Rendez-vous en terre inconnue ... sur la terre de nos aïeux (7)
Udine, 22 Septembre
Ce matin se lève sur la dernière journée complète en terre frioulane. Après avoir exploré successivement l'Ouest puis le Nord d'Udine, nous partons ce matin droit vers le Sud pour trois étapes totalement différentes les unes des autres. Pour se donner le temps d'en profiter au maximum, nous décidons de partir un peu plus tôt qu'hier. Qui plus est, nous découvrons des axes et quartiers de la capitale provinciale que nous n'avions pas encore empruntés. Encore une fois, je suis plutôt agréablement surpris par le respect des automobilistes locaux alors que j'hésite par endroits, que je respecte scrupuleusement toutes les limitations, et que je me méfie des radars même de ceux qui semblent inactifs.
Une grosse quinzaine de kilomètres nous séparent de notre première destination. Rapidement, nous circulons en pleine campagne, au milieu de la verdure, essentiellement des champs cultivés, de temps en temps quelques arbres en bordure de bitume. Ce premier choix est vite devenu une évidence lorsque j'ai fait mes recherches préparatoires pour identifier les lieux dignes d'intérêt. Une simple photo d'une ville fortifiée en forme d'étoile me rappelant Rocroi, dans les Ardennes, a suffi pour me décider à la mettre au programme.
C'est donc vers Palmanova que nous nous avançons, une quasi soeur des villes fortifiées par Vauban, sauf que celle-ci l'a été par les vénitiens au seizième siècle. Des neuf branches de l'étoile qu'elle forme, nous n'avons au premier abord qu'une vision très limitée de l'ensemble. Si seulement nous avions la capacité de voler pour en profiter. A l'approche de la porte d'Udine, nous apercevons un large fossé qu'enjambe le pont que nous franchissons, deux massifs bastions et deux contrescarpes de part et d'autre, couverts d'une épaisse végétation.
Une fois dans les murs, nous sommes agréablement étonnés par les multiples indications de parking. Il faut dire que le lieu est plus touristique, de par sa spécificité architecturale et son classement au patrimoine mondial de l'Unesco. Néanmoins, parvenus au premier arrêt sur notre chemin, nous constatons qu'il s'agit d'une ancienne friche industrielle où le stationnement est en partie anarchique (mais gratuit). En quelques minutes, nous finissons par dénicher une place. Le hasard ayant bien fait les choses, nous avons la bonne surprise de voir que nous sommes quelques dizaines de mètres derrière l'église del Santissimo Redentore, aussi appelée cathédrale de Palmanova. Autant dire qu'en quelques pas, nous sommes sur la Piazza Grande, le centre exact de cette cité prestigieuse. La première impression est époustouflante : nous venons d'entrer sur un immense hexagone entièrement piétonnisé, trois rues reliées aux trois portes monumentales, alternant avec trois autres débouchant face à des bastions. A cette heure assez matinale, nous aurions presque l'impression d'être seuls. Mais nous notons néanmoins des semblants de préparatifs : une estrade à l'opposé de l'église, deux stands de communication tenus par des militaires, une poignée de véhicules de secours. Pour l'instant, sans plus d'indices, il nous est difficile d'imaginer ce qui se trame.
