Rendez-vous en terre inconnue ... sur la terre de nos aïeux (2)
Udine, 20 Septembre
J'ai réservé cette première journée frioulane à la découverte de nos racines. C'était bien la raison première de venir avec mon père sur les lieux où mon grand-père à vu le jour en 1916 avant de venir s'installer en France à l'âge de 10 ans avec tous ses frères et soeurs, ainsi que ses parents sans jamais retourner dans son pays natal, adoptant la nationalité française dans les années 50. Toute cette histoire, je l'ai découverte dans ses détails des décennies plus tard en établissant la généalogie familiale, en dénichant au fil des années des documents inédits dont son dossier de naturalisation si riche en détails et en écrits de sa main. Dès lors c'était une évidence que j'irai sur place voir d'où toute la lignée portant mon patronyme est issue. L'autre évidence était que je ne pouvais pas faire ce voyage "initiatique" sans mon père.
Voici pour le contexte. Voici pourquoi je ne pouvais pas repousser un jour de plus la découverte de ces villages raccrochés à l'histoire familiale. Néanmoins, pour aménager des étapes courtes et des arrêts réguliers, j'ai intégré au parcours du jour quelques cités présentant un certain intérêt patrimonial. Malgré son titre de "capitale" locale, Udine reste une petite ville de quelques cent mille habitants, autant dire que nous nous retrouvons rapidement à la campagne au milieu des champs. Cette première impression d'immensité toute plane se confirme: dans toutes les directions hormis au nord, le regard porte loin. Quant aux Alpes Juliennes, elles forment comme un mur au loin qui se dresse au dernier moment au-dessus de la vaste plaine.
A une dizaine de kilomètres au nord-ouest, je nous arrête dans le village de Fagagna, plus précisément dans sa partie la plus ancienne. A cette heure matinale, il est facile de trouver à se stationner juste en contrebas de la butte castrale. Sans tarder, nous récupérons nos appareils avant de "grimper" au sommet où se dresse encore une petite église, le campanile qui va avec et quelques restes de murailles. Il faut une certaine imagination pour visualiser à quoi pouvait ressembler le château médiéval qui se dressait en ces lieux. Sur une des pelouses du restaurant, une touche artistico-fun attire notre attention: deux sculptures en bois s'opposent dans une épreuve de tir à la corde, d'un côté un homme coiffé d'un chapeau, arc-bouté sur ses grosses chaussures, de l'autre un massif âne, a priori étendu sur le flanc. L'approche vers les vestiges de murs de pierres qui ne subsistent que sur la partie nord du site nous offre un large panorama sur les Alpes Juliennes à l'horizon. Vaste plaine partout ailleurs, le tout sous un beau ciel bleu et dégagé. Il y a bien ici quelques collines qui rompent cette "monotonie" souvent coiffées de clochers. Le paysage se prête à un premier cliché panoramique, et par conséquent la première leçon en la matière pour mon père. Après avoir fait le tour et testé tous les points de vue, essayant de repérer sans trop de certitude notre prochaine étape, nous redescendons en contrebas de la route jusqu'à dénicher une ancienne porte qui devait ouvrir l'accès vers les maisons qui se nichaient à l'intérieur de l'enceinte fortifiée. Là encore, il est difficile de se figurer le cadre à cette époque fort lointaine. Comme à Menton, nous n'empruntons que des rues, ruelles et rampes caladées dans ce petit quartier de l'ancien bourg. Accessoirement, nous n'avons toujours pas croisé la moindre âme qui vive.
