Passion spatiale en terres européennes (4)
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Mercredi 26 Mars, Speyer
Comme souvent, je me réveille avant l’heure (certes, ce matin, c’était prévisible vu que la butée était calée sur huit heures). Un léger bruit régulier me fait d’abord penser à des craquements de toiture. Pourtant, après de longues minutes, cette première hypothèse me semble douteuse. Je décide donc de me lever pour éclaircir ce mystère en tirant le store du Velux. Et là, je comprends vite en apercevant des coulées d’eau sur la vitre. Il pleut ! Le volume des précipitations n’est pas important mais celles-ci ne semblent pas vouloir cesser. Pire, en l’espace d’une heure, la prévision de fin d’averse passe de neuf heures à midi. Autant dire que toute la matinée va être humide, avec un plafond très bas, sans espoir de la moindre amélioration. Les photos extérieures s’annoncent déjà bien ternes et sans la moindre luminosité. A sept heures trente, je me décide à rejoindre la salle de restauration : j’y suis le premier et le seul du groupe. Qu’à cela ne tienne, je poursuis mon programme en solo.
Dès huit heures quarante cinq, je restitue la carte de ma chambre et stocke mon bagage et manteau dans le local prévu à cet effet. En revanche, j’enfile ma cape de pluie « made in Arianespace », ramenée de Kourou. Elle va être bien utile avec la météo de la matinée. Je suis de retour à l’accueil du musée dont les portes ont ouvert avant l’heure officielle. Mieux, l’hôtesse me donne un plan, des dépliants, les derniers renseignements ainsi que le bon d’accès, tout l’inverse de sa collègue d’hier. C’est certes en allemand mais l’intention est louable. Etonnant qu’un musée pareil qui accueille du tourisme étranger ne fasse pas le nécessaire pour accueillir le public en plusieurs langues. Derrière le tourniquet, je remarque un détail qui m’avait échappé hier. « 1er régiments de spahis » est inscrit en fer forgé au dessus de la porte du premier hall. L’explication est donnée sur le panneau voisin. Après la seconde guerre mondiale, le bâtiment qui sert aujourd’hui d’hôtel abritait la caserne de ce régiment.
Espérant laisser passer le gros de la pluie, je traine mes guêtres dans le premier hall, probablement le plus fouillis des deux. On y trouve pêle-mêle des voitures en tous genres, des trains le long des murs, une collection de camion de pompiers, des trains électriques miniatures ainsi qu’une série d’avions suspendus sous la toiture, dont un Alphajet tout rouge aux couleurs des Red Arrows, la patrouille britannique, exposé en inversé. J’ai beau marcher lentement, je finis par faire le tour du hall. Je me résous à traverser le tarmac sous les gouttes pour rejoindre le deuxième hall, hôte de mon centre d’intérêt principal.
Malgré l’après-midi déjà passé dans ces murs, je découvre des artefacts qui m’avaient échappé hier, telle cette pièce d’un Gemini, prise dans un bloc de résine,, ou encore ces lambeaux de parachute d’une des capsules américaines. J’immortalise une fois encore la navette Buran sous tous les angles. Il y aura certainement des doublons mais qu’importe. Cela reste un émerveillement. De temps en temps, lorsque je suis à proximité, je jette un œil au grand écran pour voir où se situe l’ISS ; transit entre l’est de la Russie et le sud du Chili, autant dire que la caméra ne montre que nuages blancs et océan bleu. Je m’attarde aussi sur le module Zvezda, cette fois photographiable en l’absence du moindre individu collé au plexiglas. Cette fois, je remarque aussi la présence des objets du quotidien scratchés sur les parois pour leur éviter de voler n’importer où dans la station et disparaitre : stylos, couverts, … J’essaie aussi d’explorer les coursives les plus hautes, celles du deuxième niveau, aperçues d’en bas lors de notre première visite. Nouveaux points de vue sur … la navette Buran. Là encore, je finis par en faire le tour, même si je ne suis pas au bord de l’overdose, loin de là.
