Passion spatiale en terres européennes (5)
Jeudi 27 Mars, Toulouse
Etant donné l’extinction tardive des feux cette nuit, la relative latitude sur l’heure du départ ce matin est la bienvenue. Malgré tout, j’arrive parmi les premiers dans la salle. Seul Pif m’a devancé. Pendant le petit-déjeuner, nous apercevons deux GI de l’US Space Force, probablement des participants à l’exercice Aster X sans lequel nous aurions pu visiter les installations du CNES. Bien peu regardants sur la sécurité de leurs affaires … laissées sans surveillance sur leur table. Lorsque je reviens dans le hall avec ma valise pour attendre l’heure du départ, je m’aperçois qu’un entretien d’embauche a lieu dans l’entrée de l’hôtel, en plein brouhaha, au milieu des allées et venues. Etonnant choix !
Vers neuf heures, après avoir stocké tous nos bagages dans un réduit fermé à clé, nous partons à pied sur la piste cyclable qui longe le périphérique. Un petit quart d’heure nous suffit pour rejoindre l’entrée de la Cité de l’Espace. Gloups, il y a déjà beaucoup d’autobus ! A priori des scolaires. Flûte, j’ai oublié de prendre les bouchons d’oreilles. En réglant les formalités auprès de l’accueil de la cité, Fabrice intervertit le programme pour nous laisser plus de chances de voir plus de choses au fil de la journée. Aussi, nous filons au petit trot directement vers le bâtiment du planétarium, le temps d’une balade stellaire fort instructive, sans compter les réponses « amusantes » des gamins aux questions de l’animateur. Quoi qu’il en soit, l’animation est très immersive et riche d’apprentissage.
De retour dehors, Pif profite de la série de maquettes et pièces d’Ariane 1 exposées le long du chemin pour nous conter l’histoire de cette aventure européenne, ainsi qu’une partie de son fonctionnement. Nous apercevons aussi dans la continuité une reproduction du massif télescope XMM, tandis qu’un module lunaire Apollo a été installé au centre de la place que nous sommes en train de contourner. Mais sans compétition, c’est la réplique en quasi taille réelle (elle est rabotée de trois mètres à cause de l’aérodrome voisin) d’Ariane 5 qui survole allègrement les débats, véritable phare de la cité. Déguster les paroles de Pif est un tel plaisir que nous ne voyons pas l’heure tourner. Pourtant, il est temps de nous diriger vers l’escalier du bâtiment principal où nous avons rendez-vous avec un animateur des lieux pour une heure de visite guidée. Celle-ci commence à l’intérieur par un rappel historique de l’ère des pionniers, la décennie de toutes les premières, illustrées par les deux maquettes grandeur nature devant nous, à savoir le Spoutnik et Astérix (A-1), le premier satellite français lancé depuis le désert algérien. Nous retournons ensuite dans les jardins en empruntant l’allée dite de l’infini, où je m’amuse à essayer de reconnaitre les lieux sur les premiers clichés. En chemin, nous faisons halte devant le système solaire pour un rappel de ce que nous avons déjà vu dans le planétarium. A cette occasion, nous découvrons l’apparence des « mercuriens » avec la présence d’un lézard qui prend le soleil sur la boule qui figure cette planète. A l’extrémité du cheminement, nous faisons halte au pied d’Ariane 5 où nous sont présentés les différents composants et caractéristiques de l’ancien lanceur lourd européen. La fin de cette découverte accompagnée se déroule devant la reconstitution quasi intégrale de l’ancienne station Mir (il ne lui manque que deux modules). En raison de travaux de rénovation, il nous est impossible d’y monter ; nous devons nous contenter de la terrasse qui la surplombe. Ici notre guide nous explique les contraintes de la vie en apesanteur. Au final, je n’aurais pas appris grand-chose de sa part, sans compter qu’il n’a pas le talent et les connaissances de notre expert « maison ».
Après cette heure passée en sa compagnie, nous avons un petit quartier libre en attendant l’heure du déjeuner. Avec quelques autres, j’en profite pour aller écumer la boutique et faire quelques emplettes. Et un livre de plus de Mister P. Désormais, il faut patienter pour avoir accès à la table qui a été réservée pour nous. C’est là que nous faisons la rencontre de Daniel, vulgarisateur et journaliste spécialisé, qui accompagnera le prochain départ. A peine attablés, nous rencontrons Isabelle, qui nous rejoint à son tour, ingénieur chez Airbus et aussi vulgarisatrice espace, accessoirement accompagnatrice du quatrième et dernier départ de l’année. Nous voici donc deux de plus pour le repas fort bon, aux saveurs locales.
Après le(s) café(s), une question se pose. Va-t-il être possible d’aller au LuneXplorer avant la séance réservée à l’Imax en milieu d’après-midi. Nous tergiversons avant d’opter, pour une partie du groupe, pour la première option. La fréquentation étant assez importante et le débit pas assez rapide, les minutes qui s’écoulent, trop vite, finissent par sceller la suite. Ce sera ou l’un ou l’autre et nous persistons dans notre décision initiale. Signe de la vieillerie ou pas, je supporte de plus en plus mal les piaillements des jeunes écoliers qui attendent juste devant nous. Un gros quart d’heure d’attente est nécessaire avant qu’on vienne nous chercher pour rejoindre l’intérieur de l’attraction. Tout commence par un petit rappel interactif de l’histoire d’Apollo et de sa fusée Saturn V avant de nous projeter sur l’avenir avec ce que devrait être le projet Artemis. Muni de ces informations bien connues, nous nous répartissons en groupe de quatre avant d’écouter le briefing concernant la suite. Ce dernier prend la forme d’une vidéo animée par trois astronautes européens, Samantha Cristoforetti (italienne), Matthias Maurer (allemand) et Thomas Pesquet, le tout en français. J’aurai Pif à mes côtés, ainsi que Jacques et Christophe de l’autre côté de la cabine. Après quelques minutes d’attente, une porte s’ouvre devant nous pour laisser accès à un espace circulaire, direction la porte affichant le numéro qui nous a été attribué. Nous nous installons dans ce qui ressemble fort à une reproduction de capsule, certes largement plus volumineuse que celle des Soyouz.
