Reco Tanganyika (11)

Publié le par Jérôme Voyageur

Mardi 19 Septembre, Mahale NP, Kahisa Camp

 

Ce dernier petit-déjeuner à Mahale sort de l’ordinaire. Nous le prenons sur la plage. L’essentiel de la logistique a aussi déjà migré vers le sable, entre hier soir et ce matin. Du coup, nous avons tout notre temps, d’autant plus que les toiles sont humides et doivent sécher un peu avant d’être pliées. A partir de huit heures, elles commencent à disparaitre dans leurs sacs respectifs. Seules les bâches laissées au soleil témoignent encore de notre campement. Tout comme le chargement qui s’amoncelle près du rivage. Kenneth nous rejoint et surmonte enfin sa timidité en venant s’installer à table avec nous et échanger quelques mots. Il n’est jamais trop tard. Puis c’est le tour de Peter qui débarque en tenue de ville. Il prend le bateau avec nous pour rentrer à Kigoma et profiter de ses deux jours de repos. Deux autres gars viennent nous aider pour l’embarquement. Parmi eux, nous finissons par reconnaitre le cuisinier des assistants-chercheurs, aussi surnommé « Bushpig Expert ».

Le bateau finit par arriver avec seulement un quart d’heure de retard. Il est bien plus gros que celui de l’aller. Du coup, tout contient dedans, nous y compris. Après quelques centaines de mètres au ralenti, la faute à un moteur qui rechigne à démarrer, nous finissons par prendre de la vitesse, cap au Nord, pour rejoindre directement Mgambo, en à peine quarante minutes. Nous découvrons, un peu effarés, que les clients du lodge se font déposer en bateau au plus près des pistes pour traquer les chimpanzés, en l’occurrence devant le camp abandonné de Flycatcher.

Vers dix heures quinze, nous retrouvons enfin Inno après cinq jours de séparation. Il ne nous faut qu’une grosse dizaine de minutes pour débarquer, remonter les affaires jusqu’aux véhicules tout proche, et remonter les tentes sur la même plage qu’à l’aller afin de finir de les sécher au soleil. Cette installation suscite la curiosité des autochtones. Nous avons désormais tout le loisir de buller. Débarrassés de leur gangue de boue, les véhicules laissent apparaitre de sacrées marques du passage sur la piste infernale. Après le repas, les nattes offrent un agréable asile pour une sieste à l’ombre. J’émerge péniblement au bout d’une heure mais je continue néanmoins à piquer du nez en essayant de suivre la partie de tarot. C’est en fin d’après-midi que nous migrons vers la plage, juste à côté des toiles. Dans la foulée de cette légère suée, nous piquons une tête dans une eau toujours aussi facile d’accès tant sa température est élevée. Le repas du soir traîne en longueur me laissant l’impression que je vais somnoler sur place. Il est temps de rejoindre la douceur de mon sac à viande.

Autour de la plage de MgamboAutour de la plage de MgamboAutour de la plage de Mgambo

Autour de la plage de Mgambo

Mercredi 20 Septembre, Mgambo

 

« L’éloge de la lenteur »

Malgré la fatigue inexpliquée de la veille, je me réveille à l’heure, enfin je devrais plutôt dire largement avant l’heure. Le démontage des tentes se fait donc à l’aube. Une heure plus tard, nous quittons le conservatoire. Divers arrêts ponctuent notre lente avancée vers le village de Rukoma : les raisons en sont multiples, l’essentiel étant de ne pas progresser trop vite aujourd’hui. Nous alternons photos et achats : tomates, bois, chapatis et même du pain proposé par un vendeur ambulant qui a transformé son vélo en annexe de la boulangerie. A ce rythme, nous mettons deux heures pour rejoindre la grande piste, éloignée seulement d’une dizaine de kilomètres de notre point de départ. Nous commençons très fort.

Le parcours sur cet axe principal ne donne pas lieu à grande activité. Heureusement qu’un incident rompt cette monotonie : notre vache à eau rend l’âme en se perçant largement : nous essayons tant bien que mal de récupérer le maximum d’eau. Pendant qu’un pouce obture l’énorme trou, les autres remplissent toutes les gourdes et bouteilles disponibles, et même le petit jerrican. Vers onze heures, Fred commence à se mettre en quête d’un lieu de pique-nique ombragé, propre, calme et au bord du lac. Une série de critères plus que conséquente.