Il ne me reste qu’à me couvrir contre la pluie, laquelle n’a toujours pas cessé, fine mais humide. A quand la pluie sèche ? Avis aux inventeurs ! Cette fois, je me décide à explorer en détail tous les engins exposés en plein air, au moins ceux qui volent et quelques-uns qui flottent. Je grimpe ainsi dans un Canadair posé à l’ombre, enfin aujourd’hui il n’y en a pas, du gros Boeing. Je suis surpris par son exigüité et la rusticité de son intérieur, que ce soit la soute ou la cabine. Gare à la tête en montant à bord ! Puis je longe le bâtiment des trains jusqu’à découvrir la présence, un peu surprenante, d’un pont flottant de l’armée française. Parvenus à l’extrémité de cette allée, je suis contraint de faire demi-tour sans pouvoir accéder aux deux avions qui sont temporairement interdits d’accès. Je rebrousse donc chemin pour rejoindre le grand parking, tout en optimisant mon parcours en traversant le hall au sec. Là j’emprunte l’escalier en colimaçon qui permet de monter à bord de l’Antonov-22, du moins quand les deux gamins daignent enfin descendre. Les autobus de scolaires sont arrivés et le silence relatif terminé. Cet aéronef fut en son temps le plus gros du monde, quadrimoteurs à double système d’hélices. Le cockpit d’opérations est carrément rustique comme on pourrait l’imaginer pour un ancien avion soviétique, tandis que la soute me semble démesurée. Marqué par le film Rambo 3, je ne peux m’empêcher d’approcher ensuite de l’hélicoptère Mig exposé non loin de là. Il ressemble étrangement à celui vu à l’écran.
Après les objets volants, je fais une courte infidélité en rejoignant deux objets flottants desservis par le même escalier. Une passerelle métallique les relie. Je tourne à gauche pour monter à bord du bateau de secours Essenberg qui opérait en mer du Nord. On peut accéder quasiment à toutes les structures extérieures, depuis l’héliport à la poupe jusqu’au poste de pilotage à la proue. Il est aussi possible de déambuler à l’intérieur pour se rendre de compte de son étroitesse mais aussi de l’optimisation pour le rendre totalement fonctionnel dans toutes les missions qui lui étaient dévolues. La bruine ne cessant de tomber, c’était peut être une bonne option de traverser la passerelle jusqu’au sous-marin U9 voisin, un submersible datant des années cinquante. Dès l’écoutille, je comprends que j’avance dans un espace des plus confinés. L’échelle d’accès est quasi verticale en plus d’être étroite, à tel point que ma cape de pluie remonte vers ma tête et mes bras à chaque barreau que je descends. A l’intérieur, j’aboutis dans la salle des torpilles dont deux tubes sont ouverts pour donner aux visiteurs une idée de leur apparence. L’un d’eux est même chargé. Dès les premiers pas, j’essaie d’imaginer quelle pouvait être la vie dans un espace aussi restreint tant je m’accroche à presque tout, à droite, à gauche … et même au-dessus. Gare la tête ! Je n’envisage même pas de croiser quelqu’un. Et encore, à la vue des deux moteurs à l’arrière, je ne peux qu’imaginer ce que devait être l’ambiance sonore en plongée … probablement de l’ordre du vacarme … La sortie par la deuxième écoutille se révèle tout aussi scabreuse que la précédente. Il ne reste alors plus qu’à descendre l’escalier de sortie qui est accolé. De retour sur le bitume, je me sens immédiatement plus au large.
Pendant mes pérégrinations extérieures, j’ai entendu une notification Whatsapp et simplement vu un message disant « nous sommes dans le hall de l’espace » sans même vérifier qui en était l’auteur. De toute façon, il ne me restait plus qu’une seule chose à explorer dehors. Mais de taille et haut perchée ! Quelle idée d’aller exposer un Boeing 747, aux couleurs de Lufthansa, à plusieurs dizaines de mètres de haut, non pas à l’horizontale mais à l’oblique, comme pour simuler un avion en virage. Il faut donc gravir un certain nombre de marches, d’abord jusqu’à une première plateforme d’où on peut voir de tout près le train d’atterrissage de l’appareil. Une deuxième volée permet cette fois de rejoindre la carlingue. Evidemment, vu l’inclinaison de l’engin, le plancher est tout sauf horizontal. Ainsi chaque visiteur marche de manière étrange ; tous, moi compris, ont une démarche penchée. L’intérieur du fuselage a été aménagé de manière à montrer aux visiteurs toutes les facettes d’un avion commercial de cette nature. Ici apparaissent les aménagements commerciaux, avec les sièges, là au contraire, tout a été retiré pour laisser apparaitre les structures métalliques et les faisceaux électriques, révélant aussi les soutes que le passager ne voit jamais. Je profite de l’occasion pour y descendre, l’occasion de constater que l’espace est bas de plafond. Gare à la tête ici aussi ! Puis je rejoins l’avant de l’avion où se situait la classe Business. Un escalier, déjà étroit de base, mais en plus penché, permet, non sans mal, d’atteindre le pont supérieur et d’observer le poste de pilotage finalement tout petit comparativement aux dimensions du Boeing. Mais la partie la plus surprenante reste