Chaleureux Paraguay (7)
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Dimanche 12 Mai, Santa Maria de Fe
Ce matin, nous quittons le département de Missiones pour celui d’Itapua, ce qui signifie plus de trois cent kilomètres de route vers le sud-est. En guise de pause, nous faisons d’abord halte à San Patricio, dédicace à notre patriarche, puis à Coronel Bogado, proclamée capitale de la chipa. Il était incontournable d’en goûter au moins une, accompagnée d’une tasse de cocido. Une fois n’est pas coutume, le choix le permettant, j’en goûte une à la viande.
A quelques dizaines de kilomètres d’Encarnacion, de vastes étendues d’eau témoignent encore des grosses pluies survenues peu avant notre arrivée au Paraguay. Par endroits, je pourrais presque croire que nous traversons une zone marécageuse. Plus loin, la large étendue aquatique aux teintes limoneuses est cette fois constituée d’eau vive. Nous venons de rejoindre le fleuve Parana, particulièrement large ici, en amont du barrage Yacyreta. En arrière-plan, la ville argentine de Posadas propose un panorama de « skyline », digne des grandes villes occidentales. Grâce à la Costanera, cette longue et large artère, à la fois routière et piétonnière, qui longe les flots, véritable « front de mer » d’eau douce, nous rejoignons le marché dominical de La Placita, en plein centre-ville. Nathalia en profite pour nous montrer son futur pied à terre paraguayen. En ce dimanche matin, seuls les étals de bouche sont ouverts, à quelques exceptions près. Cela tombe bien, c’est clairement ce que je préfère lorsque je visite ce genre d’endroits à l’étranger. Je n’y vois pas vraiment de fruits ou de légumes inconnus ou originaux. En revanche, les commerces d’épices et de plantes séchées nous offrent un mélange assez varié de couleurs, de senteurs et de formes. Il n’y a que l’embarras du choix pour concocter son infusion personnelle. Je profite de l’occasion pour goûter de la Stevia : je comprends immédiatement pourquoi ce végétal offre une alternative aussi puissante au sucre : la sensation est forte comparée à la taille minime de la feuille. Nous quittons ensuite ce lieu pour un quartier commerçant près du pont enjambant le Parana pour rejoindre l’Argentine. Celui-ci est totalement désert, ce qui pourrait nous intriguer. Pourquoi faire un détour pour venir dans une rue où la totalité des boutiques est fermée ?
Parce que Nathalia a encore « frappé » : un commerce est exceptionnellement accessible juste pour nous. Il faut dire que tous ces objets artisanaux venus des quatre coins du pays méritent le détour. Je reconnais immédiatement le style de Nestor Portillo, le sculpteur rencontré à Tobati, lorsque mon regard se pose sur quelques masques exposés à la vente. Au final, plus de la moitié du groupe fait des emplettes pendant la bonne heure que nous restons là. Et pour ne rien gâcher, la discussion, en anglais, avec le propriétaire libanais est des plus intéressantes, que ce soit sur les objets eux-mêmes ou sur la vie actuelle du pays. En plus d’être commerçant et dénicheur de pépites artisanales, le personnage est aussi très doué en photographie : les clichés exposés façon cartes postales me stupéfient tant ils sont réussis, surtout les oiseaux … Je l’envie … A force de trainer, l’heure du déjeuner a sonné. Une table dans la Carniceria avec un grand C nous a été réservée. Ici les accompagnements sont proposés en buffet, tandis que les viandes déambulent entre les tables. C’est une véritable valse de planches à découper autour de nous : ici des brochettes géantes, là d’imposants morceaux de viande n’attendant que la lame du couteau affuté pour s’alléger. Il faut prendre garde à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre dés le début sous peine de ne pas pouvoir goûter beaucoup de pièces différentes. Certaines viandes s’avèrent particulièrement délicieuses et fondantes. On voudrait tout goûter ou presque mais l’estomac n’est pas d’accord. Et puis, il faut savoir rester raisonnable, enfin peut être pas pour les desserts chocolatés ! On ne se refait pas.
Afin de digérer un tantinet ce surplus de bonne chair, Aldo nous dépose à hauteur de la Playa San José sur la Costanera que nous allons partiellement parcourir à pied. Les eaux du Parana sont particulièrement chargées en alluvions, pas de quoi inciter les plus courageux, qui n’auraient pas été freinés par la météo. Pas âme qui vive dans le fleuve. Les éléments ne sont pas au rendez-vous depuis que nous sommes sortis de table. Sacré contraste entre la plage de sable sur notre gauche, les nuages sombres et épais juste au-dessus de nos têtes, le vent qui souffle et les averses qui menacent et éclatent régulièrement. Qu’importe ! Le DJ installé sur une placette près du sable produit du son dans le vide : personne n’est là pour l’écouter. Au moment où les gouttes commencent à tomber de manière plus rapprochée, nous faisons une halte au petit musée du chemin de fer, témoignage d’un passé de plus en plus lointain, d’un temps où le train desservait Encarnacion. Désormais, il ne reste qu’une locomotive sur la pelouse et cette ancienne gare. L’ondée passée, nous reprenons notre marche en avant tout en gardant capes de pluie ou parapluies à portée de main. Nous longeons ensuite un semblant de stade tout en longueur qui se révèle être le sambodrome local. Quelques centaines de mètres plus loin, nous nous posons au chaud dans le café Martinez pour déguster un bon expresso.