Une autre dizaine de kilomètres plus loin, toujours vers le nord-ouest, nous entrons dans San Daniele del Friuli. C'est un lieu tout particulier pour nous deux. En effet, il s'agit de la ville de naissance de mon grand-père. Il y a fort longtemps que j'avais entendu parler de son nom sans en avoir jamais vu la moindre image. Grâce à mes recherches généalogiques, j'ai fini par identifier l'adresse exacte. C'est vers celle-ci que nous dirige le GPS. Il semblerait que le stationnement s'annonce compliqué, payant partout. Parvenus dans la via Tagliamento, nous sommes surpris quand la numérotation passe du 8 au 24. Un détail a dû nous échapper. Quelques centaines de mètres plus loin, nous repérons une rue où il semble possible de se garer sans frais a priori. Tentons le coup. Et retour à pied en quête des manquants. Tout s'explique en arrivant sur place: une sorte d'impasse est greffée sur la rue et accueille tous les numéros que nous n'avions pas pu trouver. Nous voici enfin devant le 12. La visite est essentiellement symbolique: il faut se rendre à l'évidence, la maison derrière le portail est beaucoup trop moderne pour avoir connu Pépé il y a 108 ans. Néanmoins, cela fait un petit quelque chose de remettre nos pas dans les siens. Pour immortaliser ce moment, nous faisons tous les deux un cliché de la plaque avant de rebrousser chemin pour rejoindre le centre du bourg.
Rapidement nous constatons que les écrits de mon guide touristique visaient juste: les vitrines de vente-dégustation de "prosciutto di San Daniele" se multiplient. Néanmoins vu l'hure encore matinale, nous n'avons aucun désir de procéder à la moindre dégustation. Jusqu'à aujourd'hui, je n'avais jamais entendu parler de l'existence de cette spécialité. Quand on pense jambon et Italie, c'est plutôt celui de Parme qui vient à l'esprit. Nous poursuivons donc notre chemin jusqu'à rejoindre le centre historique où nous fait face une imposante façade blanche aussi large qu'elle est austère, quand bien même elle affiche l'incontournable style baroque. Au moins la cathédrale Saint Michel Archange fait honneur à son titre. Mais en bon édifice religieux italien ... ses portes sont closes. Alors nous poursuivons en la contournant par le sud. Étonnamment, c'est un bâtiment laïc qui s'est adossé de ce côté-ci, qui plus est, l'hôtel de ville, un peu comme si Don Camillo et Peppone étaient voisins. Ce palais municipal comme les bâtiments de l'autre côté de la rue disposent tous d'une série de larges arcades au rez-de-chaussée. Enfin, nous apercevons le campanile qui se dresse derrière la mairie, tout aussi imposant par sa hauteur que l'église peut l'être par sa taille. Contrairement à celle-ci, il est édifié en pierres de taille grises sans la moindre touche de peinture. Alors que nous essayons de trouver où le prendre en photo en entier, un vieil italien tente de m'expliquer quelque chose à son propos. J'ai beau essayer de lui dire que je suis français et que je ne le comprends pas , rien n'y fait, il poursuit sa tirade.
Lorsqu'enfin il nous lâche nous continuons par une ruelle qui se termine en impasse. A l'origine, nous avançons sans trop savoir où nous allons. A chaque pas, la voie se rétrécit avant de déboucher sur un petit parc. D'un côté il borde un villa qui semble à la limite de l'abandon derrière ses grilles et de l'autre il offre un point de vue sur la plaine. J'ai enfin confirmation que depuis Fagagna, c'était bien San Daniele que j’apercevais. Il n'y a plus de doute dans ce sens. A l'extrémité de l'espace vert, nous dénichons une "petite" église, basiquement nommée "San Daniele", bien plus discrète que sa proche voisine. Mais je dois reconnaitre qu'avec sa simplicité, son écrin de résineux variés et son petit campanile, elle a un sacré cachet. Elle aussi nous contraint à rester dehors. Décidément! Alors nous revenons sur nos pas, contournons la cathédrale par son autre côté avant de descendre le grand escalier qui permet de rejoindre la rue. Direction la voiture pour la suite du tour.
A la sortie de la ville, j'en suis quitte pour un demi-tour pour permettre à Papa de faire un cliché digne des jeunes accros aux selfies. Mais l'occasion est particulière. Nous passons devant un panneau de la commune devant lequel je peux stationner sans risque. le voilà qui se plante sous l'indication pointant du doigt San Daniele. Quant à moi, je reçois la mission d'immortaliser le moment sous tous les angles, à la fois avec l'appareil photo mais aussi le téléphone pour une communication presque immédiate à la famille.