La première piste essayée débouche sur un cul-de-sac dans un village à mi-hauteur de l’escarpement. Impossible d’approcher l’eau par là, mais Fred, toujours aussi efficace, en profite tout de même pour acheter deux superbes avocats et deux pastèques. Demi-tour pour une autre tentative. Nous recommençons avec la piste suivante qui mène plus bas. Alors que nous avons dépassé les maisons, Fred part en éclaireur tandis que nous restons sur le terrain de foot. Nouveau retour bredouille, sauf que, lorsque nous redémarrons pour le suivre, débarque un hurluberlu dépenaillé avec une kalach à la main. L’ambiance se refroidit immédiatement. Stupeur ! Il veut savoir ce que nous faisons là, ne parle que swahili, demande son passeport à Inno et exige de voir l’autre véhicule. Impossible de discuter. Grâce à la radio, nous arrivons à convaincre Fred, qui ne se doute de rien, de revenir. A l’aide des jumelles, il découvre que le gars est armé et décide de descendre seul et à pieds. Après des palabres et la présentation de nos permis des parcs de Katavi et Mahale, ce pénible lâche enfin l’affaire. A priori, il s’agirait d’un militaire tanzanien stationnant dans les environs. Nous filons avant qu’il ne change d’avis. Malgré tout, Fred fait une autre tentative infructueuse dans le même village.

Nous sommes donc de retour sur la piste principale, bien loin du lac. Après plus de deux heures de quête, il ne reste pas d’autre choix que de faire halte dans une cour d’école. Une fois n’est pas coutume, aucun attroupement ne se forme autour de nous. Une heure plus tard, nous repartons avec la ferme intention de trouver rapidement un lieu de bivouac pour la nuit. Une galère par jour, ça suffit. Et surtout, nous n’avons nulle intention de rejoindre Kigoma ce soir. Dans le second véhicule avec Inno, nous sommes attentistes. Nous restons à l’ombre sur la grande piste pendant que Fred explore tout ce qui descend vers le lac, toujours avec le même niveau d’exigence. Trois fois nous le voyons revenir : il manque toujours quelque chose. Finalement, au quatrième essai, nous recevons un appel radio positif.

Nous débarquons ainsi sur une plage incrustée dans un village. Rapidement, une centaine de gamins nous encerclent. Avant de nous installer, nous attendons que Fred obtienne l’autorisation auprès d’un adulte, ce qui prend un certain temps. C’est finalement l’équivalent d’un maire qui vient nous donner son accord. Entre temps, Fred a chargé trois gars d’écarter les gamins et de nettoyer les lieux. Ils se révèlent très efficaces, maniant même la baguette à l’encontre des gosses les plus retors. Ils sont rejoints par un traducteur ce qui facilite grandement la communication. Nous pouvons alors monter les tentes sous une petite averse. Certains petits n’hésitent pas à approcher malgré tout. Fred doit même prendre le relais alors que nos trois « surveillants » se sont absentés un moment.

La baignade est un autre moment folklorique. Débarrassés des gardes, les plus téméraires se jettent à l’eau et s’approchent petit à petit de nous et en nombre. Rien n’y fait, ils n’ont pas peur de nous dans l’eau. De retour au sec, les distances sont finalement peu ou prou tenues, selon où se trouve le seul garde. Ce petit manège du chat et des souris dure jusqu’au retour d’un des premiers gardes. Et là, finie la rigolade : c’est un vrai garde. Il débarque avec sa tenue, treillis, rangers, sifflet, stick et une torche pour la nuit. A partir de là, la foule se disperse rapidement. Le calme total s’installe en un instant. Ce professionnel va veiller sur notre campement toute la nuit.

A dix neuf heures trente, une délégation du conseil de village ainsi que le traducteur revient avec des samossas commandés par Fred. Ils veulent que nous signions leur livre d’or et que nous prenions le café, tout cela demain matin. Apparemment, nous sommes les premiers blancs à nous arrêter ainsi sur leur territoire. L’effervescence s’explique. Cette nuit le ciel est magnifique : la Voie Lactée est encore plus étendue que les jours précédents. Des centaines d’étoiles piquent la voute céleste.

de Rukoma à Sigungade Rukoma à Sigungade Rukoma à Sigunga
de Rukoma à Sigungade Rukoma à Sigungade Rukoma à Sigunga

de Rukoma à Sigunga

Jeudi 21 Septembre, près de Sigunga

 