C’est là que le bus vient nous récupérer pour la suite. Nathalia nous a proposé un extra que nous avons rapidement validé : nous rendre à la réduction de Jesus de Tavarangüe, une des deux classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Les cieux semblent s’acharner contre nous en déversant sur nos têtes des pluies régulières, rendant obligatoire l’utilisation d’une protection sur le dos ou sur la tête. Qui plus est, avec le plafond nuageux et l’heure qui tourne, nous entamons notre visite dans une luminosité déjà limite. Malgré tout, pendant quelques dizaines de minutes, je parviens encore à faire des photos acceptables. Imperturbable, même détrempée, notre guide locale nous conte l’histoire particulière de ces lieux. En effet, Jesus est une mission qui n’a jamais été terminée ni même occupée, ni par les jésuites, ni par les guaranis. Elle aurait dû être la plus grande et la plus avancée en termes d’architecture mais l’expulsion des missionnaires a mis un point d’arrêt définitif à la construction. Aujourd’hui, on peut voir une bonne partie de l’église et l’ébauche d’une seule des deux tours, puis la sacristie à l’arrière ainsi que la longue enfilade perpendiculaire constituée par la collégiale et la cuisine. Entre la nef et le déambulatoire, nous pouvons imaginer la taille imposante de ce qu’aurait été le cloitre (tout cela seulement pour trois religieux). Aucun autre bâtiment n’a été ébauché. Une des particularités de Jesus réside dans l’usage de la pierre de grès rouge pour la construction, ce qui explique en partie la bonne résistance au temps. Plus la visite avance, plus la luminosité se réduit. Tant est si bien que nous bouclons la visite à la nuit noire.
Nous reprenons la route pendant une vingtaine de minutes pour rejoindre l’autre réduction majeure, Trinidad, la plus vaste de toutes. Du fait de la pluie battante, nous apprenons que la visite nocturne en mode son et lumière prévue au programme est annulée pour raison de sécurité. En revanche, les surprises concoctées par Nathalia ont bien lieu au centre de tourisme du village. Pour les laisser se préparer, une guide locale nous explique l’histoire des lieux sur la base de la maquette installée dans le hall. Lorsque tout est prêt, on nous demande de nous installer sur les bancs posés sur un côté du large couloir qui s’ouvre devant nous. Résonne alors une musique paraguayenne et cinq jeunes danseuses, toutes de blanc vêtues et de tulle parées, font leur apparition et entament leur représentation à quelques dizaines de centimètres de nous, virevoltant en tous sens, sourire aux lèvres. Cinq anges évoluent devant nous, arrachant quelques larmes d’émotion à certains. C’est si beau un tel moment de grâce que nous osons abuser en demandant un bis qu’elles improvisent. Que j’aimerais avoir l’improvisation aussi efficace !
Lorsque la musique s’est définitivement tue, je pensais que le spectacle était terminé. Je me trompais. La guide locale s’avance au centre du couloir et reprend la main. Accessoirement, elle remplit la mission de coordinatrice avec la communauté guaranie de Trinidad. De ce fait, elle a fait venir un ensemble musical issu de ce groupe. Et les voici qui approchent dans des tenues évoquant leurs traditions ancestrales, le cacique étant, par exemple, coiffé d’une « couronne » à cinq plumes blanches. En plus de sa guitare, il est accompagné de trois femmes et quatre hommes. J’avoue être resté bouche bée en les voyant apparaitre tant je ne m’attendais pas à les voir. Ils nous interprètent plusieurs de leurs morceaux, certains chantés, d’autres purement instrumentaux. Des explications reçues par la guide traductrice, nous comprenons que tout est tourné vers la nature et la relation à Dieu. Moult questions viennent. Néanmoins je comprends vite qu’ils sont avares en paroles : les réponses du cacique (car c’est lui uniquement qui répond) ne font jamais plus que quelques mots. Quant aux autres, ils sont encore plus timides, se limitant à nous donner leurs prénoms. Ces deux moments quasi hors du temps apportent une belle conclusion à cette journée jusque-là bien grise et maussade. Avant de quitter les lieux, j’entrevois quelques-uns des guaranis partir en « civil ». Limite le contraste me surprend et pourtant c’est tout à fait normal à bien y réfléchir.
Cette fois, nous pouvons rejoindre notre hôtel à Bella Vista, distant de seulement une poignée de kilomètres et récupérer nos chambres. Sans perdre de temps, nous jetons nos sacs sur les lits et rejoignons dans la foulée le restaurant car il commencerait presque à se faire tard. Petite particularité de « Papillon », le buffet se pèse : il ne faut donc pas oublier à chaque remplissage d’assiette de passer par la balance avant de rejoindre sa table. Malgré le copieux repas de midi, il reste encore un peu de place à certains. Y compris pour une mousse au chocolat que nous avions repérée avec Nathalia. Par chance, lorsqu’arrive l’heure du dessert, elles nous ont attendus, les deux seules, les deux dernières ! Avant d’aller nous coucher, les derniers « trainards » tiennent compagnie à notre guide avant que son frère et sa mère viennent la récupérer pour la nuit, l’occasion d’un moment hilarant : sa maman descend du véhicule et vient nous claquer une bise mais oublie sa « petite » fille !