à venir. Une porte sur le côté gauche du fuselage est ouverte, à l’abri des regards depuis le tarmac. Cette aile a été aménagée de manière à permettre aux visiteurs d’y déambuler, le tout en « altitude ». L’expérience est un tantinet vertigineuse mais incontournable. Alors seulement, je peux envisager de rejoindre le plancher des vaches avant de me réfugier à l’abri « chez Buran ». Je découvre vite qui était l’auteur du message en apercevant Pif, Christophe et Philippe devant la capsule Soyouz. A partir de là, je ne vais plus les quitter et la boule de neige grossit à mesure que les autres nous rejoignent. Malgré un premier après-midi consacré exclusivement à cette grande salle, nous découvrons de nouveaux détails, et puis il faut reconnaitre que Pif est une mine intarissable de connaissances et d’anecdotes … ou quand les petites histoires viennent avantageusement compléter la grande. Je passerais des heures à l’écouter ainsi, parler de toutes ces missions depuis une soixantaine d’années. Malgré tout, il faut quand même songer aux contraintes horaires. Et il est plus que temps de rejoindre le restaurant du site pour prendre le déjeuner. Avec l’habitude d’hier, nous passons plus facilement commande.
Une fois le ventre plein, nous pouvons rejoindre l’hôtel, récupérer les bagages, ce qui semble enchanter au plus au point le réceptionniste qui cache difficilement sa joie de venir nous ouvrir la porte, et attendre les taxis. Le premier à se présenter est un van où nous nous entassons à huit. C’est parti pour presque une heure de route jusqu’à l’aéroport de Francfort sans même attendre l’arrivée du deuxième véhicule. Je dis presque parce que notre chauffeur n’est jamais à la limite autorisée, toujours largement au-dessus. Etre assis à ses côtés présente l’avantage et l’inconvénient de voir le compteur de vitesse … Malgré tout, il doit parfois se serrer car il y a encore plus rapide … comme la police ! Pendant le trajet, je remarque la présence de caténaires au dessus de la voie de droite : ceci me rappelle un reportage que j’avais vu il y a pas mal de temps, une expérimentation pour des véhicules électriques. Mais aujourd’hui, personne ne semble l’utiliser. La récupération des cartes d’embarquement au niveau des bornes semble erratique. Même l’aide des agents de l’aéroport ne semble pas faciliter la démarche. C’est là que j’apprécie d’avoir perdu un peu de temps hier soir pour la charger sur mon téléphone. Ce premier contretemps laisse l’opportunité à l’autre moitié du groupe de nous rejoindre dans le hall des départs. Malgré tout, avec la marge prise, nous sommes largement dans les temps. J’expérimente positivement les nouveaux scanners au contrôle de sécurité : plus besoin d’ouvrir son bagage cabine pour en sortir telle ou telle chose. En revanche, mon bloc de cristal acheté au musée semble avoir fait réagir ; j’en suis quitte pour un contrôle de possibles matières explosives. Sans ce ralentissement, j’aurais eu trop d’avance devant la porte d’embarquement.
Celui-ci est déclenché à l’heure, sans que les groupes inscrits sur nos cartes ne semblent avoir la moindre utilité. Il faut dire que nous partons en autobus. Après l’arrivée du second véhicule, nous constatons rapidement que le vol ne sera pas plein, loin de là. Et le maintien des portes ouvertes n’est pas destiné à attendre des retardataires. En bons français que nous sommes, nous commençons à nous étaler sur les quatre derniers rangs. Bizarrement, les portes ne sont toujours pas refermées. Puis les hôtesses nous distribuent des petites bouteilles d’eau alors que nous sommes sur un vol en mode service low-cost, et encore au parking. Tout ceci n’a rien de normal. Une annonce du commandant de bord vient nous éclairer sur la situation et ceci dès la version allemande (et malgré des souvenirs parcellaires de la langue de Goethe). Le système d’énergie auxiliaire (APU) est en panne, ce qui empêche de mettre en route l’avion, et un impact a été observé sur le fuselage. Il faut faire intervenir la maintenance et faire des déclarations administratives. Mais tout ne se passe pas comme prévu ; les avis techniques divergent au fil des minutes. Pour patienter, les hôtesses nous distribuent des chocolats avant de nous abandonner. Touché par la limite d’amplitude de travail, le personnel navigant commercial doit être remplacé par un équipage de réserve. Heureusement que nous sommes à Francfort, base de la compagnie, sinon cela aurait été plus compliqué. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas ! Deuxième distribution d’eau. Enfin, après moult reports, nous décollons enfin vers la ville rose avec une heure et trente cinq minutes de retard. Dès la couche nuageuse percée, nous bénéficions d’un superbe panorama avec le soleil brillant et dardant ses rayons au dessus de cet océan cotonneux. Je me délecte du spectacle, tout en essayant de le capturer en photo. Une des hôtesses avec qui nous avions plaisanté au sujet de sa gamelle vient même m’offrir un des raviolis de son propre repas. Sympa, très sympa.