Fred vient me réveiller vers six heures et quart. Dès ma sortie de la tente, je découvre que la moitié du camp est déjà plié et le petit-déjeuner bien avancé … Il devait commencer à l’heure où je me lève. Décidément … Une demi-heure plus tard, nous démarrons dans un village bien plus calme que lors de notre arrivée. Les autorités ne sont pas non plus venues pour nous faire signer leur livre. La piste nous fait traverser une grande palmeraie que je n’attendais pas forcément dans cette partie de l’Afrique. Soudain, à la sortie de celle-ci, nous sommes bloqués par un portail. Nous venons d’atteindre le ferry dont on nous avait parlé. Il faut prendre des billets à la guérite et attendre patiemment que la traversée soit possible. Presque une heure d’attente en tout pour traverser la rivière Malagarasi pour une navigation de deux minutes à peine ! Une heure plus tard, la piste laisse enfin place au bitume. Nous approchons de Kigoma qui ne serait plus qu’à une vingtaine de kilomètres. Arrivés aux abords de la ville, nous commençons par repérer l’aéroport. Les indications sont plus que succinctes pour dénicher la bonne route et la plateforme, fermée au moment de notre passage, se révèle des plus sommaires. Rustique à souhait !

Nous nous mettons désormais en quête d’un lieu de villégiature pour notre dernière nuit tanzanienne. Pour cela, nous traversons le centre de la cité. Il se révèle peuplé mais pas trop dense non plus, supportable à condition de ne pas rester trop longtemps sur cette large avenue qui semble le cœur de l’activité. Devant la gare, ce que je prenais pour un vol d’oiseaux se révèle être un groupe d’une dizaine de chauve-souris.

C’est là que nous bifurquons vers la gauche. Nous stoppons d’abord dans un hôtel bien trop éloigné de nos standards. Mais nous y obtenons de précieux renseignements pour rejoindre le camp dont Fred avait obtenu le nom. Arrivés au Jakobsen Camp, nous restons à l’ombre à l’accueil avec Inno pendant que Fred part en repérage avec son équipage vers les hébergements situés à plusieurs centaines de mètres de là, près du rivage. Et ça dure ! A croire que cela ne doit pas convenir ! Ils finissent par revenir en nous racontant des bêtises. Finalement, nous restons ici. Nous découvrons alors un camp doté d’une plage privative paradisiaque avec palmiers, eau claire, … Si j’avais espéré un lieu en dur plus pratique pour préparer le sac du retour, je reconnais que l’endroit mérite une exception. Sitôt arrivés, les tentes sont montées à l’ombre avant de procéder à la préparation d’une maxi-salade. Nous découvrons que les samossas commandés hier aux villageois sont en fait fourrés … au riz blanc. Etonnant et un peu bourratif !

Dès après le repas, nous descendons sur la petite plage pour une première baignade : de la soupe ! Il me faut m’éloigner significativement jusqu’à la zone d’eau sombre pour enfin trouver de l’eau fraîche. Cette crique est réellement paradisiaque : l’eau est d’une transparence totale près du bord avant de virer au turquoise puis s’assombrir. Un peu plus tard, la paillotte abrite la dernière partie de tarot. Ce n’était qu’un intermède avant une dernière baignade, collective celle-ci. Les eaux du Tanganyika sont toujours aussi bénéfiques. Malgré tout, la douche est agréable également, même avec si peu de pression. Une fois propre, je redescends vers les rochers pour faire quelques clichés de cet endroit de rêve. Une bonne bière fraiche vient conclure cette bien agréable journée non loin du paradis. Elle permet d’enchaîner ensuite sur l’apéritif, puis le repas et enfin la « giant fruits salad », allongée au gin et aux copeaux de chocolat. Ce soir, c’est Byzance. Comme c’est de tradition, la fin du dîner est l’occasion de débriefer cette reconnaissance, en partageant nos trois plus belles émotions, ainsi que notre bivouac préféré. Je jette un dernier regard vers le ciel étoilé avant de rejoindre ma tente. La nuit est encore ponctuée de nombreuses sorties. Décidément, la transition après Mahale est persistante.

de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)
de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)
de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)

de Sigunga à Kigoma (Jakobsen Camp)

Vendredi 22 Septembre, Jakobsen Bach Camp, Kigoma

 

Ce matin, le réveil est totalement libre. Du coup, je n’émerge que vers sept heures, pour une fois à la lueur du jour. Quant au petit-déjeuner, je peux le prendre tranquillement. Il est alors temps de remettre en ordre les sacs pour le trajet du retour. Mais il est hors de question de se changer de suite. L’heure du départ viendra bien assez vite. Mais d’ici là, l’équipe est en mode farniente : je passe le début de la matinée à comater sur mon matelas. Mais vers neuf heures trente, il faut se résoudre à remettre le jean et les chaussures fermées. C’est dans cette tenue que je retrouve le reste du groupe en train de méditer en silence, chacun sur son rocher en bord de plage. Pendant que Fred règle les dernières formalités à la réception, nous profitons d’un wifi inattendu dans ces lieux pour nous reconnecter progressivement à la vie extérieure.