Retournons à l'église que nous venons de longer. Si ses portes nous sont ouvertes, nous sommes pourtant contraints de remettre à plus tard notre visite pour laisser la première messe du matin se dérouler. Alors nous entamons un tour de la vaste esplanade. Une sorte de fossé pavé en fait le tour complet, délimitant une large promenade au pied des bâtiments et une aire libre au centre. Chacune des rues débouchant ici est marquée par la présence d'une paire de statues juchées sur des colonnes et représentant pour la plupart d'anciens surintendants généraux de la république de Venise. Quelques autres oeuvres complètent le décor dans les angles de l'hexagone. Anciens palais, bâtiments officiels et maisons colorées forment l'écrin. Etonnamment, nous n'y apercevons pas la moindre boutique, comme s'il y avait une volonté de préserver ce cadre unique. Par contre, non loin de la rue arrivant de la porte d'Udine, nous apercevons des porte-étendards alignés sur les pavés
A la suite de ce premier tour de place, nous en entamons un second après avoir rejoint la partie centrale aux angles de laquelle trônent des répliques de machines en bois et cordes qui ont servi à la construction au seizième siècle. Au centre de la place, un massif piédestal en pierre d'Istrie supporte un mât où deux hommes harnachés patientent avec un drapeau. Clairement, il se prépare quelque chose. Alors que nous venons de dépasser la rue menant à la porte de Cividale, une musique retentit. Des roulements de tambours précédent un défilé d'une troupe de reconstituants habillés en tenue de l'époque vénitienne. Passent alors devant nous, lanciers, porteurs d'arquebuse, et même deux servants d'un canon, tandis qu'un groupe de "cantinières" ferme la marche. Ils traversent l'esplanade avant de s'arrêter à l'opposé formant un semblant de bivouac. Puis nous apercevons une troupe de militaires d'active qui manoeuvrent. Ici et là d'anciens militaires reconnaissables à leur béret vont et viennent, semblant attendre l'heure. Nous croisons même un ancien bersaglier, impossible à manquer avec sa coiffe à longue plumes noires. Il n'y a désormais plus de doute sur le fait qu'une prise d'armes ou quelque chose dans le genre se prépare. Décidément, après Venzone, nous nous retrouvons au bon endroit au bon moment par le plus grand des hasards.
En attendant que la probable cérémonie débute, nous rejoignons la troupe de reconstituants, appuyés sur une barrière. De fil en aiguille, en échangeant quelques mots en anglais avec leur "chef", Walter, fort volubile, nous comprenons qu'ils tireront au canon lorsque le drapeau sera au sommet du mât. Quelques longues minutes plus tard, une italienne francophone comprend que nous sommes français, mais tout de même très intriguée par notre présence. Grâce à elle, nous apprenons que nous allons assister à un rassemblement en l'honneur des Lagunari, les troupes amphibies italiennes, créées à l'origine par la cité des Doges. Voilà qui nous conforte dans l'idée de patienter jusqu'au bout. Et en effet, les contingents représentants chaque ville se rangent petit en à petit en ordre serré sur notre gauche. Puis c'est le tour d'une unité d'active de venir prendre position face à eux, de l'autre côté du mât central. Avant tous ces mouvements, autorités politiques reconnaissables à leurs écharpes tricolores et autorités militaires avaient pris place dans la tribune.
Alors retentissent les premières notes du Fratelli de Italia. Lentement l'immense drapeau monte le long du mât, mais faute du moindre souffle d'air, nous le devinons plus que nous le voyons. Je me surprends à fredonner l'air à défaut d'en connaitre les paroles. En revanche, notre voisine le chante à plein poumons. Nous observons aussi que Walter près du canon et les arquebusiers sur notre droite se préparent. En effet, le grand pavois est presque au sommet. Lorsque les dernières notes retentissent, le canon retentit enfin, finalement bien moins puissamment que les mises en garde de leurs servants ne pouvaient laisser craindre. Les arquebuses claquent à leur tour juste après. Nous restons à leurs côtés encore quelques minutes, observant leurs costumes, leurs équipements et leur reconstitution de bivouac.
