Rosada

Sur le chemin vers le salto Guarani

A la suite de cette immersion industrialo-historique, nous remontons dans le bus pour rejoindre un autre secteur du parc national, quelques kilomètres au nord, plus sauvage, moyennant une piste des plus cahoteuses. Parvenus à son extrémité, après moult palabres et répétitions, nous nous séparons en deux groupes, Alfredo guidant ceux qui souhaitent marcher jusqu’au salto Guarani distant d’un gros kilomètre (plus ou moins un kilomètre), Nathalia restant avec ceux qui préfèrent rejoindre le salto Minas tout proche. Partis à sept du bus, nous ne sommes plus que quatre après le premier gué, certes le plus large, seulement trois cent mètres après le départ ! Seul le gang des sandales est passé. Toute la suite du sentier se déroule en sous-bois, sans réelle difficulté ni dénivelé ; il faut juste prendre garde aux multiples passages boueux, aux branches basses, aux branches hautes et aux divers autres gués. Petit à petit, les papillons se font plus rares. Alfredo nous donne des tas d’explications sur ce qui nous entoure : fruits, plantes, arbres, empreintes d’animaux, … Marchant d’un bon pas, quoi que l’esprit curieux, nous atteignons la cascade au bout d’une grosse vingtaine de minutes. Elle est certes moins impressionnante que celle d’hier, mais son environnement plus végétalisé forme comme un cocon protecteur, un havre de quiétude. Son bassin peu profond et sablonneux incite à mettre les pieds dans l’eau , tout juste fraiche. En si petit comité, j’ai l’impression de vivre un moment privilégié. Nous le faisons durer mais toutes les bonnes choses ont une fin. Il nous faut rebrousser chemin tranquillement pour préserver nos chevilles. Néanmoins, cela n’évitera pas le baptême d’une nouvelle « chute », le « salto Iréné » ! Plus de peur que de mal, bien heureusement. Un dernier bain de pied est incontournable pour traverser le gué le plus large avant de retrouver le reste du groupe. Cette balade nous aurait presque donné faim : le pique-nique disparait quasiment à vue d’œil. Ainsi repus après un repas encore une fois bien copieux, nous reprenons la piste vers la Rosada où nous abandonnons Alfredo à l’entrée du site, non sans prendre rendez-vous avec lui à Asuncion dans une semaine.

Désormais, il nous reste une longue route à faire pour rejoindre notre prochaine étape, d’autant plus qu’Aldo nous gratifie d’un large détour dans la direction opposée. Ainsi, les deux heures de route se transforment en trois, nous laissant « apprécier » la tombée de la nuit pendant le trajet. Au moment de la pause « physiologique » à hauteur de Villa Florida, nous pouvons constater l’ampleur des pluies récentes. Depuis quelques kilomètres nous apercevions ici et là de larges zones humides, mais devant cette station service, la rivière Tebicuary s’est allègrement épanchée hors de son lit (et dire qu’en été, il n’y coule qu’un filet d’eau aux dires de nos guides ; cela parait tellement improbable tant le cours sous nos yeux est extrêmement étendu). Que d’eau, que d’eau, comme l’exprima Mac Mahon dans ma belle ville il y a fort longtemps. Sur ce lieu de restauration destiné aux automobilistes de passage je découvre, un peu surpris (quoique je n’aurais pas dû) que le Paraguay dispose de distributeurs d’eau chaude gratuites et accessibles à tous. C’est qu’il ne faudrait pas manquer de liquide prêt à l’emploi pour le maté. Toutes et tous, ou presque, sacrifient à ce rituel. Il ne se passe pas une heure sans voir, qui avec un thermos, qui une guampa et sa bombilla.

Bon gré mal gré, nous rejoignons la petite ville de Santa Maria de Fe, dans le département de Missiones où nous sommes entrés depuis la halte. Nous allons passer deux nuits dans cette auberge à l’architecture de l’époque jésuite, installée en bordure de la place centrale. Après avoir jeté nos sacs dans les chambres, nous investissons la terrasse, d’abord pour un apéritif sous le manguier avant de dîner autour de la table voisine. J’ai le sentiment que ces longues heures de route nous ont quelque peu occis. Le sommeil devrait venir vite ce soir.

salto Guarani
salto Guaranisalto Guaranisalto Guarani
salto Guaranisalto Guarani

salto Guarani

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