Nous pouvons désormais rejoindre l’aéroport. Inno profite de la traversée du centre-ville pour faire ses repérages pour les courses à venir avec que le second groupe n’arrive. Il ne faut qu’une vingtaine de minutes pour rejoindre la piste. Les installations aéroportuaires affichent une apparence bien différente d’hier. Il y a de la vie. Nous devons même nous acquitter d’un droit d’accès au parking. Deux boutiques et deux estaminets ont ouvert leurs portes. Nous abandonnons là Inno qui repart de suite en ville après nous avoir déposés. Seul Fred reste avec nous le temps que l’enregistrement commence. Nous patientons à l’ombre en dégustant de bonnes petites bananes, dont le régime a été suspendu au toit, et en sirotant un jus de fruits frais. En revanche, l’information des vols est inexistante : le panneau écrit à la main affiche encore les vols d’il y a deux jours. C’est a priori un employé des lieux qui nous informe que le vol sera à l’heure. Un autre vient nous voir quelques dizaines de minutes plus tard pour nous inviter à enregistrer. C’est un peu la cohue à l’entrée de salle ; heureusement que c’est un petit avion. Les procédures sont « à l’africaine ». Tout est fait à la main ce qui prend un temps certain. C’est rustique mais cela permet d’occuper pas mal de monde. La salle d’embarquement se révèle à l’échelle des lieux, c’est-à-dire pas très grande. Inutile de chercher des boutiques. Tout juste y a-t-il quelques ventilateurs encore opérationnels et une télévision branchée sur un programme local. Après environ une heure d’attente, la porte s’ouvre enfin pour nous laisser rejoindre l’avion à pied. Nous nous débrouillons pour réquisitionner les places à l’avant de l’ATR72 qui doit nous mener jusqu’à Dar-Es-Salam. Aussi surprenant que cela puisse paraître nous décollons avec dix minutes d’avance.

A l’arrivée, nous trouvons un passage pour éviter de sortir sur le parvis et d’y rester bloqués pendant de longues heures comme c’est de coutume ici. Ce couloir plutôt étroit et tortueux nous oblige à piloter nos chariots avec doigté. Arrivés dans le hall, nous devons passer immédiatement le contrôle des bagages. Celui-ci me vaut un bon énervement, l’agent ayant décrété qu’il était interdit d’avoir un briquet dans le bagage en soute. C’est hallucinant mais c’est comme ça. Le bon côté de la chose c’est que cela me réveille. Il faudra bien ça pour affronter les longues heures d’attente qui nous attendent, d’autant plus qu’il n’y a rien à faire dans ce hall. Une seule borne fonctionne pour imprimer nos cartes d’embarquement. Trois heures plus tard, nous nous avançons vers le comptoir de pré-contrôle. Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. Ce sont d’abord quelques boulets qui ralentissent sensiblement la dépose des bagages. C’est ensuite l’agent de l’immigration qui semble très intéressé par nos profils : il fait traîner en longueur et nous pose de nombreuses questions sur notre périple avant de nous laisser passer.

La zone de duty-free est telle que dans mon souvenir qui date de neuf ans déjà : peu de boutiques, de rares sièges et un éclairage blafard qui ne donne pas envie de faire grand-chose. J’expédie rapidement le shopping : il n’y a rien de bien intéressant, absolument rien en rapport avec notre voyage. Je retourne donc m’asseoir en luttant contre le sommeil. Six heures après notre arrivée, nous pouvons enfin pénétrer dans la salle d’embarquement à l’heure annoncée. Mais il faut encore une heure pour monter à bord du Boeing 777 de la KLM qui nous ramène vers Amsterdam. Au moins, nous aurons de la place pour les jambes.

 

Samedi 23 Septembre, Amsterdam Schipol Airport

 

Nous atterrissons à l’heure dans la capitale néerlandaise. Une fois n’est pas coutume, j’ai plutôt bien dormi. Je n’ai même pas vu la fin du film, et c’est le service du petit-déjeuner qui m’a réveillé. La célérité du passage de la sécurité et de l’immigration contraste avec la version tanzanienne. C’est peine perdue : nous découvrons avec dégoût que l’avion pour Paris aura plus d’une heure de retard, alors que ce sont les premières rotations de la matinée. Et le vol est trop court pour espérer rattraper le temps perdu. De retour à Paris, c’est la traditionnelle traversée qui m’attend non pas avec des valises remplies mais assis dans le RER.

Voilà qui conclut une reco parfaitement réussie et très fournie en premières.

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