Il est alors temps de reprendre notre visite. J'espère bien que cette fois l'église nous sera accessible. Notre patience est récompensée. Aucun nouvel office n'est en cours et le portail est resté ouvert. La façade bien blanche et imposante ne peut pas se manquer. Elle assure l'autorité de ce lieu religieux sur toute la place. Au premier niveau apparaissent trois statues représentant les trois saints patrons de la ville tandis que le fronton supérieur est percé d'un oculus occupé par l'incontournable lion de Saint Marc. Bizarrement le clocher accolé sur la gauche parait bien modeste. Mais il y a là une raison stratégique : il ne fallait pas qu'il soit visible de l'extérieur de la forteresse sous peine de servir de point de repère pour d'éventuels assiégeants. Derrière les battants nous découvrons une nef finalement assez sobre avec une charpente apparente, des vitraux modernes aux teintes douces, et un petit orgue sur la gauche. Face à nous, le choeur est encombré d'un échafaudage qui gâche particulièrement la vue. Néanmoins, il laisse apparaitre les vastes fresques de la voûte. Heureusement les deux absides compensent en partie, toutes proportions gardées. Nous avons aussi la surprise d'apercevoir la sacristie ouverte directement sur la nef, quoi que verrouillée par une grille en fer forgé. Celle-ci permet d'apercevoir les voûtes en croisées d'ogives, les portraits des surintendants de Venise ainsi que divers tableaux religieux.
De retour à l'extérieur, nous nous dirigeons vers la rue conduisant jusqu'à la porte de Cividale. Après le rassemblement sur la place, nous nous sentons presque seuls. Décidément, nous allons finir par croire que ce lieu est boudé par les touristes. A l'approche des fortifications, je suis surpris par l'aspect massif de cet accès. En fait, c'est surtout la présence d'un musée militaire accolé à la porte qui donne cette impression. A défaut de pouvoir monter au sommet de la muraille dans ce coin, nous optons par une "sortie" rapide. Néanmoins, pour cela, il faut respecter un feu qui régule l'alternance de circulation entre voitures et piétons. Il faut dire que les arches ne sont guère plus larges qu'une voiture. Et pas question de s'attarder longtemps dans le "patio" aménagé au coeur du musée, sous peine de devoir laisser les véhicules, certes rares. De l'extérieur, cette porte Nord-Est parait presque modeste, tout en contraste par rapport à l'impression qu'elle donne côté ville. De part et d'autre de la route, nous voyons distinctement la structure en briques des bastions de même que le fossé où serpente un étroit ruisseau au milieu de la végétation.
En rebroussant chemin, je me rends compte qu'une trace peut faire office de chemin pour rejoindre le haut des fortifications juste après avoir franchi la porte dans l'autre sens. Cela valait le coup de s'y engager. Du sommet, nous observons bien plus nettement toute l'organisation défensive de ce genre d'architecture, en particulier les contrescarpes qui servent de première ligne de protection. Vu l'heure, il n'est pas envisageable de tenter le tour complet de la cité. Nous nous contenterons de quelques centaines de mètres avant de rejoindre le sol ... puis le véhicule.
En reprenant notre route, nous appréhendons plus concrètement la structure de la ville, en particulier ces rues concentriques, toutes constituées de neuf segments, qui s'enroulent autour de la place, chacune séparée de la suivante par la largeur d'un pâté de maisons, et, bien évidemment, coupées par les rues qui rayonnent depuis le cente de la cité. Etonnante symétrie! Sur les conseils de la douce voix du GPS, nous nous dirigeons vers la troisième et dernière porte, plein Sud, celle dite d'Aquilée, et assurément la plus majestueuse et la plus belle de toutes.
A peine franchi le pont qui lui succède, je m'engage immédiatement sur le semblant de parking aménagé sur la droite. Par chance, en avançant, nous finissons par trouver une place, certes pas très plane, mais largement suffisante pour une dizaine de minutes le temps de profiter une dernière fois de Palmanova. Contrairement à ses deux soeurs, celle-ci est faite de pierres qui semblent ne pas avoir subi le temps, bien claires et lisses, un imposant fronton la couronnant; tout en rondeur avec ses volutes minérales. En approchant à pied du fossé, je comprends que nous sommes en fait juchés sur les vestiges de la contrescarpe qui assurait la protection rapprochée de cet accès méridional. Grâce à la présence significative d'eau, nous jouons avec les reflets pour réaliser des clichés un peu moins classiques, le tout sous un soleil toujours bien agréable.
Après un dernier regard sur ces fortifications, nous quittons définitivement ce joyau architectural pour une destination tout aussi riche ...