Le vol jusqu’à Toulouse se passe bien et vite, raccourcissant d’une trentaine de minutes la durée théorique annoncée. Le temps est tout aussi couvert ici à l’arrivée qu’il l’était au départ. L’approche par le Sud me permet d’indiquer les principaux repères à ceux qui sont assis autour de moi. Le deuxième acte du sketch reprend lorsque nous arrivons à notre point de stationnement devant l’aérogare. Les moteurs ne s’éteignent pas ; la porte reste longuement fermée … Nous apprenons alors que l’APU est de nouveau en panne, empêchant le commandant de bord de couper les moteurs sous peine de plonger l’avion dans le noir ; il en va de même pour les deux générateurs de piste qui auraient pu prendre le relais. Aussi, à très court terme, le débarquement est inenvisageable. Les minutes qui s’égrènent se font particulièrement longues. Et l’équipage finit par se résoudre à couper les réacteurs. Comme nous pouvions nous y attendre, toute la cabine est plongée dans le noir, seulement « éclairée » par les ampoules d’urgence. Finalement tout se rallume normalement et le débarquement peut commencer. Décidément, cet unique trajet aérien du circuit vire à l’épique. Finalement, nous sommes libérés. Me voici à la maison, sauf que cette fois, la première, je ne dormirai pas chez moi mais à l’hôtel. Avant cela, il faut attendre les quelques bagages mis en soute, dont la livraison tarde … Au moins, nos chauffeurs sont déjà là lorsque nous rejoignons le hall d’arrivée : seul hic, une partie du parking est en cours de neutralisation à cause d’un bagage abandonné. Un peu plus et nous étions coincés dans l’aérogare le temps de l’intervention des démineurs. Désormais, c’est une certitude, un chat noir doit trainer dans les parages depuis Francfort. Il est vraiment temps que cette journée se termine !!! Je dis ça, je ne dis rien ! Pendant la vingtaine de minutes que dure le parcours jusqu’à l’hôtel, j’essaie d’indiquer aux autres ce que nous longeons même si la nuit ne permet pas de voir grand-chose.
Autant tout a déraillé depuis le départ d’Allemagne, autant la distribution des chambres est hyper efficace : chacun donne son nom et récupère en retour sa carte. Ni une, ni deux, valises jetées et nous redescendons dans la salle de restaurant à côté de l’accueil. C’est le moment que Fabrice et Pif ont attendu pour nous révéler une toute petite, toute légère, toute majeure surprise : ils ont convié Philippe Perrin, neuvième spationaute français, à dîner avec nous et, cerise sur le gâteau, il va nous dédicacer son autobiographie sortie il y a presque un an. Un livre que j’avais adoré.
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Je crois que nous avons tous les yeux pleins d’étoiles. Encore un être d’exception totalement adorable et simple. Quel pied ! Que dire d’autre qu’un immense merci à ceux qui ont pu faire exister cette soirée unique. Depuis la sortie de l’EAC à Cologne, je n’avais aucun espoir que nous croisions un astronaute d’ici la fin de notre périple. Je me trompais lourdement. Du coup, nous avons parlé d’espace, beaucoup, mais aussi de sa carrière militaire, un peu, de son autre carrière en tant que pilote d’essais chez Airbus, d’où sa présence à Toulouse. Wouaouw ! Dur de remonter dans nos chambres ce soir. D’ailleurs, nous profitons presque tous de l’occasion pour monter récupérer nos livres de Pif, offerts par Fabrice à la gare du Nord lors de notre rencontre, pour une seconde dédicace. Mais de quoi vais-je rêver cette nuit ? On se le demande : Avril 2023-Mars 2025 – deux ans, trois astronautes rencontrés … que rajouter d’autre ?