Devant nous se déploient écrans et boutons, censés représenter une vraie capsule (à voir le niveau de fidélité !). Mais je n’ai pas oublié le conseil avisé d’un spécialiste, Philippe Perrin pour ne pas le citer, qui nous a recommandé de garder le regard droit et de ne pas essayer de bouger pendant l’évolution. Que nous appuyions sur les boutons ou pas, l’attraction fonctionnera. Et quand un tel personnage, avec son expérience, vous conseille, vous l’écoutez. Il y a tout de même un indispensable : bien boucler sa ceinture, ce qui se révèle tout sauf simple. Bon gré, mal gré, nous voici parés pour le « décollage », et immortalisés pour la postérité par notre reporter Pif. C’est alors que le compte à rebours défile sur nos écrans, puis la centrifugeuse, puisque c’est bien de cela qui s’agit, se met en branle. Au début, le mouvement est imperceptible, puis la vitesse augmente notablement. La sensation de pression s’accentue. Je suis « scotché » sur mon siège lorsque nous approchons de la barre des 2g. Quant au conseil d’hier soir, il était le bienvenu. J’ai la sensation que le moindre mouvement me ferait monter la nausée qui ne semble pas très loin. Une fois ce pic atteint, l’accélération cesse selon la simulation à l’écran ; ce serait comme si nous étions en orbite de transfert vers la Lune. Puis c’est le tour d’une décélération de nous écraser au fond de nos sièges alors que nous sommes censés alunir, de manière assez surprenante au fond d’un profond cratère ! Cette fois, j’ai le sentiment que la pression se fait encore plus forte qu’au premier cycle, quand bien nous plafonnons toujours à 2g. Et dire que nous n’encaissons que ce niveau « modéré ». Je n’ose imaginer ce que cela doit être au dessus, couplé au bruit du lanceur qui vous propulse pour vous arracher de l’attraction terrestre. Finalement, la cabine s’immobilise et nos ceintures sont automatiquement déverrouillées. J’appréhende le moment de me relever … mais non, pas de sensation désagréable de vertige. Les portes s’ouvrent et nous rejoignons la dernière salle où se déroule le débriefing par l’intermédiaire de Thomas Pesquet et Claudie Haigneré, rien que ça (sur grand écran, bien sûr). Après une dernière photo de « l’équipage », nous retrouvons les jardins.
En sortant nous croisons ceux qui reviennent de la session Imax tandis que nous nous hâtons vers le terrain martien, sauf Pif qui choisit de « redoubler ». Cette dernière animation de la journée prend place dans une reconstitution de ce que pourrait être un paysage de la planète rouge. Nous prenons place au premier rang dans les gradins pour assister à une présentation / démonstration de deux des rovers qui ont atterri sur Mars, à savoir l’énorme Perseverance américain et le plus modeste Zhurong chinois. Tous deux sont pilotés par l’animateur sous nos yeux pour en démontrer toutes les capacités, que ce soit en termes de mobilité ou d’instrumentation. Plus largement, il nous transmet une bonne quantité d’informations, souvent contre-intuitives au premier abord, comme lorsqu’il veut nous faire expérimenter l’effet d’un vent martien de cent dit kilomètres par heure … tout sauf ébouriffant. Il nous fait aussi écouter le son de notre planète voisine avant de terminer avec Ingenuity, le premier hélicoptère extraterrestre ayant volé sur la surface martienne. Ainsi se termine cette fort instructive présentation et notre journée à la cité. L’autre moitié du groupe nous attend déjà sur le parking. Le temps de rassembler les retardataires et nous les rejoignons. Les taxis font halte express à l’hôtel où nous devons récupérer nos bagages, ce qui ne prend pas plus de quelques minutes. Puis nous repartons à bord en direction de la gare Matabiau. Voilà bien longtemps que je n’avais pas mis les pieds dans le quartier : les lieux ont bien changé.
Pour patienter jusqu’au départ du train, nous traversons le canal jusqu’à la brasserie située juste en face. Bien qu’il soit un peu tôt, nous décidons néanmoins de prendre notre repas après un petit apéro. Il est alors temps de rejoindre le hall où nous devons patienter en attendant que le quai soit annoncé. Cette information finit par apparaitre dans les dix minutes qui suivent. Il est l’heure d’embarquer pour un long trajet. C’est le train de nuit Toulouse-Paris Austerlitz qui va nous ramener du Capitole jusqu’à la capitale. Nous nous installons tranquillement dans nos compartiments à quatre couchettes. Nous partageons la nôtre avec une quatrième personne extérieure au groupe. Dommage pour elle ! En cinquante ans, ce doit être seulement la deuxième fois que j’emprunte ce genre de train. J’appréhende un peu une nuit que j’imagine difficile, sans trop de sommeil. Malgré les premiers cahots, il est encore un peu tôt pour se coucher ; chacun s’occupe comme il peut avant de se glisser dans le couchage mis à notre disposition. Ce soir les bouchons d’oreille sont indispensables. Le modèle fourni dans le petit kit de courtoisie se révèle particulièrement efficace. A peine mis en place, je suis bien isolé et coupé du monde. Ils sont si efficaces que je n’entends pas les péripéties nocturnes. On m’aurait interviewé, j’aurais répondu que j’avais fait des bouts de nuits.